7 questions pour comprendre la campagne de boycott
Sous-estimée au départ, la campagne de boycott de l’eau minérale Sidi Ali, du lait de Centrale Danone et des stations-service Afriquia, lancée le 20 avril dernier sur les réseaux sociaux, prend de l’ampleur. Comment a-t-elle démarré? Que vise-t-elle au juste? A-t-elle eu un impact sur les ventes des entreprises concernées ? Le point en 7 questions/réponses.
S’agit-il d’une première dans l’histoire de la consommation au Maroc ?
C’est en effet la première fois qu’une mobilisation populaire est menée uniquement sur les réseaux sociaux. Du Hirak du Rif à celui de Jerada, le Maroc a connu ces deux dernières années une série de mouvements de contestation, où les médias sociaux ont servi d’élément de coordination, mais où le mot d’ordre était principalement l’occupation de l’espace public. Avec ses allures de désobéissance civile, le boycott s’avère aujourd’hui plus efficace, et certainement, plus fédérateur. Ce n’est pourtant pas la première fois que les consommateurs marocains se rebiffent. En septembre 2006, les habitants de Bouarfa (province de Figuig) avaient décidé de boycotter le paiement et l’usage de l’électricité, à cause des montants élevés des factures et de la « mauvaise qualité » du service. Mais contrairement à la situation actuelle, la population avait recouru à l’époque à un ensemble de sit-in et de manifestations jusqu’à ce que l’ONEE se mette à la table des négociations avec ses représentants.
Qui est à l’origine de la campagne?
C’est l’une des questions les plus récurrentes au sujet du boycott des produits des trois entreprises. Alors que certains y voient une instrumentalisation de la population visant des personnalités politiques comme Aziz Akhannouch, les boycotteurs affirment qu’il s’agit d’un ras-le-bol citoyen réel, tirant son origine de la hausse des prix et de la baisse du pouvoir d’achat. Plus précisément, les appels au boycott ont commencé à circuler sur des pages Facebook suite à deux campagnes similaires en Tunisie et en Algérie. La première ciblait les sardines, jugées trop chères, et portant le hashtag #laisse-les pourrir, tandis que la deuxième visait les voitures à cause de leurs « prix excessifs », accompagnée du hashtag #laisse-la rouiller.
Que reproche-t-on aux entreprises boycottées?
Le boycott s’en prend à trois entreprises leaders dans leurs secteurs d’activité et commercialisant des produits de grande consommation: l’eau, le lait et les hydrocarbures. Les internautes dénoncent le prix de vente de l’eau minérale Sidi Ali, mise en vente à 6 dirhams la bouteille de 1,5 litre (contre 5 dhs en moyenne pour les autres marques) par les Eaux Minérales d’Oulmès, filiale du groupe Holmarcom dirigé par la famille Bensalah. Le lait Centrale Danone, vendu à 7 dirhams le litre, est quant à lui considéré « trop cher » par rapport à son coût de production et à sa « qualité ». Le boycott d’Afriquia, lui, vient en réaction à la flambée des prix de l’essence et du gasoil, qui atteignent des chiffres record depuis plusieurs semaines.
L’entreprise cotée en bourse a enregistré une progression de 19,5% de son résultat net en 2017, affichant 550 millions de dirhams selon la Bourse de Casablanca. Une tendance haussière qui s’explique d’abord par la chute des cours du pétrole sur le marché international, ainsi que par la libération des prix du carburant en 2015 par le gouvernement Abdelilah Benkirane.
Qu’en disent les politiques?
Il faut dire que les propos de certains responsables mettent de l’huile sur le feu. Interpellé au parlement à ce sujet, le ministre des Finances Mohamed Boussaid n’a fait qu’alimenter la colère des internautes: « Nous nous devons d’encourager l’entreprise et les produits marocains, contrairement à ce que font certains étourdis (mdawikh) », a persiflé le cadre du RNI. A son tour, Aziz Akhannouch, président du RNI, ministre de l’Agriculture et de la Pêche et patron d’Afriquia, a tenté de minimiser l’impact du boycott de sa société et d’autres produits relevant de la tutelle de son département, en le réduisant à « une campagne virtuelle décalée de la réalité« . Quant à Saâd Eddine El Othmani, dont la toile ne cesse de moquer le mutisme sur nombre de sujets épineux, interrogé sur le boycott lors des célébrations du premier mai, le chef de file du PJD s’est contenté d’évoquer l’engagement de son gouvernement en faveur des travailleurs, avant de se précipiter vers la sortie escorté par ses gardes-chiourmes.
Les entreprises concernées ont-elles réagi ?
Motus et bouche cousue chez certains, sorties corrosives chez d’autres. Si, en dehors de la réplique d’Aziz Akhannouch au Salon international de l’Agriculture de Meknès (SIAM) le 25 avril dernier, Afriquia et Sidi Ali se sont jusqu’ici contentés du silence comme toute réponse aux boycotteurs, Centrale Danone a réussi pour sa part à provoquer l’ire des internautes par les propos de son directeur des Achats Adil Benkirane. Durant le SIAM, celui-ci est allé jusqu’à traiter les boycotteurs de « traîtres à la nation ». Résultat: une marée de posts et de commentaires indignés sur les réseaux sociaux, qui ont poussé le laitier à s’excuser par un communiqué rendu public ce mercredi 2 mai. « Centrale Danone présente ses excuses à tous les citoyens qui se sont sentis offensés par de tels propos, qui ne reflètent pas la position de l’entreprise« , lit-on dans le communiqué.
Ont-elles enregistré des pertes ?
Lors du SIAM, Aziz Akhannouch avait assuré que « la campagne de boycott n’affectera pas la vente » des produits pris en cible. Si aucune communication n’a été faite sur l’état des ventes des trois firmes, des images partagées sur la toile montrent de grandes quantités de bouteilles Sidi Ali et de lait Centrale, demeurées invendues dans les rayons des supermarchés face à un afflux sur les marques concurrentes comme Jaouda ou Jibal. Du côté du marché boursier, le lundi 30 avril a été une journée pas comme les autres à la Bourse des Valeurs de Casablanca. A la clôture, deux entreprises cotées enregistraient les plus fortes baisses du jour: Afriquia Gaz et Centrale laitière, avec des baisses respectives de -5,97% et -5,69%. Si elle dispose d’un cours les plus stables en bourse, la société Les Eaux Minérales d’Oulmès a tout de même affiché une perte de son titre à hauteur de 5,08% le 20 avril, correspondant au premier jour du boycott.
De quoi ce boycott est-il le nom?
Cette campagne de boycott de la part des consommateurs ne peut en effet être dissociée de la vague de protestations qu’a connues le Maroc depuis le début du Hirak du Rif en octobre 2016, où les principales revendications avaient trait à l’amélioration des conditions économiques et sociales des habitants de la région. Il s’agit aujourd’hui du même son de cloche d’une population en grogne contre la paupérisation des classes populaires et moyennes et l’aggravation des inégalités sociales. Les conclusions de l’Enquête nationale sur la consommation et les dépenses des ménages, publiée par le HCP en 2016, appuient ces mécontentements. Selon cette étude, près des deux tiers des ménages (67%) ont une dépense annuelle inférieure à la moyenne nationale, évaluée à 76.317 dirhams, soit 6.360 dirhams par mois. Le HCP a également révélé des disparités frappantes, le niveau de vie des 5% les plus aisés des Marocains égalant 20 fois celui des 5% les plus défavorisés.
Une réalité socio-économique qui donne à ces mouvements contestataires une raison d’être, même si les formes diffèrent. Les arrestations qui ont suivi les manifestations dans le Rif et Jerada expliquent la migration de la contestation de la rue vers la toile. En boycottant un produit, les internautes se voient exercer un droit de dénonciation sans être inquiétés, et sans risquer de subir le destin malheureux de certains activistes des Hirak du Rif et de Jerada.
Le 02 Mai 2018
Source Web : La Depeche
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