Entretien avec Walter Siouffi, directeur résident de MCC au Maroc «Les modèles de formation professionnelle les plus réussis sont ceux qui impliquent le secteur privé»
Walter Siouffi, qui était déjà actif dans le secteur privé au Maroc, vient de rejoindre, il y a quatre mois, le Millennium Challenge Corporation (MCC). Il fait le point, dans un entretien accordé au «Matin», sur l’état d’avancement du Compact II signé avec le Maroc, avec un accent particulier sur le Fonds Charaka, premier projet conçu dans le cadre de ce Compact.
Le Matin : Vous êtes le directeur résident de MCC au Maroc, vous suivez l’état d’avancement du Compact II signé avec le Maroc en novembre 2015. À quelle étape se trouve l’exécution de cet accord ?
Walter Siouffi : Actuellement, 19 mois après la signature du Compact II en novembre 2015, nous sommes au stade de l’entrée en vigueur de ce nouveau programme de coopération. Ce qui signifie que les plus importants préparatifs sont achevés et que nous sommes prêts à lancer le Compact II, qui entrera en vigueur à la fin de ce mois. Ce qui veut dire que la période de cinq ans au cours desquels on devrait achever nos objectifs va démarrer à partir de cette date.
Comment MCC accompagne-t-il la mise en œuvre du Compact II, en général, et l’activité formation professionnelle, qui est l’une des composantes de cet accord, en particulier ?
Comme vous le savez, le gouvernement marocain, à travers ses institutions, a développé un système de formation professionnelle très fort avec environ plus de 600 centres publics et environ 1.000 autres centres gérés par le privé. L’idée est de soutenir le secteur privé pour qu’il devienne plus impliqué dans le développement des programmes de formation professionnelle.
Comment MCC compte-t-il accompagner ce volet de la formation professionnelle ?
MCC accompagne l’Agence MCA-Morocco à travers un partenariat très fort. Je rappelle que les relations maroco-américaines datent de plus de 240 ans, ce qui conforte déjà la solidité de ces relations de partenariat. Le deuxième Compact signé avec le Maroc illustre bien cet état de fait. Il faut dire que sur les 33 compacts qu’on a signés depuis le démarrage de MCC en 2004 avec 27 pays, le Maroc se positionne comme le plus grand bénéficiaire des fonds de MCC avec quelques 1,15 milliard de dollars, montant qui inclut le premier compact. Le soutien qu’on assure passe à travers un partenariat solide entre les équipes de MCC et MCA-Morocco qui travaillent la main dans la main pour atteindre les objectifs tracés et mettre en œuvre les projets programmés dans ce sens. Ce partenariat passe en même temps à travers le gouvernement marocain. Le budget alloué au compact II est de l’ordre de 450 millions de dollars. Il y a également une contribution du Maroc qui s’élève actuellement à hauteur de 18% de la contribution de MCC. Ce qui signifie que l’enveloppe globale dédiée au Compact II s’élève à 530 millions de dollars.
Depuis la signature du Compact en novembre 2015, nous avons eu plus d’une vingtaine d’experts de haut niveau venus de Washington qui visitent continuellement le Maroc. Ils sont en contact quotidien avec les équipes de MCA-Morocco travaillant en étroite collaboration pour développer et gérer tous les travaux à entreprendre dans le cadre du Compact. Ce qui inclut l’éducation, la formation professionnelle et le volet foncier. Cette coopération va continuer au cours des cinq ans que va durer l’exécution de cet accord. À un niveau supérieur, il y a le suivi de l’exécutif du MCC à Washington avec lequel il y a un échange régulier sur l’état d’avancement, avec un programme continuel de suivi et de consultation. Au plus haut niveau du MCC, il y a le conseil d’administration qui est présidé par le Secrétaire d'État et qui compte parmi ses membres le Secrétaire de la Trésorerie des États-Unis, le représentant du département du Commerce des États-Unis, l'administrateur de l'USAID (Agence des États-Unis pour le développement international), le président du MCC et quatre membres du secteur privé nommés par le Président des États-Unis.
Le fonds «Charaka» mise sur l’implication du secteur privé dans le secteur de la formation professionnelle. Comment l’expérience américaine pourrait-elle être bénéfique pour ce fonds ?
Globalement, au Maroc comme aux États-Unis, le modèle de formation professionnelle le plus réussi est celui dans lequel le secteur privé est impliqué, notamment dans la gestion des centres de formation, voire la conception des programmes de formation et le suivi de leur mise en œuvre. En effet, c’est le secteur privé qui est le mieux placé pour déterminer ses besoins et les attentes des différents secteurs d’activité. Quand le secteur privé est impliqué, cela donne de meilleurs résultats en matière d’employabilité. Au Maroc, il y a des exemples de cette implication. Aux États-Unis, on a constaté que cette implication du privé dans les centres de formation, les collèges et les universités qui intègrent des atouts techniques aide à l’amélioration des programmes de formation. Dans ce schéma, l’employabilité est presque garantie.
Maintenant que l’appel à projets est lancé, y aurait-il des entreprises ou des opérateurs américains qui seraient intéressés pour accompagner le fonds «Charaka» ?
L’appel à projets est ouvert à tout le monde. Les fonds de MCC ne sont pas l’apanage exclusif des opérateurs américains. Mais nous espérons qu’il va y avoir des participants américains qui seront intéressés par cet appel à projets et qui ont déjà une bonne réputation en matière de formation dans le monde entier. En effet, il y a de nombreuses entreprises et associations américaines qui sont bien placées pour s’associer aux entreprises marocaines pour fournir de l’assistance technique et améliorer les propositions à soumettre. Dans ce cadre, MCC a organisé la semaine dernière un événement à Washington au cours duquel le fonds Charaka a été présenté. Les opérateurs présents y ont manifesté beaucoup d’intérêt. Espérons donc qu’ils vont participer à ce fonds. D’autant que la plateforme marocaine, grâce à l’accord de libre-échange signé avec les États-Unis, devient une destination de plus en plus attirante pour les opérateurs américains. Nous travaillons également à travers l’ambassade américaine pour promouvoir les opportunités qui peuvent intéresser les investisseurs américains. La même chose se fait également à travers la Chambre de commerce américaine au Maroc.
Dans le cadre du Compact II, quelles sont les mesures que vous avez prises pour assurer la complémentarité de l’action de MCC avec celles d’autres bailleurs de fonds, notamment l’USAID, qui ont déjà engagé des programmes visant l’amélioration de l’employabilité des jeunes au Maroc ?
Vous savez, le Compact est le résultat d’une analyse des contraintes à la croissance au Maroc. L’objectif est donc de soulager certaines de ces contraintes, telles qu’identifiées par le gouvernement marocain, pour accélérer la croissance et le développement du capital humain et atténuer la pauvreté. Dans cette analyse des contraintes, le Maroc a été accompagné par MCC et la Banque africaine de développement. Quant à l’USAID, elle siège au conseil d’administration de MCC. Naturellement, nous travaillons en coordination avec nos collègues de cette organisation qui est rattachée à l’ambassade américaine. Cette coordination a pour objectif d’assurer la complémentarité de nos projets. Par exemple, l’USAID a développé des centres d’emploi et de formation professionnelle pour trouver des emplois et renforcer l’employabilité. Ces centres sont complémentaires avec les projets que nous lançons dans le cadre du Compact. Nous avons aussi collaboré avec l’USAID pour financer une étude sur la capacité institutionnelle et humaine dans les ministères et les AREF, et ce dans l’objectif de mieux adapter nos programmes aux besoins au Maroc en matière de renforcement des capacités des gestionnaires.
En ce qui concerne le projet «Éducation et formation pour l’employabilité» en général, plusieurs assistances techniques avaient été lancées. À quel stade se trouvent-elles et quelles en sont les premières conclusions ?
Je pense que c’est un peu tôt pour avoir des conclusions. Il y a des consultants qui travaillent et des études qui sont en train d’être réalisées, mais nous n’avons pas encore de résultats.
Pouvez-vous nous parler des principaux projets à réaliser dans le cadre du volet «Productivité du foncier», le deuxième pilier du Compact II ?
Au Maroc, le foncier demeure parmi les éléments déterminants de l’investissement national et étranger. De ce fait, le régime du foncier joue un rôle important dans l’activité économique. Dans ce cadre, il a été identifié comme une contrainte majeure à l’investissement dans l’ensemble des secteurs productifs, particulièrement dans les domaines industriel et agricole. Cette situation, qui se caractérise par un besoin de renforcer davantage la coordination des interventions des différentes parties prenantes, est imputable à des contraintes juridiques, institutionnelles et managériales entravant le déploiement d’une politique foncière intégrée à même de garantir l’optimisation des ressources foncières et de répondre aux besoins actuels et futurs des investisseurs. Le projet a pour objectif de renforcer et promouvoir un environnement favorable à l’investissement lié au foncier au Maroc. Il vise ainsi à créer les conditions nécessaires pour améliorer l’investissement privé et l’usage productif du foncier et, par conséquent, l’amélioration des emplois et des revenus. Le projet «Productivité du foncier» comprend trois volets. Le premier vise le renforcement de la gouvernance, à travers l’élaboration d’une stratégie nationale foncière et la mise en place des mécanismes de coordination de la politique foncière nationale. On est en train de développer les actions à mener dans ce cadre. Le deuxième volet, portant sur le foncier rural, vise la melkisation de 46.000 hectares de terres collectives situées dans les périmètres d’irrigation dans la région du Gharb au profit des ayants droit, selon une approche optimisée en termes de coûts et de délais, et ce en perspective de la généralisation de ce modèle à d’autres terres collectives dans les périmètres d’irrigation. Le troisième volet, relatif au foncier industriel, a pour objectif la mise en place d’un nouveau modèle de développement des parcs industriels et de revitalisation des zones industrielles existantes, et ce en privilégiant des modes de gestion en partenariat public-privé (PPP) orientés vers la satisfaction des besoins du marché. Ce nouveau modèle sera testé à titre expérimental à travers la revitalisation des zones industrielles existantes avec des extensions et la création de nouvelles zones. Ces zones sur lesquelles on va travailler sont situées à Bouznika, Had Soualem et Sahel Lakhyayta. Nous avons également créé avec le gouvernement marocain un fonds des zones industrielles durables «FONZID» destiné à investir dans des structures de nature PPP. Le lancement de ce fonds est prévu pour le début de 2018 avec une enveloppe de 18 millions de dollars.
Le 13 Juin 2017
SOURCE WEB Par Le Matin
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