Tourisme: La «Vision 2010», puis plus rien!
La sortie musclée de la présidente de la CGEM: «Le secteur est en roue libre»
Attendu sur sa feuille de route, Mohamed Sajid n’a rien annoncé
Présidente de la CGEM pour quelques semaines encore, Miriem Bensalah-Chaqroun a accusé le gouvernement de laisser le secteur sans pilotage. C’est comme si le temps s’était arrêté après la Vision 2010, dit-elle (Ph. Bziouat)
Le CDS, think tank indépendant, et son président, Mohamed Benamour, ancien président de la Fédération du tourisme et signataire du contrat-programme en 2001 avec le gouvernement, ont réussi leur pari: le symposium organisé hier à Rabat devait servir de rampe de lancement au débat qui donnerait (enfin) au tourisme la place qu’il mérite dans les politiques publiques.
Car, pour le moment, les opérateurs, déchirés par des querelles intestines, sont au moins d’accord sur une chose: il n’y a pas de pilote dans l’avion. Les indicateurs globaux (11 millions de touristes, 69,4 milliards de DH de recettes en 2017) sont en réalité l’arbre qui cache la forêt.
De stratégie sectorielle, pas une trace. Le ministre de tutelle, Mohamed Sajid, dont on attend avec impatience une feuille de route depuis des mois, est venu bredouille. Il n’a rien dit en dehors des généralités sur les atouts de la destination: stabilité politique, richesse culturelle, ouverture et tolérance, «des valeurs qu’il faut préserver face aux idéologies de repli sur soi». Le ministre est parti après une petite demi-heure (il était attendu chez le chef du gouvernement) alors que sa secrétaire d’Etat, Lamia Boutaleb, n’a pas fait le déplacement.
La navigation à vue de ce secteur, Miriem Bensalah-Chaqroun, présidente de la CGEM, l’a relevée avec son franc-parler habituel. «C’est comme si, depuis la Vision 2010, le temps s’était arrêté», s’étonne la patronne des patrons en s’adressant au ministre du Tourisme.
L’urgence aujourd’hui c’est de s’attaquer rapidement aux faiblesses structurelles de l’offre et réinventer un nouveau modèle économique. Pour cela, il faut une bonne gouvernance, dit-elle. Or, ces dernières années, «le secteur touristique est resté en roue libre et souvent négligé par le gouvernement quand il n’a pas subi de décision contreproductive faute de conviction politique claire». Une pierre dans le jardin du PJD.
Quelques exemples pour illustrer cette absence de pilote dans le cockpit du secteur. Un, le Conseil stratégique du tourisme ne s’est réuni qu’une seule fois en six ans alors qu’il est supposé donner sens et cohérence à l’action des pouvoirs publics. Deux, les CRT (comités régionaux du tourisme) ont été détournés de leur rôle, les programmes régionaux de développement touristique (PDRT) sont restés au stade de fichiers PowerPoint. Enfin, les professionnels, si prompts à dénoncer l’inaction gouvernementale, n’ont jamais réussi à se positionner en partenaires écoutés. Les luttes intestines sont à un tel niveau qu’elles se sont transformées en haine.
Le plan Azur avec sa demi-douzaine de stations balnéaires s’est vite heurté aux inerties et un peu, à la crise. Mais qu’a-t-on fait pour apporter des ajustements nécessaires? «Nous avons perdu beaucoup de temps», soutiennent en chœur des professionnels avec des mots très durs envers Lahcen Haddad: «une incroyable erreur de casting». Lahcen Haddad était ministre du Tourisme dans le gouvernement Benkirane.
L’enjeu pour le Maroc est de se mettre au diapason des transformations de l’industrie touristique, prévient Luc Chatel, qui fut un moment secrétaire d’Etat au Tourisme. Il paraît que l’Elysée en ignorait jusqu’à l’existence. De ces ruptures, l’ancien ministre de Jacques Chirac cite les plus radicales.
D’abord, le système de notation par le client (Trip advisor) accroît la pression sur les opérateurs et impose de nouvelles stratégies de promotion. La réponse à ce «bouche-à-oreille» parfois dévastateur, doit venir de l’amélioration continue du service. Ensuite, la tornade Airbnb, «un élément nouveau qui transforme des clients en concurrents».
Et enfin, l’incontournable Booking.com devenu de fait un actionnaire dans tous les hôtels référencés auxquels il prélève 15% de commission sur chaque nuitée. Comment survivre économiquement dans ces conditions, s’interroge Luc Chatel. Mais en même temps, ne pas être référencé sur cette plateforme peut causer de graves dégâts. C’est un véritable choix cornélien: soit concéder 15% de son chiffre d’affaires ou disparaître des radars mondiaux.
Bien assimilées, les menaces que charrient ces ruptures peuvent se transformer en opportunités. Pour cela, il faut une réponse massive sur la qualification de la main-d’œuvre et donc, relever les standards du service. En la matière, la référence mondiale c’est l’Asie.
Sur toute la chaîne, le service est le lubrifiant de la stratégie de promotion qui doit être menée en évitant toute dispersion. «Ne copiez surtout pas la France où tout le monde s’occupe de tout pour ne s’occuper de rien finalement», conseille l’ancien ministre français.
Pour autant, la France c’est près de 100 millions de touristes et plus de 40 milliards de dollars de recettes. Sur la qualité de service (et l’accueil), l’ambassadeur de Chine, Li Li, constate un gros déficit de guides maîtrisant le mandarin. Alors que le Maroc nourrit des ambitions sur ce gigantesque marché, «nous n’avons pas encore de produit adapté aux touristes chinois», constate la présidente de la CGEM.
Le diplomate chinois se dit prêt à apporter le soutien aux programmes de formation en mandarin. L’an dernier, le Maroc a accueilli 116.000 touristes chinois. Une goutte d’eau des 130 millions de Chinois qui voyagent tous les ans à l’étranger dont 30 millions sur des destinations long-courrier.
L’empire du Milieu est aujourd’hui le plus gros émetteur du tourisme dans le monde. Côté marocain, la suppression du visa a été un élément important, mais reste à améliorer la connexion aérienne. En plus du décalage horaire, un voyage avec plusieurs escales est contraignant pour n’importe quel touriste.
Attention à la désynchronisation
La capacité hôtelière a été multipliée par 2,4 ces dernières années alors qu’une partie importante de la demande s’oriente vers des logements touristiques comme les maisons d’hôte, les résidences touristiques, voire des appartements (séjour chez l’habitant).
Le Maroc est relié par voie aérienne à 63 destinations tandis que des destinations comme Ouarzazate (elle n’est pas la seule) restent oubliées.
L’Espagne offre ses services
L’Espagne, avec ses 82 millions de touristes pour 60 milliards de dollars (600 milliards de DH) de recettes en devises, offre ses services pour accompagner le Maroc dans le développement du tourisme. En commençant par des packages triangulaires. Son ambassadeur à Rabat, Ricardo Diez-Hochleitner Rodriguez, a fait forte impression au symposium. «Vous pouvez apprendre de nos erreurs comme de nos réussites», lance-t-il aux opérateurs. Son pays, deuxième puissance touristique mondiale, est un véritable laboratoire des transformations (économiques, culturelles et en matière d’infrastructures). Il compte 120 chaînes hôtelières dont certaines sont présentes au Maroc. L’an dernier, 711.000 touristes marocains se sont rendus en Espagne.
Le 12 Avril 2018
Source Web : L’économiste
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vendredi 13 avril 2018
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