Chère Marrakech Par Tahar Ben Jelloun
Est-ce parce que Marrakech est riche de sa lumière exceptionnelle, de son soleil de fin d’année, doux et fort à la fois? Est-ce parce qu’elle est la principale destination touristique au Maroc que certains restaurants et grands hôtels pratiquent des prix exorbitants?
Normal qu’un palace ait des prix de palace. Normal que le luxe se paye au prix fort. Après tout, ceux qui fréquentent ces lieux magiques ont les moyens et ne regardent pas à la dépense.
Puisque nous sommes dans la logique des palaces, pourquoi ne pas l’appliquer jusqu’au bout et payer les employés, surtout les femmes et hommes de service, aux salaires (je ne dirai pas de ceux que pratiquent les palaces à Paris, Londres ou New York même si on peut rêver), mais qu’ils soient au moins supérieurs à la moyenne nationale. Simple cohérence d’autant plus que la plupart des patrons sont des Européens qui savent pertinemment combien est payé le personnel ailleurs.
Prenons le cas de la restauration! On sait que les produits alimentaires non seulement coûtent au Maroc au moins moitié moins cher qu’en Europe mais qu’ils sont de meilleur goût. Le client paye le tajine ou le plat du jour au prix européen. La bouteille de vin (marocain ou étranger) bat tous les records en ce qui concerne la marge bénéficiaire. Ce serait très étonnant que le garçon qui sert ait un salaire parisien. Il est payé à la marocaine, c’est-à-dire un salaire qui n’a rien à voir avec les prix affichés sur la carte mais correspond au mince pouvoir d’achat des Marocains en général.
Ceci est un paradoxe qui fait le bonheur de ces grands hôtels et restaurants qui, certes ont beaucoup de charges, mais rechignent à payer en conséquence le personnel.
Cette situation d’injustice est dangereuse. On sait que le chômage est là et qu’on préfère avoir un travail avec un salaire bas plutôt que de ne pas travailler du tout. Par ailleurs, que de clients se sont plaints de la qualité du service! Normal. Lorsqu’on n’est pas payé de manière juste on ne fait pas d’effort. Il se pourrait même que cela encourage contestation et rébellion.
En fait, c’est toute la politique du tourisme qu’il faut revoir. Rappelons que des pays comme l’Italie et l’Espagne ont réussi; dès les années 60 à fidéliser des millions de touristes parce qu’ils avaient fait le choix de l’attraction par des prix sympathiques. La rumeur disait que non seulement ces pays sont beaux,mais ils sont à la portée des salaires moyens.
Le Maroc ne cesse d’hésiter entre deux concepts du tourisme: le luxe pour les riches et le médiocre pour les classes moyennes. Il faudrait trouver un juste milieu et, surtout, mettre en place une politique de service qui fidélise la clientèle. Or, le taux de retour est bas, très bas. Cela s’explique par la manière dont le touriste, riche ou pas, est traité.
Pour cela, non seulement il faudrait motiver le personnel en le payant bien, en le formant, en le responsabilisant, mais il faut aussi accepter de ne pas exagérer les marges bénéficiaires et à miser sur le long terme. Nombre d’entrepreneurs veulent gagner vite et beaucoup. Le moyen et long terme ne les intéresse pas vraiment. Ils ont tort.
Il y a quelques années, l’attraction pour le Maroc se vendait à l’étranger avec une jolie publicité: «Au Maroc, la nature est restée naturelle». Il faudrait la reprendre et ajouter «et pas chère». Parions que sur le long terme, le pays gagnera et la fréquentation touristique atteindra des chiffres importants!
Le 10 Janvier 2017
SOURCE WEB Par Le 360
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