Entretien avec Habib El Malki
Le marché intérieur à lui seul ne peut pas jouer le rôle de moteur de croissance Sous le thème : «Perspective de croissance dans le cadre du nouveau contexte 2012-2013», le Centre marocain de conjoncture (CMC) a tenu mercredi à Casablanca son point de presse annuel pour décortiquer l’état des lieux de l’économie nationale. En marge de cet évènement, nous avons rencontré Habib El Malki, président du CMC, ancien ministre de l'Education nationale et membre du Bureau politique de l’USFP qui a bien voulu se prêter au jeu des questions-réponses. Entretien. Libé : A votre avis, la dernière hausse des prix des carburants ne risque-t-elle pas d’impacter négativement la demande intérieure qui est l’un des principaux moteurs de croissance? Habib El Malki: Certainement, et ceci à travers une hausse directe des prix que nous estimons entre 1,4 et 1,5%. Nos prévisions quant à l’inflation d’ici la fin de l’année, c’est entre 3,5 et 4%, un taux jamais atteint depuis plusieurs années. La hausse des prix signifie, directement, diminution du pouvoir d’achat. C’est pour cette raison que cette mesure du gouvernement ne s’explique pas sur le plan économique et social. Même son impact financier, qui ne serait pas supérieur à 5 milliards, ne peut pas véritablement contribuer de manière significative à la réduction des déficits. Vous ne voyez pas qu’actuellement le Maroc paye le prix de sa dépendance économique à l’égard de la Zone euro, qui traverse une crise économique? N’est-il pas temps de s’orienter vers les pays émergents, tels le Brésil, l’Inde et la Chine ou encore vers l’Afrique ? Nous sommes tenus par l’accord de libre-échange, qui lie le Maroc et l’Union européenne. C’est vrai que l’UE est, actuellement, le principal partenaire économique, commercial et financier du Maroc, ce qui implique que le Maroc respire en grande partie par l’UE. Parallèlement à cela, il faut mettre en œuvre une stratégie de diversification des marchés extérieurs. Le Maroc a tenté d’agir dans ce sens à travers des accords de libre-échange avec les Etats-Unis, la Turquie, avec un certain nombre de pays arabes, en particulier, la Tunisie, la Jordanie et l’Egypte. Actuellement, il y a un intérêt soutenu vers les pays africains, mais il faut aller plus loin que cela. Et pourquoi ne pas aller à la conquête d’un certain nombre de marchés asiatiques et même latino-américains? Mais ceci doit s’inscrire dans le cadre d’une nouvelle approche stratégique des exportations. Nous considérons qu’il est temps, pour que l’économie marocaine puisse se développer de manière plus équilibrée, de considérer les exportations comme une grande priorité. Le marché intérieur à lui seul ne peut pas jouer le rôle de moteur de croissance. Et quand on raisonne en termes d’exportation, le problème de la compétitivité se pose de manière urgente. Comme vous l’avez bien souligné lors de votre exposé, l’effort d’investissement constitue 30 % de la formation brute du capital fixe (FBCF), qui est un bon indicateur. Normalement, avec un tel taux, ce dernier n’est-il pas réduit à cause, entre autres, de la prévarication, de l’économie de rente, et du secteur informel ? Le fait que le taux d’investissement public est estimé à 30 % de la FBCF est un bon indicateur. Le problème est que l’impact sur la croissance n’est pas significatif. D’où la question de l’efficience de la productivité de l’investissement public. Il y a là un paradoxe, il convient de comprendre sur la base d’une analyse empirique approfondie, pourquoi l’investissement public n’est pas optimisé au niveau de ses résultats. Est-ce, la nature des projets, leur localisation, les techniques utilisées? C’est véritablement un problème récurrent qu’il convient d’élucider. Pourquoi, à votre avis, on a tendance à comparer le Maroc avec les autres pays de la zone MENA (Moyen-Orient, Afrique du Nord), alors que si l’on le compare avec les autres pays africains, on constate que ces derniers réalisent cette année des taux de croissance plus élevés que le nôtre (+6%)? L’Afrique est le continent de l’avenir; son potentiel de croissance est énorme et il y a véritablement un réveil économique de l’Afrique. Le Maroc étant donné sa proximité géographique fait que les comparaisons très souvent, se font dans le sens Nord-Sud plus que dans le sens Sud-Sud. Concernant le deuxième moteur de croissance, le Maroc doit focaliser ses efforts sur l’exportation. Quelle est la meilleure stratégie qu’on pourrait adopter dans ce sens? J’estime que la solution serait de diversifier les marchés extérieurs et l’offre exportable. C’est-à-dire encourager ou promouvoir les produits à valeur ajoutée importante. On ne peut pas continuer à exporter uniquement des produits à faible valeur ajoutée comme les produits agricoles. Propos recueillis par Mohammed Taleb SORCE WEB Par Mohammed Taleb Libération