Turquie : qui est TURSAB, le syndicat des AGV qui a fait interdire Booking ? TURSAB serait en passe d'évincer IATA
Entré en désuétude après vingt ans d'une gérance chaotique, l'équivalent des Entreprises du Voyage turc, TURSAB, est reparti de l'avant avec la nouvelle présidence. Avec plus de 10 000 adhérents, un nombre de licences fixe et l'interdiction de Booking en Turquie, le syndicat possède à son actif quelques faits d'armes. Le prochain pourrait bien être de se passer de IATA. Rencontre avec Nurten Keskin Rollier, conseillère pour TURSAB, et les avis de Valérie Boned (EDV), puis Michel de Blust (ECTAA).
Imaginez un monde où Booking a été rayé de la carte, où IATA pourrait ne plus dicter sa loi et où les immatriculations sont délivrées par le syndicat des agences.
Cette réalité n'existe pas dans un univers parallèle, mais elle est palpable de l'autre côté de la Méditerranée, en Turquie plus précisément.
L'équivalent des Entreprises du Voyage turc, nommé TURSAB, a connu un important virage, il y a deux ans après plus 20 ans de présidence "marquée par la corruption", selon Nurten Keskin Rollier, conseillère pour le syndicat.
Pendant ces deux décennies, la profession n'a pas su s'adapter aux enjeux du XXIe siècle et connu des attaques venues de l'extérieur avec notamment les agences de voyages en ligne, mais pas seulement.
En effet, avant 2015 tout un chacun pouvait devenir agent de voyages, contre 6 417 euros et avec un simple ordinateur.
Cinq ans plus tard, tout a changé, avec pour objectif de "garantir la durabilité de notre métier et surtout nous faire respecter."
Pour assurer cette ligne de conduite, un cahier des charges a été publié, ce qui permet à TURSAB de "devenir un acteur incontournable du tourisme, et surtout plus aucune loi ne peut être mise en place sans nous consulter."
Comment un syndicat a-t-il pu connaître une telle transformation en si peu de temps ?
Un quota de 10 000 agences et pas une de plus !
Tout a commencé par un important ménage effectué, en renvoyant les anciennes équipes.
Pour repartir de l'avant, le syndicat est allé frapper aux portes du ministère du Tourisme et des différents acteurs, avec pour seul objectif de changer la loi et surtout la faire appliquer.
Pour ce faire, des équipes de professionnels contrôlent sur tout le territoire que les entreprises du voyage sont conformes à la loi, ce projet doit être ratifié dans le courant de la semaine.
Dorénavant, pour devenir agent de voyages, la personne doit posséder une licence délivrée exclusivement par le syndicat dont le coût est fixé à 38 195 euros alors que le salaire moyen était de 811 euros en 2017. A titre de comparaison en France, un forfait est appliqué selon le volume d'affaires pour l'obtention de la garantie financière, indispensable sésame pour devenir agent de voyages.
L'argent n'est pas la simple porte d'entrée à la création d'une nouvelle agence, puisque le propriétaire de celle-ci doit justifier avoir été cadre dans une entreprise du voyage pendant 6 ans et sortir de l'université du secteur.
Ces contraintes s'appliquent aussi bien au créateur qu'à ses employés.
Une double barrière permettant de délimiter le périmètre des agences de voyages à 10 000 en Turquie.
"Nous nous sommes basés sur les licences de taxi ou celle des licences d'alcool en France. Cela confère une réelle valeur à l'immatriculation. Un agent quand il veut revendre son agence est sûr de toucher au minimum le coût de sa licence."
Pour répartir ses 10 000 licences à travers le territoire, chaque région et ville a été analysée pour connaître les besoins.
"Nous avons tissé un réseau région par région, avec des équipes locales, pour que chacun puisse avoir sa part du gâteau," confie la conseillère de TURSAB.
Booking mis à l'arrêt, bientôt le tour de IATA ?
Nurten Keskin Rollier au centre de la photo avec le livre - Crédit photo : RP
Et pour faciliter les démarches, "elles ont toutes été digitalisées, dans le même temps, nous avons créé un fonds de crise pour aider les agences en difficulté financière. Pour que le commerce fonctionne, les agences doivent se sentir soutenues et en sécurité, pour cela nous sommes joignables 24h/24 et 7j/7.»
Une sécurité aussi acquise en obligeant Booking à fermer boutique. Pour arriver à ses fins, TRUSAB a porté plainte contre le géant américain pour concurrence déloyale et situation de monopole.
La condition pour exercer correctement la profession d'agent de voyages est simple : "vous devenez membre du syndicat et vous payez vos impôts sur le territoire, ce qu'ils ont refusé. Si aujourd'hui Booking est interdit, demain nous allons nous attaquer à IATA pour qu'ils s'adaptent aux spécificités turques."
D'après les informations récoltées sur place, le syndicat aurait déjà trouvé la parade pour se passer de l'omnipotent IATA, reste à savoir si cela n'est pas un simple effet d'annonce pour faire plier les compagnies.
Notre métier, ce n'est pas de vendre
Une profession existe aussi et avant tout car elle apporte une valeur ajoutée.
Pour assurer une uniformisation et une bonne base de compétences à l'ensemble de la sphère touristique, TURSAB a monté sa propre académie. Elle comprend un lycée professionnel, une fondation et une université à Ankara.
Ces instituts assurent non seulement la formation, mais aussi des revenus au syndicat.
"Nous manquions beaucoup de techniciens qualifiés, donc nous nous évertuons à former ce genre de profil. Pour établir un guide de la formation, nous avons interrogé nos adhérents et mis en place des outils ou des modules d'apprentissage en phase avec les carences des agents", explique Nurten Keskin Rollier.
Le syndicat donne l'impression de dicter sa loi à l'ensemble de l'industrie, ce côté autoritaire pourrait faire peur, mais la conseillère tente de dédramatiser.
Cette concentration des pouvoirs "n'est pas réelle. Centralisation ne veut pas dire imposer sa vision, car nous avons un important réseau en local.
Il faut savoir que ce n'est pas le président qui a la parole et décide de tout, car sa présidence ne dure que 3 ans." Une fois le mandat terminé, le responsable et les équipes quittent le bateau.
TURSAB donne l'impression d'avoir repris en main son destin, toutefois cette vision est unilatérale et sa réussite doit sans doute être pondérée.
Propriétaire du réseau de réceptifs Blue Days Travel & Wisdom Travel, Nurten Keskin Rollier porte un regard inquiet sur la France.
"J'ai peur qu'ils aient perdu la bataille, car les jeunes générations se passent des agences de voyages, il faut impérativement protéger les acteurs du tourisme. N'oubliez pas une chose, notre métier n'est pas de vendre."
Pour restaurer la confiance des consommateurs, les syndicats "doivent se fixer comme cap de défendre ses valeurs et non ses intérêts," conclut Nurten Keskin Rollier.
Selon vous, les Entreprises du Voyage doivent-elles prendre exemple sur TURSAB ?
L'avis de Valérie Boned : "TURSAB est un peu à l'image de son pays"
"Cela peut en faire rêver certains, mais il ne faut pas oublier que nous sommes dans deux pays différents, avec des cultures qui ne sont pas les mêmes.
En France, nous sommes dans un marché libéral, il nous est impossible de réguler de façon drastique l'économie et imposer un quota.
Si vous prenez un échelon au-dessus, l'Union européenne est plutôt dans une dynamique de déréglementation, pas seulement dans le voyage, mais dans toutes les activités économiques.
TURSAB est un peu à l'image de son pays. Notre caution et entrée dans le secteur des agences de voyages se fait avec la garantie financière. Ce que font nos collègues turcs n'est pas dans le sens de l'histoire, telle que nous la connaissons chez nous.
Après nous rejoignons TURSAB sur un point : Booking ne respecte pas l'immatriculation et nous voulons que la plateforme se conforme."
L'avis de Michel de Blust : "TURSAB vit une situation privilégiée..."
"TURSAB vit une situation privilégiée, car dans aucun autre pays européen, pour détenir une agence de voyages ou agrément, il faut être membre de l'association.
Le ministère du Tourisme leur a délégué l'attribution des licences, ils sont dans une position favorable, par rapport à leurs homologues européens.
Dans le même temps, ils ont visiblement une relation étroite avec le ministère du Tourisme, ce qui leur permet de se positionner différemment, en parvenant à mettre à l'arrêt Booking. Cela est basé sur une législation propre qui ne serait pas applicable en Europe.
Le fait de mettre un numerus clausus sur le nombre de licences, le détenteur d'un agrément s'il souhaite transmettre ou vendre, cela confère à l'entreprise une valeur supplémentaire.
Je suis peut-être trop libéral dans mon approche, mais je suis tenté de dire que ce sont surtout dans les Etats membres de l'UE où il n'y a pas de licence que les agences se portent le mieux.
En fait, elles doivent avoir un business modèle rentable et ne pas s'appuyer uniquement sur une rente de situation qui découlerait d'un rationnement des licences. Toute la Scandinavie, l'Europe Centrale et du Nord n'ont pas de système de licences et ça fonctionne bien.
Donc je ne crois pas que la licence soit un gage de rentabilité, mais il faut plutôt être en phase avec son marché. Le système TURSAB a permis au marché turc d'opérer dans un certain équilibre."
Le 18 juin 2019
Source web tourmag
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