Notre crédo : Des produits de qualité, à la portée, provenant d’une aquaculture responsable
L’aquaculture au Maroc vouée à un avenir certain: Entretien avec Mme Majida Maârouf, Directrice de l’Agence Nationale pour le Développement de l’Aquaculture
La promotion de l’aquaculture au Maroc, une activité déjà ancienne, mais qui commence à peine à émerger en tant que secteur structuré, relève du choix stratégique tenant autant compte de la création de richesses que de la préservation de la biomasse halieutique. Et c’est à l’Agence Nationale pour le Développement de l’Aquaculture qu’a été confiée la tâche de planifier et d’accompagner le développement de ce secteur, à fort potentiel de croissance, dans le cadre d’une démarche qui s’inscrit dans la stratégie globale de développement des régions. Pour éclairer les lecteurs de l’Opinion sur les exigences propres au développement du secteur aquacole, du choix des sites de production et des espèces de poisson à la nécessité de préservation de l’environnement pour assurer la durabilité de l’activité, nous avons donné la parole à Mme Majida Maârouf, Directrice de l’Agence Nationale pour le Développement de l’Aquaculture, ingénieur d’Etat en halieutique, qui préside aux destinées de l’ANDA depuis sa récente création.
Entretien.
L’Opinion : L’Agence Nationale pour le Développement de l'Aquaculture est l'un des projets phares de la stratégie HALIEUTIS. De création relativement récente, c'est une expérience que vous avez accompagné depuis son début. Que pouvez-vous nous dire à propos de la mise en place de l’agence, de son action et de ses objectifs ?
Mme Majida Maârouf : L’Agence Nationale pour le Développement de l'Aquaculture (ANDA) a été créée il y a déjà cinq ans, instituée par le dahir no 1-10-201 du 18 février 2011 et j’ai été nommée à la tête de ce nouvel établissement public le 29 juin de la même année.
Nous avons réellement démarré nos activités à partir de 2012 conformément aux missions assignées à notre établissement et qui reposent sur la mise en œuvre de la stratégie du gouvernement en matière de développement de l’aquaculture et d’en faire un secteur créateur de richesse et d’emplois tant au niveau régional que national.
Développer ce secteur d’activités à fort potentiel, le promouvoir, accompagner l’investissement et proposer un cadre juridique destinés à en stimuler l’essor, tels sont les volets sur lesquels nous nous penchons aujourd’hui au sein de l’agence.
Bien sûr, il a bien fallu mettre d'abord en place les structures de notre agence. La première tâche de la direction a été de mettre en place les instruments pour la rendre opérationnelle en misant sur la qualité de ses ressources humaines et sur une forme d’organisation efficiente.
Pour ce qui est de la stratégie adoptée par l’ANDA, elle s’appuie sur les conclusions tirées du diagnostic réalisé en premier lieu pour identifier les contraintes et goulots d’étranglement qui ont fait que ce secteur n’a pas pris son élan, bien qu’il ait démarré au Maroc depuis les années 50.
C’est dans ce sens que le plan HALIEUTIS a priorisé la mise en place d’un cadre institutionnel spécifique au développement de ce secteur et qui s’est traduit par la création de l’ANDA, cette agence qui est appelée à agir sur les leviers d’intégration pour créer un environnement favorable à l’expansion de l’aquaculture. Quand nous avons démarré, l’un des premiers sujets sur lesquels nous nous sommes penchés fut d’ailleurs le cadre réglementaire. Jusqu’à aujourd’hui, l’aquaculture est régie par les textes de la pêche et ne dispose pas d’une réglementation adaptée à ses spécificités et ce au même titre que la majorité des pays aquacoles. L’élaboration d’un cadre juridique destiné à l’aquaculture a donc été la première occupation de l’agence. Ceci a pris du temps avant que La loi ne soit élaborée et publiée sur le site du Secrétariat Général du Gouvernement au mois de janvier 2016. Techniquement, le texte de loi est donc fait et il est en phase transitoire avant le processus final d'approbation. La seconde priorité que nous avons eu à traiter est relative à notre objectif stratégique d’une production aquacole de 200.000 tonnes. Mais encore nous fallait-il déterminer sur quels sites réaliser notre objectif chiffré, quelles sont les espèces phares, etc.
L’agence a donc commencé par procéder à des études préliminaires pour situer les sites potentiels pour l’activité aquacole. En faisant des benchmark, nous avons remarqué que la majorité des secteurs d’activité utilisateurs des ressources en eau et en terre ont des schémas d’organisation et de planification. Nous avons voulu en faire de même et élaborer des plans aquacoles.
La planification du littoral Marocain à des fins aquacoles constitue la pierre angulaire de la stratégie de l’ANDA. Cette approche de planification qui concilie les impératifs environnementaux, fournit toute la visibilité nécessaire aux investisseurs ayant la perspicacité de miser sur un secteur porteur.
Dans ce contexte, l’ANDA a initié un grand programme de planification territoriale de l’aquaculture inspiré des directives internationales notamment les recommandations de la FAO et a priorisé l’élaboration des plans aquacoles pour les sites de production les plus porteurs, de notre point de vue, pour le développement de l’aquaculture. L’élaboration d’un plan aquacole prend au moins 2 ans d’études.
Aujourd’hui, nous venons de lancer la mise en œuvre du plan aquacole de la région de Dakhla-Oued Eddahab, qui sera suivi par ceux de la région s’étendant d’Imessouane à Sidi Ifni et de la Méditerranée, et, en 2018-2019, nous lancerons la mise en œuvre des autres plans aquacoles portant sur les autres régions du littoral national.
Par cette démarche structurée, le Maroc est considéré par les instances internationales comme un modèle en termes de gouvernance de cette activité. Le développement d’une aquaculture responsable est un choix de la stratégie de notre pays qui a privilégié son amorçage sur de bonnes bases scientifiques et techniques au lieu de prioriser l’intensification accélérée de l’installation des fermes aquacole sans prendre le temps de mettre en place les pré-requis nécessaires à sa durabilité ; tel est le cas de certains pays de la région.
Partant de la planification aquacole, l’ANDA prépare, aujourd’hui, une offre à l’investisseur sur des sites déjà dédiés à l’aquaculture. L'investisseur est même orienté sur des espèces et techniques bien déterminées. Nous faisons les études d’impact sur l’environnement et c’est très important. Nous étudions, donc les faits cumulés de tous les projets. Sur le plan environnemental, c’est beaucoup plus intéressant que de soumettre chaque projet à son étude d’impact sur l’environnement.
In fine, notre stratégie est d’œuvrer pour positionner l’aquaculture marocaine avec des produits de qualité différente provenant d’une aquaculture responsable. C’est la meilleure façon de se positionner sur le marché très concurrentiel des produits aquacoles.
L’Opinion : Considérez-vous qu’avec la pêche intensive que connaît le monde et avec la surexploitation du stock naturel, l’aquaculture deviendra la filiale numéro un dans l’avenir ? L’élevage l'emportera-t-il sur la pêche ?
Mme Majida Maârouf: C’est la FAO qui le dit ! Elle suit le développement de l’aquaculture et de la pêche à l’échelle mondiale. Les statistiques de la FAO montrent qu’en 2014 environ 73 millions de tonnes de poissons d’aquacultures (poissons et coquillage non compris les algues) sont écoulés sur le marché mondial. L’année dernière, la production aquacole mondiale a atteint les 50% des produits halieutique commercialisés.
En ce qui concerne notre pays, l’aquaculture est destinée à un avenir prometteur dont le potentiel de croissance est très grand eu égard à la position géographique stratégique du Royaume qui compte de très larges façades maritimes mettant à profit des richesses naturelles et une large diversité des milieux constituant des atouts environnementaux très favorables au développement de l’aquaculture.
L’Opinion : Justement, qu’en est-il du développement de la filière et des impératifs de la préservation des écosystèmes ?
Mme Majida Maârouf : On est dedans. Justement, notre démarche va dans le sens de l'observation stricte des exigences en la matière. Si nous avons opté pour la concertation avec toutes les administrations impliquées, c’est pour intégrer notre activité dans la stratégie globale de développement des régions concernées avec tous ses impératifs et toutes ses exigences.
Pour inscrire l’aquaculture dans le processus de développement durable, l’Agence nationale pour le développent de l’aquaculture (ANDA), s’est engagée à s’aligner aux principes de sauvegarde environnementale et sociale dont l’objectif est d’assurer la pérennisation du développement de l’aquaculture nationale. A cet égard, une étude relative à l’évaluation environnementale stratégique (EES) du secteur aquacole a été élaborée par l’ANDA qui intervient en réponse à la stratégie globale amorcée au Maroc, pour l’institutionnalisation de l’évaluation environnementale stratégique (EES) pour les stratégies, politiques, plans et programmes en conformité avec les dispositions (Articles 8 et 27) de la nouvelle Loi-cadre 99-12 portant sur la charte nationale de l’environnement et du développement durable (CNEDD).
En plus de cette évaluation environnementale stratégique du secteur aquacole (EES), et dans le but de la durabilité des projets aquacoles à travers une approche globale considérant les impacts cumulatifs, l’ANDA a décidé de réaliser des PGES (Plan de Gestion Environnementale et Sociale) de tous les plans aquacoles en vue de définir les éventuels impacts et de préciser les mesures d’atténuation des impacts négatifs et de bonifications des impacts positifs. Un encadrement des projets aquacoles sera réalisé suivant les orientations de ces PGES afin de minimiser les impacts négatifs.
En outre, il y a lieu de préciser que cette activité peut également être victime des impacts sur l’environnement des autres activités exercées sur le littoral…
L’Opinion : Les sites de production sont-ils soumis à une réglementation et à un cahier de charges spécifiques ?
Mme Majida Maârouf : Bien sûr, chaque ferme aquacole est soumise à une convention assortie d’un cahier de charges qui précise les conditions d’exploitation des espaces et qui dicte les mesures à prendre par les fermes aquacoles pour veiller au respect des exigences réglementaires et des normes en la matière.
L’Opinion : Est-ce que les unités artisanales qui font de l’aquaculture sont intégrées selon les nouvelles normes ? Les respectent-elles ?
Mme Majida Maârouf : Bien sûr, la réglementation régissant l’installation des fermes aquacole qui date de 2008 a été élaborée par le Département de la Pêche Maritime bien avant la création de l’ANDA et elle instaure des instruments qui régissent cette activité aujourd’hui. Les fermes aquacoles sont soumises à des conventions et à des cahiers de charges dont le contenu est défini par cette réglementation.
L’Opinion : Y a-t-il un plan de modernisation de cette culture dite artisanale ?
Mme Majida Maârouf : Les fermes en activité sont intégrées dans les plans d’aménagement aquacoles et suivront les orientations organisationnelles dictées par ces plans. Par exemple dans la région de Dakhla nous sommes en train d’accompagner les fermes pour s’organiser sur les espaces occupés à terre de sorte à respecter les normes et standard en la matière et à concevoir leurs locaux en harmonie avec le paysage magnifique de la baie de Dakhla.
L’Opinion : Comment se présentent alors les perspectives d’investissement dans ce domaine ?
Mme Majida Maârouf : Après la planification, c'est la mise en œuvre du plan. Nous avons lancé un appel à manifestation d’intérêt ouvert aux investisseurs nationaux et internationaux pour l’exploitation des espaces identifiés. Sur Dakhla, l’appel a été lancé entre le 23 octobre 2015 et le 22 avril 2016. Nous avons reçu quelque 1300 demandes. Il était prévus de publier les résultats, le 22 juillet 2016 et au vue du nombre conséquent des dossiers déposés et de la nécessité de donner le temps nécessaire à la commission de sélection des dossiers d’achever son travail, il a été nécessaire de décaler la date de publication des résultats jusqu’au 10 septembre 2016.
L’Opinion : Peut-on espérer disposer, dans un avenir proche, de produits de l'aquaculture en abondance et à un prix abordable ? Est-ce qu’un citoyen avec peu de moyens financiers sera capable d’acheter 1kg de crevettes à un bon prix ?
Mme Majida Maârouf : C’est notre objectif. Généralement, les produits issus de l’aquaculture sont moins chers que les produits de la capture, à condition, bien entendu, de maîtriser les coûts de production. Nous avons une ferme de poisson à M’diq qui produit quelque 300 tonnes par an. Mais comme on n’a qu’une seule ferme, on ne peut pas tester, actuellement, la réactivité du marché marocain vis-à-vis des poissons de l’aquaculture.
L’Opinion : Côté espèces, lesquelles sont concernées par l'aquaculture au Maroc ?
Mme Majida Maârouf : Nous nous orientons vers des espèces maîtrisées sur le plan technique. Les espèces classiques comme par exemple le loup, la dorade, le maigre, qui est une espèce à grand potentiel et croît rapidement, la sole, dont la production est maîtrisée en Espagne et au Portugal pour ne citer que ces deux pays proche géographiquement.
Les crevettes, c’est dans les bassins à terre qu’ils sont produits. Nous, on imagine d’après les préliminaires des études en cours de réalisation dans la région de Tan-Tan, que nous pourrions y faire de l’élevage de crevettes.
L’Opinion : Vous avez effectué récemment des déplacements au Japon, en Chine, c’est en relation avec la recherche d'investisseurs ? Vous ciblez les Asiatiques ?
Mme Majida Maârouf: Oui en effet et ce, pour deux raisons. La Chine est toujours en pointe en aquaculture, c’est d’abord un grand marché et plus de 60% de l’activité aquacole est située dans ce pays.
Les Chinois disposent d’un savoir-faire bien qu’il s’agit essentiellement de production artisanale. C’est énormément de petites entreprises. L’Etat chinois avait mis en place une stratégie dans ce sens dans les années 60.
L’Opinion : Comptez-vous développer une démarche de partenariat en matière de formation avec les Chinois ?
Mme Majida Maârouf : Au niveau de la coopération entre le Maroc et la Chine, nous recevons chaque année des appels à candidatures pour des stages de formation en aquaculture en chine qui sont très intéressant pour les cadres marocains désireux de s’approfondir dans le développement de leurs connaissance sur le secteur aquacole. La formation est un volet très important de notre stratégie. Les investisseurs ont besoin, pour leur part, d’une main d’œuvre qualifiée, des compétences dotées de suffisamment de connaissances pour assurer la production dans de bonnes conditions.
Nous sommes en train de travailler avec la Direction de la formation du département de la Pêche maritime pour démarrer des formations dans les petits métiers de l’aquaculture. La Direction de la formation et de la promotion socioprofessionnelle du ministère de la Pêche dispose de centres de formation sur tout le littoral marocain en plus de son savoir-faire dans le maritime. Pour nous c’est le partenaire le plus privilégié pour travailler ensemble sur la formation de profils mixtes, des gens qui seraient à la fois pêcheurs et aquaculteurs et également sur des compétences ciblées en réponse aux besoins des fermes aquacole en installation.
L’Opinion : Mme Maârouf, parlez nous un peu de vous. Votre formation, votre parcours...
Mme Majida Maârouf : Je suis native de Sefrou. J’ai eu mon Bac en 1985 et j’ai intégré l’Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II. Après 6 ans, j’ai obtenu mon diplôme d’ingénieur d’Etat en halieutique. Ce n’était pas mon choix, c’était presque hasardeux. C’est devenu ma destinée. Ensuite, j’ai travaillé dans une société privée d’élevage de carpe, de pisciculture, pendant 3 ans. J’étais basée au barrage Oued El Makhazine.
C’était passionnant de travailler sur du vivant. C’est, d’ailleurs, là où j’ai apprécié la sensation de travailler sur du vivant, d’être amenée à manipuler des petits poissons, d’injecter des hormones aux géniteurs pour déclencher la reproduction et produire des alevins. Après, j’ai intégré l’Institut national de recherche halieutique où j’ai travaillé pendant 2 ans. Là, j’ai touché le domaine de la recherche scientifique. Par la suite, j’ai intégré le département de la Pêche en tant que cadre. Par la suite, j’ai démarré dans le secteur de la protection des ressources halieutiques. C’était en 1999. En 2002, j’ai été nommée chef du service des plans d’aménagement des pêcheries. En 2008, j’ai été nommée chef de division de la protection des ressources halieutiques. C’est en 2011 que j’ai été nommée directrice de l’Agence Nationale pour le Développement de l'Aquaculture.
C’est un peu mon parcours, en version concentrée. Je peux vous dire que pour moi, mon travail a toujours été très intensif et sur des sujets très, très intéressants.
Je suis mariée et mère de deux enfants.
Le 27 Juillet 2016
SOURCE WEB Par L'opinion
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