Ces 10.000 entrepreneurs qui sauveront le Maroc
Il faut créer un Maroc dans le Maroc. Pour être plus précis, des micro-zones de confiance où législation, réglementation, droits, sont sans communes mesure avec ce qui a cours dans le reste du pays. Des biotopes vers lesquels afflueront les plus doués, les plus ambitieux, les plus ingénieux, les plus innovants, des écosystèmes de la science et de l'entrepreneuriat où toutes les conditions possibles seraient réunies pour nourrir la créativité, la productivité, la création de valeur. Il s’agit de récréer à échelle réduite et maîtrisable des poches de développement, des laboratoires de démocratie où les financements seraient accessibles et la matière grise abondante. Ces phalanstères où règnerait une confiance totale entre les acteurs, pourraient par capillarité propager leurs externalités positives sur le reste du territoire.
Le RUQ, kesaco ?
Pour cela, il faut commencer par identifier 10.000 profils de porteurs de projets. De préférence des ingénieurs et des cadres d’entreprise en début de carrière, des EMI, EHTP, ENSA, IAV, ENSIAS, ESITH, ISCAE, ENCG, Al Akhawayn, des majors de promotion en master spécialisé et en doctorat, brillants de par leurs classements académiques et ayant démontré une appétence aux idées, à leur concrétisation ainsi qu’une forte expertise en gestion de projet. Leurs notes au bac et dans les cycles supérieurs témoignent d’une discipline de fer, leurs premiers pas réussis en entreprise d’une capacité à travailler en équipe et à obtenir des résultats probants. En somme, des intra-preneurs coriaces qui selon l’expression anglo-saxonne « never take no for an answer ». Combien sont-ils ces Marocains pourvus d’un carnet d’adresses, d’une solide expérience, fourmillant d’idées de business qui se fossilisent gentiment dans un bureau, aliénés par une hiérarchie verticale et inflexible, sans pouvoir sauter le pas parce qu’il faut faire chauffer la marmite et que l’échec n’est pas envisageable, parce qu’on ne peut tenir deux mois sans des rentrées stables, qu’une tentative de devenir son propre patron est trop périlleuse, qu’elle s’apparente à un saut dans le vide, à une folie ? A ceux-là, il faut accorder un revenu universel de quiétude (RUQ). Autrement dit, un salaire mensuel les affranchissant de toute crainte du risque. Car, la hantise de préserver les bases d'une vie digne (loyer, alimentation, mobilité) agit tel un facteur de paralysie sur les velléités entrepreneuriales. Il est donc crucial d’assurer pendant cinq ans un revenu décent à ces 10.000 produits de l’excellence made in Morocco sur la base d’une fourchette pouvant atteindre 10.000 dirhams par mois. Il faudra aussi les entourer d'un écosystème dynamique, apte à démultiplier leur chance de réussite: réseau de VC, family office, private equity, fonds d’investissement ciblés, Crowdfunding, possibilité pour l’état d’émettre des obligations dédiées au financement de ces structures.
Fail, fail and fail again.
Mais plus important encore, il est nécessaire de garantir à ces entrepreneurs en herbe de pouvoir retrouver leur poste au sein de leur entreprise ou administration d'origine au terme d’une période de mise en disponibilité de 5 années. Une parenthèse où l’échec n’est pas une tare, où il ne signifie pas l’extinction sociale, l’apocalypse, où il n’est guère plus qu’une étape dans un long chapelet de tentatives menant au but escompté. « Si j’avais eu à prendre en charge une famille au lieu d’avoir le temps de coder, jamais je n’aurais créé Facebook », ainsi s’exprimait, lors d’une cérémonie de remise de diplômes à Harvard, Mark Zuckerberg qui milite activement pour la mise en place d’un revenu universel aux US. L'effort financier engagé par l'Etat marocain équivaudrait à 1,2 milliards de dirhams par an. Les bénéficiaires du RUQ seraient de facto éligibles au capital-risque, au financement bancaire et autres fonds d'amorçage. L’on pourrait même imaginer la création d’un compartiment en bourse pour ces PME afin de leur ouvrir un canal de croissance via l’épargne publique et le backups des institutionnels. La mission de ces 10.000 marocains, serait alors de prendre des risques sans penser aux lendemains qui déchantent. Leur objectif : développer une idée, aller au bout de leur potentiel, créer de la valeur et, par un « trickle down effect » de grande ampleur, irriguer le reste de la communauté nationale.
Hacker la croissance à tout prix !
Imaginons un instant que, libérés des contraintes oppressantes d’avoir un boulot, de parer à des charges inflexibles, ces 10.000 porteurs de projets, évoluant dans un cadre réglementaire, juridique idoine, accédant à des instruments de financement abondants, donnent naissance à 1000 PME pérennes, à croissance rapide, capables de hacker des secteurs faiblement concurrentiels tels les énergies renouvelables, les banques, l’assurance, l’administration publique (e-gov), l’agro-alimentaire, la logistique, la mobilité, l’aménagement du territoire, la décentralisation, l’industrie 4.0, l’économie de la mer, le tourisme, la productivité agricole, l’impression 3D, le big data, l’IA etc. 1000 PME avec un prévisionnel de chiffre d’affaires de 50 millions de dirhams au bout dix ans d’opérations, soit un potentiel de 50 milliards de dirhams de CA incrémental, autrement exprimé : 5 % du PIB actuel. Si l’on retient une masse salariale moyenne de 10 % du CA sur la base d’un salaire médian de 7.000 dirhams (2,5 fois le SMIG), nous parlons-là d’une création d’emploi substantielle : 60.000 postes, concentrés simplement sur les PME les plus performantes, compte non tenu du reste du pool. Le tout pour une contribution de l’Etat de l’ordre de 1,2 milliard de dirhams par an, soit la moitié de ce qu’absorbe en ressources publiques un programme comme Tayssir, ou 3 % du montant total des dérogations fiscales annuelles, ou encore, 17 % du prêt de 700 millions de dollars contracté par le Maroc auprès de la Banque mondiale pour accompagner la transformation digitale du pays.
Bousculer les forteresses de la rente
Pour y arriver, il faudra surtout faire participer le secteur privé, notamment celui de la rente, c'est à dire ces entreprises oligopolistiques qui du fait de leur taille, que ce soit dans l'agroalimentaire, la distribution, l'énergie, la banque, les assurances, l’immobilier, monopolisent sans conte stabilité aucune des marchés substantiels pour lesquels le ticket d'entrée, trop élevé, écarte mécaniquement toute concurrence nouvelle. Ceux-là devront s'acquitter d'une « contribution d'équilibre » calculable sur leur chiffre d’affaires et qui irait directement financer les projets des 10.000.
Un mitellstand dense et diversifié
Une chose est sûre : l'émergence demeurera une chimère tant qu’on gardera intacts les fondamentaux actuels ; à savoir : une économie fortement concentrée où quelques acteurs exploitent une rente de situation dont les richesses produites ne ruissellent jamais sur le reste de la société. Les nations émergentes ont su favoriser la naissance de ce que les allemands appellent un Mittelstand : une multitude de PME et d'ETI fortes, relativement jeunes, ancrées dans le territoire mais également ouvertes à l’internationale et fortement créatrices d'emploi. Ce noyau dur, seul accélérateur de développement, seul aiguillon possible au hacking de la croissance, est tout simplement inexistant dans notre pays. Pourtant, le développement passera par une régénérescence radicale du tissu économique ou ne passera pas. C’est la Banque mondiale dans son dernier rapport pays qui le dit. Si l’esprit d’entreprise est faible, empêché par un affectio societatis pétri de méfiance généralisée, mais aussi par le le fait que 8,5 % seulement des Marocains de plus de 25 ans possèdent un diplôme universitaire, et bien il faudra faire naître ce nouvel état d’esprit aux forceps. C’est bien simple, au Maroc seuls les exclus du monde du travail entreprennent. Non par désir, mais par dépit et le plus souvent, au moyen de leurs maigres fonds propres. Ce qui explique leur échec systématique et la mortalité confondante des TPE. Cela doit changer. Concentrer tous les efforts sur ceux qui ont une probabilité solide de réussite et les immuniser, grâce au RUQ, contre les aléas de la vie et la nécessité d’un salaire, est un premier pas crucial vers une modification du « mindset » ambiant.
Innover sans peur du lendemain
Libérer les énergies c'est précisément atténuer le facteur-risque lié à une prise d'initiative, à un basculement hors de sa zone de confort. Assurer une tranquillité d’esprit totale à 10.000 profils d’excellence est les laisser créer est une manière de disrupter le surplace stérile qui soumet la croissance du PIB à un plafond de verre hermétique. Dans ces laboratoires de l’excellence, l'administration et ses freins devront être réduits à néant : délais d'obtention du certificat négatif nuls, conditions d'accès à la commande publiques allégés, fiscalité proche de zéro, accès défiscalisé et désocialisé au capital humain, incitations massives en termes de foncier. Dès lors que l'on possède le label RUQ, toutes les portes doivent s'ouvrir devant soi. Nous parlons là d'un équivalent, mais en plus extrême, des zones franches dédiées à l'investisseur étranger. Le coût pour l'Etat, atténué par une « contribution d'équilibre » de la part des mastodontes oligarchiques (ce qui ne serait qu’un juste retour des choses tant ces structures se sont gavées de commandes publiques et de législations favorables), est dérisoire. La tâche serait plus aisée encore si l'on se résout à donner un coup de rabot aux niches fiscales, ces écuries d’Augias coupables d'une gabegie sans nom : 33 milliards par an visant principalement un secteur immobilier moisissant dans la suroffre et les prix stagnants, et duquel la classe moyenne, citée expressis verbis par le roi dans son dernier discours, est de facto exclue car coincée entre une offre low-cost inadéquate et du résidentiel de luxe à jamais inaccessible.
Que représente 1,2 MMDH ? Une bagatelle pour un état capable de dilapider 43 MMDH dans un plan d'urgence de l'éducation lequel, loin de faire progresser l'enseignement, en a détricoté les meilleures pratiques, transformant ce qui jadis, grâce à la coopération étrangère, était une école de l'ascension sociale en une école de l’anéantissement cérébral, véritable entreprise de stupidité collective ayant fait chuter le QI national de plusieurs crans en moins d’une génération.
L’UBI, une idée qui fait son chemin
L’idée d’un revenu de base n’est plus synonyme d’utopie. De plus en plus, elle fait l’objet d’expérimentations ciblées (Finlande, Namibie, Inde) qui donnent des résultats exceptionnels, démultipliant les prises de risques chez les bénéficiaires et maximisant les créations d’entreprises. Aux Etats-Unis, Andrew Yang, candidat démocrate à l’investiture de son parti pour les prochaines présidentielles, propose de servir un UBI (Universal Basic Income) à la population afin de réveiller la fibre entrepreneuriale américaine, véritable catalyseur de la croissance outre-Atlantique mais qui, ces dernières années, tend à s’assoupir. Sa philosophie, inspirée par les travaux du chercheur Scott Santens sur le sujet, est la suivante : « La question qui se pose est comment réduire les risques d'échec afin que plus de gens prennent des risques. Mieux, comment augmenter le taux d'échec? Cela peut sembler contre-intuitif, mais l'échec n'est pas quelque chose qu'il faut éviter. C'est à travers l'échec que l'on apprend ce qui fonctionne ou pas. » Or, explique Yang, la possibilité d’échouer n’incombe qu’à un Happy few doté d’un capital social élevé. Ce privilège permet à une infime minorité de s’extraire des contraintes du quotidien pour oser des choses, exploiter l’opportunité d’échouer. Yang propose donc de rémunérer tout américain 12.000 $ par an (1000 $ par mois) afin d’encourager le désir d’innover sans peur du lendemain. Il établit une analogie avec la mécanique à l’œuvre dans le capital-risque. Aux Etats-Unis, les VC (Venture-capitalist) arrosent une vaste constellation de primo-entrepreneurs de cash dans l’espoir qu’une dizaine de projets engendrent suffisamment de valeur pour assurer la rentabilité globale du portefeuille. C’est ainsi que des licornes comme Facebook, Tesla, Uber, Google ont pu voir le jour.
Un beau pari sur l’avenir.
Naturellement au Maroc, il serait impensable de déployer un dispositif analogue sur l’ensemble de la population pour cause de ressources limitées. Mais à 1,2 milliard de dirhams, l’UBI version locale se concentrerait sur un échantillon de Marocains portant en eux les germes du succès entrepreneurial. Succès pouvant ensuite rejaillir sur une large partie de la population. Le RUQ donnerait la latitude aux entrepreneurs d’innover sans craindre l’échec paralysant, dans un pays où les filets sociaux sont absents. Souvent la perte d’un emploi au Maroc signifie une descente expresse dans les affres de la misère. Raison pour laquelle tant de nos jeunes sont obsédés par la fonction publique, le travail à vie. La gestion de la rareté enracine une mentalité de la peur dans les psychés et impose une concession majeure : troquer ses rêves de réussite contre l’assurance d’un salaire moyen, d’une vie étriquée, sans bonheur, sans réalisations, sans véritable gratification. Le RUQ n’est pas la panacée, mais si l’Etat est déterminé à sortir de la trappe du revenu intermédiaire à tranche inférieure, les méthodes classiques, conventionnelles n’y feront rien. Encourager par le verbe incessant les jeunes à tenter l’entrepreneuriat est bel et bon, mais que fait-on concrètement pour les y amener ? Instituer le RUQ, y compris sous une forme expérimentale, sujette à évaluation après coup, serait un bon début. Le concept reste, bien entendu, à affiner, le nombre et le profil des bénéficiaires à déterminer, le montant du RUQ à examiner, un « proof of concept » à forger, mais l’esprit du dispositif gagnerait à être examiné avec sérieux. Sans doute faudra-t-il permettre aux Marocains du Monde d’y jouer un rôle. Le récent dossier de TelQuel présentant une galerie de super-performers parmi nos MRE rend compte de l’étendue du génie marocain. Génie pluridisciplinaire dont le Maroc reste, hélas, privé des fruits.
Le sang neuf, encore, toujours.
En parlant de génie, il existe un homme auquel ce vocable colle parfaitement : le professeur Hamid Bouchikhi. Président du centre d’entrepreneurs hip à l’ESSEC, principale école de commerce française. Celui-ci a dédié sa carrière à former les jeunes à l’esprit d’entreprise. Autorité mondialement reconnue dans le domaine, son input dans la mise en place d’un RUQ pourrait être décisif. Maintenant qu’il s’agit d’installer une commission de réflexion autour d’un nouveau modèle de développement, son expérience, sa sagesse et son talent, sont plus que jamais à l’ordre du jour. Il faut espérer d’ailleurs que cette commission, appelée des vœux de la plus haute autorité de l’Etat, exclut de ses rangs ces visages tristement familiers qui, de longues années durant, ont gelé la progression du pays par leurs idées ruineuses. Que la même cohorte d’incontournables aux visions périmées y soit majoritairement représentée et l’échec sera de nouveau au rendez-vous. La commission devra impérativement être à dominante sang neuf. Hamid Bouchikhi et beaucoup d’autres amoureux sincères de leur patrie y ont toute leur place. Leur mindset, étranger aux tambouilles passéistes et aux solutions rapiécées, apportera la substance antidotique nécessaire à un éveil marocain, au grand bond en avant qui nourrit bien des attentes. Les attentes d’une nation entière. Evitons cette fois-ci de les décevoir.
Réda Dalil
Le 23 août 2019
Source web Par mondistain blogspot
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