Gestion communale : trois ans de bricolage dans les grandes villes
Après l’épisode des destitutions (art.70), le ministère de l’intérieur brandit l’article 76 de la loi organique relative aux communes. Le cumul des responsabilités empêche les responsables des grandes villes de se concentrer sur leurs communes.
Trois ans après les élections, les collectivités territoriales bouclant en ce mois de février la première session ordinaire de la deuxième moitié de leur mandat. Certains responsables communaux, et d’autres collectivités territoriales, en ont profité pour présenter leur, manifestement, maigre résultat et d’autres pour repousser le règlement de leurs problèmes à une date ultérieure, quand ils ne les refilent pas à d’autres institutions. C’est ainsi, par exemple à Casablanca, que la gestion du transport urbain a été reléguée à l’Etablissement de coopération intercommunal (ECI), conduit par la présidente (PJD) fraîchement élue du Conseil de la ville de Mohammedia. Du coup, le Conseil de la ville s’est défait de tout lien contractuel et légal avec l’ancien gestionnaire délégué du transport urbain dans la ville. De même, après près d’une année de gestion chaotique des déchets ménagers, le conseil s’apprête enfin à signer de nouveau un contrat de gestion avec de nouveaux délégataires. Pour le reste, la circulation dans la ville est catastrophique, tout comme l’est la gestion du stationnement, l’état de la voirie est déplorable et l’occupation de l’espace public est, à de rares exceptions près, que l’on doit d’ailleurs à l’autorité locale, omniprésente. Des chantiers livrés hors délai, d’autres à l’arrêt et la liste est longue. Le pire est que ce ne sont que des exemples.
De même, il aura fallu à la ville de Casablanca, par exemple, deux ans pour adopter son plan d’action communal (PAC), voté finalement lors de la session ordinaire de février 2018 pour un budget global de près de 53 MMDH. Et encore, un projet sur trois ans prévus dans le PAC fait déjà partie du plan de développement lancé en 2014, c’est-à-dire avant l’arrivée du PJD aux commandes de la ville. Pour le reste, elle dépend du bon vouloir des autres contributeurs. La métropole n’est qu’un exemple, on pourrait dire autant, sinon plus, de la commune de Tanger qui, elle, est techniquement en faillite. La commune de Fès se trouve dans la même situation, également empêtrée dans les problèmes de gestion au même titre que Rabat, Agadir ou encore Marrakech et Tétouan, bref pratiquement toutes les grandes villes. Curieusement, le point commun entre toutes ces villes, en plus d’être dirigées par le PJD, qui a pris le soin, relève un analyste politique, d’associer à sa coalition des élus de certains partis politiques sans doute pour ne pas avoir à assumer seul les conséquences de sa gestion, c’est qu’elles ont une autre particularité. Leurs présidents de conseil sont pris par d’autres occupations.
Travailler ou se retirer
Le maire de Casablanca est, en effet, également député et premier vice-président de la première Chambre. Son collègue de Fès est, lui aussi, député, chef de groupe parlementaire et président du conseil national de son parti. Le président du conseil de la ville de Meknès est, lui, député et président de commission. Leurs homologues de Marrakech, Agadir, Tétouan, Tanger, Rabat, pour ne citer que ces villes, sont tous des parlementaires. Le PJD peut, s’il le souhaite, se rattraper à l’ouverture de la prochaine séance parlementaire de printemps, en avril prochain. Il pourra, en effet, décharger ces présidents des communes des missions qu’ils assument au sein du Parlement pour ne garder que leur titre de parlementaire. Cela étant, le résultat de la situation actuelle est tel que le RNI, l’un des principaux partenaires du PJD dans certaines grandes villes, se dit aujourd’hui «insatisfait» quant à la façon avec laquelle sont gérées globalement les grandes villes. Le parti se dit, même, «préoccupé» par la situation désastreuse que vivent certaines de ces villes et ce, malgré l’avancée qu’a connue le pays durant ces dernières décennies en termes de législation spécifique aux collectivités territoriales. Ne parlons même pas de l’opposition, représentée dans la majorité des cas par l’Istiqlal et le PAM qui ne cessent de critiquer le mode de gestion des grandes communes par le PJD, et ce, depuis ses premiers pas et, également, ses premiers couacs. La situation est, en effet, si inquiétante que le ministère de l’intérieur, qui assure le contrôle administratif des collectivités territoriales a décidé d’agir avec fermeté pour préserver les intérêts des citoyens et de la communauté. Il a déjà, d’ailleurs, donné l’exemple, en mettant à exécution l’article 77 de la loi organique relative aux régions, à Guelmim-Oued Noun. Il y a quelques semaines, il revient à la charge en généralisant une circulaire, le 18 janvier, mettant en garde les présidents de communes qui refuseraient de s’acquitter de leurs missions et d’exercer les compétences qui leur sont dévolues par la loi. A défaut, le ministère de l’intérieur serait obligé de faire usage des prérogatives prévues dans l’article 76 de la loi relative aux communes afin de préserver les intérêts des citoyens. Le ministère de l’intérieur a tenu par ailleurs à préciser qu’il ne s’agit pas seulement d’atteinte au bon fonctionnement de l’administration, sur le plan administratif des communes au point de nuire aux intérêts des citoyens, mais aussi d’entraves aux projets économiques censés relancer et promouvoir l’investissement et créer de l’emploi. Il est clair qu’après avoir été bousculé par le couperet de l’article 70 à l’approche du mi-mandat, des présidents de communes sont aujourd’hui à la merci de l’article 76, et ce, durant le restant de leur mandat.
Des erreurs de gestion
Le problème de mauvaise gestion des grandes communes, note ce vieux routier de la gestion communale, se manifeste par la manière de traiter les problématiques récurrentes comme le transport urbain, la collecte des déchets, l’état de la voirie, l’éclairage public, les espaces verts, la circulation et les aires de stationnement et l’occupation illégale du domaine public, entre autres. Les dirigeants de ces villes font également montre d’une flagrante incapacité en matière de gestion financière. Les déficits s’accumulent d’année en année et certaines villes, au bord de la faillite, sont aujourd’hui incapables d’honorer leurs engagements financiers au point de faire l’objet de jugements successifs hypothéquant leurs revenus. Le PJD a tenté de remédier à la situation en tentant d’inclure un cavalier budgétaire dans le projet de Loi de finances pour «protéger» les communes qu’il dirige contre leurs créanciers (www.lavieeco.com). En outre, d’après cet élu communal, le PJD aurait commis l’erreur de marginaliser plusieurs cadres dans les communes qu’ils dirigent sous prétexte qu’ils sont restés loyaux aux partis de l’opposition tout en favorisant la promotion de ses propres cadres. La deuxième erreur des dirigeants communaux du parti islamiste étant, et de loin, cette propension, chez eux, à mener une campagne électorale permanente. Cela en accordant une attention particulière à certains secteurs dont principalement le soutien aux associations, de préférence celles qui leur sont proches, au point de pousser le ministère de l’intérieur à y mettre le holà, en réglementant le financement des associations par les communes et en révisant les conditions de bénéficier des financements de l’INDH. Certaines activités, électoralement très rentables, attirent également les responsables des communes comme la voirie, les services de proximité… Ils ont inventé dans ce cadre un «guichet funéraire unique», entre autres nouveautés de ce genre dans plusieurs communes qu’ils dirigent. Une autre tare qui accompagne la gestion des grandes villes, le manque de compétences, à de rares exceptions près, les élus du PJD dont des présidents de communes sont passés, sans transition, de la direction d’une classe de quelques dizaines d’élèves à la gestion d’une ville de plusieurs centaines de milliers d’habitants. Ce qui leur fait prendre des décisions cruciales d’une façon hasardeuse, aux lourdes conséquences sur leurs communes et le plus souvent d’une manière unilatérale sans concertation avec le reste des membres du conseil. La Cour des comptes l’a relevé, en de nombreuses occasions, le non-respect des normes de gestions surtout pour ce qui est de la passation des marchés publics ou des procédures d’expropriation, ou encore en matière d’exécution du budget communal dont ces communes ont payé et continuent de payer les lourdes conséquences.
En somme, malgré l’accompagnement de la Direction générale des collectivités locales (DGCL), l’œil vigilant de l’autorité locale, les alertes sur les écarts de gestion lancées par la Cour des comptes et l’Inspection générale de l’administration territoriale (IGAT), les communes n’arrivent toujours pas à mener correctement leur mission. Peut-être que les prochaines élections de 2021 apporteront enfin le véritable changement attendu depuis 2011.
Repères juridiques
Article 70
Les deux tiers (2/3) des membres du conseil de la commune en exercice peuvent, à l’expiration d’un délai de trois années du mandat du conseil, présenter une requête demandant au président de présenter sa démission. Cette requête ne peut être présentée qu’une seule fois durant le mandat du conseil. Cette requête doit être inscrite obligatoirement à l’ordre du jour de la première session ordinaire tenue par le conseil lors de la quatrième année de son mandat. Si le président refuse de présenter sa démission, le conseil peut lors de la même séance demander par une délibération, approuvée par les trois quarts (3/4) des membres en exercice, au gouverneur de la préfecture ou de la province de saisir le tribunal administratif compétent pour demander la révocation du président. Le tribunal statue sur la demande dans un délai de trente (30) jours à compter de sa saisine.
Article 76
Lorsque le président s’abstient de prendre les actes qui lui sont impartis par la présente loi organique et que cette abstention nuit au fonctionnement normal des services de la commune, le gouverneur de la préfecture ou de la province demande au président d’exercer les fonctions qui lui sont dévolues. A l’expiration d’un délai de sept (7) jours à compter de la date d’envoi de la demande sans que le président n’y donne suite, le gouverneur de la préfecture ou de la province saisit la juridiction des référés près le tribunal administratif en vue de statuer sur l’existence de l’état d’abstention. La juridiction des référés statue dans un délai de 48 heures à compter de l’introduction de la saisine près le greffe de ladite juridiction. II est statué tel que prévu à l’alinéa précédent par décision de justice définitive et sans convocation des parties le cas échéant. Lorsque la décision de justice constate ledit état d’abstention, le gouverneur peut se substituer au président dans l’exercice des actes que ce dernier s’est abstenu d’exercer.
Le 22 février 2019
Source web : la vie eco
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