Reportage. Mon voisin s’appelle Akhannouch
Au milieu des résidences luxueuses du quartier Californie de Casablanca, se niche Douar Laâtour, un bidonville où 400 familles vivent en marge du paradis. TelQuel a rendu visite aux habitants de ces baraques qui côtoient la villa de l’un des hommes les plus riches du royaume.
Au cœur des allées qui sillonnent Californie, paisible quartier casablancais qui compte la plus grande densité de millionnaires au mètre carré, subsiste encore un bidonville, signe d’une détonnante mixité sociale. Pour y accéder, il faut emprunter une ruelle coincée entre le complexe sportif de l’ONEE et une somptueuse villa entourée de grandes murailles recouvertes d’une végétation luxuriante. Le propriétaire de cette citadelle imprenable n’est autre que Aziz Akhannouch, le ministre de l’Agriculture. En s’enfonçant dans ce kariane de cinq hectares, on est comme éjecté du paradis à l’enfer. Les larges avenues cèdent la place aux minuscules ruelles encombrées par les carrossas et bordées de baraques entassées les unes sur les autres. Les détritus s’amassent çà et là tandis que les eaux usées se déversent à même le sol. Bienvenue à Douar Laâtour, un point noir où la précarité fait encore de la résistance dans un océan de volupté.
Le roi est passé par là
Même si la misère des lieux tranche douloureusement avec le luxe des villas environnantes, les habitants du bidonville témoignent d’un profond respect pour leur riche voisin. Quand on les interroge, ils décrivent quelqu’un de généreux, mais très discret. Certains parlent de moutons offerts gratuitement aux habitants pour l’Aïd El Kébir, tandis que d’autres évoquent des voitures pleines à craquer de vêtements distribués aux familles la veille de l’Aïd El Fitr. “Nous l’avons connu très jeune, quand son défunt père habitait là. Il a toujours été respectueux et courtois envers les gens”, affirme Saïd, un quadragénaire natif du douar, qui travaille comme assistant dans un cabinet d’avocat.
La cote de popularité de Si Aziz a explosé depuis que le roi a lancé le projet de relogement de Douar Laâtour.Ici, tout le monde se souvient avec émotion de ce jour de ramadan où le monarque est venu prendre le ftour chez le ministre. Le 21 juillet dernier, à quelques heures de la rupture du jeûne, les habitants ont été intrigués par l’imposant dispositif de sécurité mis en place dans leur quartier. “Les gens savaient que quelqu’un de très important allait débarquer ce soir dans une villa du coin, mais personne ne pensait au roi”, se souvient Khadija, une habitante du douar. Quand Mohammed VI arrive devant la villa de Aziz Akhannouch, il est accueilli par une foule en délire. “Le roi nous a salués et nous a fait un signe qui signifiait qu’il allait s’occuper de notre cas. Nous étions tous aux anges”, raconte Khadija.
On reloge!
Le lendemain, de hauts responsables débarquent pour informer les habitants que le roi a donné ses instructions pour reloger gratuitement les bidonvillois dans la région de Tlet Bouskoura. Dans la foulée, ils lancent une opération de recensement des baraques du douar. Le compteur s’arrête au nombre de 291. Cependant, comme c’est le cas dans tous les karianes du royaume, ce nombre ne tient pas compte du fait que certaines baraques abritent plusieurs ménages. Résultat, plusieurs personnes sont écartées de la liste des relogés et se trouvent obligées de déménager à plusieurs. Le plan de relogement prévoit la construction d’un R + 2 sur une surface de 80 m2 par groupe de deux personnes. Même si le terrain est offert, les habitants sans moyens sont dans l’incapacité de financer la construction eux-mêmes. De ce fait, ils se retrouvent obligés de recourir aux services d’un entrepreneur qui la financera et s’arrogera 50% de la surface bâtie.
“Même si le sentiment de déracinement est déjà là, c’est le seul deal qui nous permettra de sortir de ce trou noir sans perspectives”, soupire Saïd, fataliste. Il se souvient avec nostalgie du temps de son enfance, quand le quartier Californie était encore une vaste étendue de terrains fertiles que les occupants du douar cultivaient, sans en être les propriétaires. “C’est la ville qui est venue vers nous, pas le contraire”, précise Saïd. Au début des années 1980, plusieurs nouveaux riches ont jeté leur dévolu sur cette zone, à défaut de pouvoir habiter le très huppé quartier d’Anfa supérieur. Et le douar s’est transformé en bidonville. Devenus des paysans sans terre, les habitants du kariane vont se recycler dans plusieurs métiers, profitant de la demande en main d’œuvre générée par l’urbanisation galopante. “Ce douar compte les meilleurs artisans qui travaillent le bois et le fer de la ville. Ils ont bossé dans presque toutes les villas du quartier Californie”, assure Saïd, qui a lui-même commencé comme ébéniste.
L’espoir fait élire
Les premières tentatives pour éradiquer ce bidonville remontent à 1985. Les autorités avaient alors demandé aux habitants de produire une attestation de non-imposition à la taxe d’habitation. Depuis cette époque, les solutions proposées à la population changent en fonction des aléas politiques. “Ce kariane, qui abrite plus de 400 familles, a toujours constitué un réservoir électoral très courtisé par les politiciens. Les villas du quartier sont certes immenses, mais il n’y a pas grand monde qui les habite”, explique Saïd. Comme dans tous les bidonvilles que compte le royaume, plusieurs personnes se marient et le nombre des habitants est gonflé par les nouveaux arrivants. Après l’attestation de non imposition à la taxe d’habitation, les autorités exigent un livret de famille pour pouvoir être recensé et prétendre à une maison en cas de relogement. “Pour des raisons électoralistes, les dirigeants politiques ont entretenu chez les habitants l’espoir qu’un jour ils pourront être relogés ailleurs gratuitement. Ils ont tué le sens de la débrouille chez les gens”, déplore Saïd. Autant d’espoirs souvent déçus…
Le 07 août 2017
SOURCE WEB Par Telquel
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