Quel modèle de développement pour le Maroc? Leçons de l’Histoire nationale*

Driss Guerraoui est professeur à l’Université Mohammed V de Rabat et secrétaire général du Conseil économique social et environnemental (Ph. Jarfi)
La dynamique initiée par le Discours royal devant les Représentants de la Nation à l’occasion de l’ouverture de la session du Parlement d’octobre 2017 est un appel à tous les acteurs et forces vives du pays en vue d’engager un débat national mobilisant l’intelligence collective pour tracer les contours d’un nouveau modèle de développement approprié au Maroc du XXIe siècle.
Ce nouveau modèle devrait permettre à la société marocaine de produire plus de richesses et d’emplois décents, notamment en faveur des jeunes, de préserver durablement ses ressources naturelles et de répartir équitablement les fruits de la croissance entre toutes les couches de la société et toutes les régions du pays. Ainsi, une lecture raisonnée de l’histoire des faits économiques, sociaux, culturels et politiques sur une longue période éclaire sur quatre faits majeurs:
- La place centrale, voire stratégique de l’Etat dans le processus de développement:
Durant toute l’histoire du Maroc, l’Etat a été et reste au cœur de toutes les tentatives de modernisation. Il en a été l’initiateur, l’acteur principal et le régulateur essentiel. Mais ces réformes et leurs aboutissements dépendaient en dernier lieu de la qualité des Sultans et du poids du Makhzen. Autrement dit, à chaque période de l’histoire du Maroc où le système institutionnel est porté par un Sultan ayant un projet de modernisation, le Maroc a su et a pu s’engager dans une dynamique de réformes, y compris économiques.
- Le rôle de l’ouverture du Maroc sur le monde extérieur:
Ainsi, chaque fois que le Maroc se replie sur lui-même il connaît une stagnation, voire une régression, et à chaque moment de son histoire où son Etat, sa société et son économie se sont ouverts sur le monde extérieur, le pays a pu et a su puiser des éléments technologiques et manageriels qui ont contribués à sa modernisation.
- L’importance de l’existence d’une masse critique d’élites politiques, administratives, économiques et culturelles:
Historiquement l’issue du processus de modernisation du Maroc a toujours été tributaire de la capacité de ses acteurs et forces vives, notamment son système institutionnel, à produire des élites politiques, administratives, commerçantes, religieuses et intellectuelles de qualité, conscientes des enjeux des réformes et engagées autour de l’Etat dans le processus de réussite de ses réformes.
- La nature des rapports de force entre le Makhzen et les tribus ou pour utiliser un concept de notre temps, entre l’Etat et la société:
A ce niveau, force est de constater que jusqu’à nos jours, à chaque fois que les rapports entre l’Etat et la société étaient marqués par l’apaisement, le dialogue, le consensus et l’engagement partagés dans la voie de la réforme et non celle de la tension, la contestation de la légitimité, de la révolte, versus «siba», voire de la rupture, le Maroc a non seulement entrepris des avancées en matière de modernisation de ses institutions, de son droit et de son économie, mais a pu même réaliser des raccourcis à ces trois niveaux.
Or, si en 2017 le Maroc a un Roi porteur pour son pays d’un projet de modernisation généralisée et d’une réelle ambition tournée vers l’avenir, il a renforcé son ouverture sur le monde grâce à la signature de plus de 55 accords de libre-échange avec plus de 99 pays. S’il a, par ailleurs, su construire des relations apaisées entre l’Etat et la société grâce à des réformes institutionnelles audacieuses, malgré la dynamique de contestation, somme toute naturelle dans toute démocratie, il connaît progressivement l’émergence d’une nouvelle élite économique engagée dans la développement du pays, même si cela s’opère sur un fond de persistance de la rente, des privilèges et des passe-droits, ainsi que de multiples déviances administratives, à leur tête la corruption, le clientélisme et la parenté.
Cependant, il n’arrive pas encore à produire une masse critique d’élites politiques et administratives, et de compétences d’un niveau d’excellence, d’engagement, d’intégrité et de vision stratégique à la mesure de l’ambition du Maroc du XXIe siècle.
Autrement dit, l’avenir possible du développement futur du Maroc du XXIe siècle passe donc nécessairement par la capacité de notre pays à réunir les conditions de réalisation de raccourcis en matière de réforme de son système national d’éducation, de formation professionnelle et d’innovation pour lui permettre de produire une nouvelle génération d’élites politiques, administratives et scientifiques en phase avec les exigences du développement du pays.
Mais aussi de former des compétences pour accompagner sa stratégie de modernisation économique généralisée, et de réformer radicalement les modes de gouvernance de son économie et de sa société à l’échelle centrale et territoriale dans le sens de la responsabilisation des décideurs et des élus par l’effectivité de la loi et des mécanismes de suivi, de contrôle, d’évaluation et de reddition des comptes.
Il se doit, enfin, de promouvoir dans la société les valeurs de patriotisme, de citoyenneté, de solidarité, de promotion par le travail et le mérite, et d’égalité des chances entre les citoyens et entre les entreprises. Une telle stratégie contribuera à créer la confiance, à renforcer la cohésion sociale et permettra à toutes les composantes de la collectivité nationale de s’approprier le nouveau modèle de développement, d’y adhérer, et de participer efficacement à sa mise en œuvre. Elle impulsera une conscience collective génératrice d’une dynamique sociétale et institutionnelle qui s’appuiera sur la stabilité, la sécurité et l’unité nationale qui caractérise le Maroc d’aujourd’hui.
C’est tout le sens de l’étude que Sa Majesté le Roi Mohammed VI a confié au Conseil économique, social et environnemental, en partenariat avec Bank Al-Maghrib sur la Richesse globale du Maroc et la valorisation de son capital immatériel.
Trois défis majeurs
C’est dans les enseignements de l’Histoire nationale que l’on peut trouver les racines profondes et les véritables éléments de réponse à cette problématique cruciale. Car tout au long de son histoire, et jusqu’à nos jours, le Maroc a fait et fait encore face à trois défis majeurs.
D’abord, un défi interne où les facteurs institutionnels, socio-culturels et cultuels ont soit favorisé, soit retardé, soit empêché la réussite des multiples tentatives de modernisation économique que notre pays a connu depuis la constitution de l’Etat moderne et de la Nation marocaine. Ensuite, un défi externe où le Maroc devait faire face à des occupations étrangères, ottomane d’abord, puis européenne après et devait réguler la maîtrise de son ouverture sur le monde. Enfin, un défi de nature civilisationnelle qui consiste à réussir la réforme de l’Etat, de l’économie et de la société, c’est-à-dire à reformer l’armée, l’Administration, la fiscalité et les activités productives pour permettre au Maroc d’entrer dans la modernité sans perdre son être civilisationnel et son identité culturelle.
Le 10 Novembre 2017
Source Web : L’économiste
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