Grosses menaces sur la construction métallique lourde: trois fleurons en graves difficultés

Trois fleurons de l’industrie métallique marocaine connaissent de grosses difficultés. L’un est en difficulté financière, le deuxième est placé en sauvegarde judiciaire et le troisième en liquidation. Selon la profession, il ne s’agit pas d’une coïncidence, c’est tout le secteur qui est menacé.
Delattre Levivier Maroc, DLM en abrégé.
Stroc Industrie.
Buzzichelli.
Trois fleurons de la construction métallique lourde.
Trois entreprises qui ont construit une partie non négligeable du Maroc et de son tissu industriel et qui se retrouvent en difficulté.
Elles représentent des milliers d’emplois, du savoir-faire marocain, localement ancré.
Delattre Levivier reconnaît des difficultés de trésorerie et affirme attendre le dénouement d’un arbitrage international ainsi que la conclusion de négociations concernant l’exécution d’un contrat au Maroc. Les résultats à fin juin montrent un recul de l’activité et des résultats.
Selon des sources professionnelles, les salaires du mois d’aout 2018 ont été payés avec un mois de retard, les ateliers sont vides et plusieurs cadres ont démissionné.
Les mêmes sources affirment que DLM a contracté des marchés à des prix très bas à cause de la cause effrénée que connaît le secteur et de la pression des donneurs d’ordre. L’exécution de l’un des plus importants marchés a été marquée par un important retard. Un gros investissement dans la construction de mâts d’éoliennes s’est avéré improductif puisqu’il n’y a pas eu de commandes à ce jour.
Notons que DLM est cotée à la bourse de Casablanca.
Stroc Industrie est devenue le 12 juillet dernier la première société cotée en bourse à bénéficier de la nouvelle procédure judiciaire de sauvegarde, d’ailleurs à sa demande.
Le tribunal a donc estimé que Stroc éprouvait des "difficultés qu’elle n’est pas en mesure de surmonter et de nature à la conduire, dans un avenir proche, à la cessation de paiement“. L’objectif est de permettre à Stroc de "dépasser ses difficultés", en garantissant la poursuite de son activité, le maintien de l’emploi et le paiement des créanciers.
Le troisième cas est celui de Buzzichelli, placée en liquidation judiciaire jeudi dernier 27 septembre 2018. Le tribunal a jugé que sa situation est “irrémédiablement compromise“.
La société versait 20 MDH de masse salariale par an. En période de pointe, lorsqu’il y avait des contrats importants, elle pouvait employer jusqu’à 2.000 à 2.500 salariés. Elle a également à son actif des contrats en Afrique subsaharienne.
Des sources proches de la société et de l’écosystème de la construction métallique à Mohammédia, font valoir “l’absence de volonté suffisante pour prendre en considération ce secteur qui a une vraie valeur ajoutée et une vraie capacité à l’export“.
Selon les mêmes sources, le Maroc a investi massivement dans l’infrastructure sans animation des écosystèmes. “Les concurrents étrangers, chinois, sud-coréens ou turcs, arrivent comme des éléphants dans une mare à nénuphars“, accuse notre source. Les Turcs viennent parce qu’ils ont appris à travailler dans leurs propres installations, en profitant de leurs propres programmes d’investissements. “Nous, nous n’avons pas de cadre qui nous protège, nos installations ont été livrées à d’autres“.
Dans les milieux professionnels, on accuse les entreprises étrangères adjudicataires de nombreux gros contrats au Maroc, d’être arrivées avec “des promesses qu’elles n’ont pas tenues, avant de le quitter en laissant des ardoises et des litiges“.
"Les autres pays ont créé des champions nationaux, le Maroc fait le contraire"
Contacté par Médias24, Tarik Aitri, nouveau président de la FIMME (Fédération des industries métallurgiques, mécaniques et électromécaniques), estime que tout le secteur de la métallurgie-chaudronnerie-construction métallique, est en difficulté.
Depuis une dizaine d’années, les gros donneurs d’ordre nationaux ne font plus des appels d’offres par lots, mais sont passés au modèle EPC (Engineering Procurement and Construction ou Ingénierie, Approvisionnement et Construction). Le donneur d’ordre recherche un seul contractant qui va lui livrer le projet clés en mains. Le contractant gère la totalité du projet quitte pour cela à sous-traiter une partie ou tous les travaux. C’est lui le responsable final du projet.
Le problème, c’est que les entreprises marocaines n’ont pas une taille suffisante pour des travaux de cette ampleur et avec un spectre large de spécialités. Dans la plupart des cas, des entreprises étrangères, généralement sud-coréennes, chinoises ou turques, gagnent les gros marchés marocains.
C’est comme ça qu’on a vu une entreprise turque arrivée pour l’autoroute Rabat-Tanger et ne jamais repartir. Après le collecteur sud-ouest de Casablanca, elle réalise actuellement la trémie des Almohades à Casablanca.
Dans les milieux professionnels, on vous cite abondamment des exemples d’entreprises étrangères qui ont gagné des marchés marocains, par exemple dans la région d’El Jadida, d’Ouarzazate ou de Jerada. Les donneurs d’ordre concernés sont OCP, Masen ou l’ONEE et la liste n’est pas exhaustive.
Dès qu’on lance le sujet, nos interlocuteurs sont volubiles: des entreprises asiatiques sont accusées d’importer leur main d’œuvre, de la faire travailler avec un visa touristique, de sous-traiter une partie aux entreprises marocaines sans les pays correctement, ni dans les temps, voire sans les payer du tout.
En d’autres termes, à en croire ces accusations nombreuses et unanimes, ces gros investissements marocains sont transformés en salaires versés à une main d’œuvre asiatique, tandis que la valeur ajoutée va à l’étranger.
Les relations entre les contractants étrangers et les sous-traitants marocains sont souvent secouées par des tensions ou des conflits. Nos interlocuteurs nous citent des exemples d’ardoises ou de litiges locaux ou internationaux. L’arbitrage en cours au niveau de DLM en fait partie.
L’une de nos sources explique que la majorité des contrats sont en anglais, et que les entreprises marocaines ne sont généralement pas outillées sur le plan juridique. Certaines sont soumises à des pénalités.
L’une des sources professionnelles les plus en vue que le Maroc a investi dans des contrats similaires l’équivalent de 50 milliards de dollars au cours des dix dernières années, “un argent qui a été pompé par l‘étranger“.
Tarik Aitri déplore qu’au moins dix mille emplois soient perdus à cause des difficultés des trois sociétés Stroc, Buzzichelli et DLM. “Quand une société disparaît, tout un écosystème est ébranlé. Chacune de ces trois sociétés avait 30 à 40 sous-traitants“.
Non sans amertume, il rappelle que les pays comme l’Espagne ou la Turquie ont bien profité de leurs propres investissements pour créer des champions nationaux alors que le Maroc relègue ses champions au deuxième rang.
“L’Europe et les Etats-Unis protègent leurs entreprises d’une manière volontariste. Le Maroc doit revenir à l’ancien modèle d’exécution des projets“. Tarik Aitri espère un sursaut gouvernemental: “le discours du Roi Mohammed VI le 20 aout dernier, a fait l’état des lieux, il a tout résumé. Il faut maintenant de la part du gouvernement de la volonté et de l’implication“.
Ce que dit le syndicat CDT
Mené par l'infatigable Houssine Yamani, le syndicat CDT section de Mohammédia va en grande partie dans le même sens.
Dans un communiqué diffusé peu après le jugement de liquidation (fac-similé), il rappelle les nombreuses correspondances qu'il a adressées avant la mise en liquidation, à la préfecture, au chjef du gouvernement et au ministre de l'Industrie. Il déplore que le marché marocain soit ouvert à la concurrence déloyale qui entraîne des fermetures d'usines en série, avec un désastreux effet domino sur l'emploi et la santé financière des écosystèmes.
Le 30 septembre 2018
Source web par: medias24
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