Qui a peur de l’égalité dans l’héritage ?
La recommandation émise mardi par le Conseil national des droits de l’Homme sur l’égalité dans l’héritage va à coup sûr provoquer la polémique.
« En matière successorale, la législation doit être conforme avec l’article 19 de la Constitution et l’article 16 de la CEDAW », peut-on lire dans le rapport thématique «Etat de l’égalité et de la parité au Maroc » élaboré par le CNDH 10 ans après la réforme du Code de la famille et 3 ans après la promulgation de la Constitution.
Un pavé dans la mare lancé par Driss El Yazami, le président de cette instance nationale de défense des droits humains? Pas vraiment pour les socialistes marocaines qui, à l’occasion de leur dernier congrès, ont appelé à l’ouverture d’un débat serein et responsable sur l’égalité successorale. «Cela nous a valu des menaces de mort, une excommunication et la condamnation d’un pseudo-cheikh illuminé», se souvient Fatiha Saddass, membre du Bureau politique de l’USFP et figure de l’organisation des femmes ittihadies.
A l’USFP, la revendication de l’égalité entre la femme et l’homme dans l’héritage n’est pas nouvelle. Les militantes en veulent pour preuve le mémorandum du secteur féminin ittihadi élaboré en 1992 dans le cadre de la toute première réforme de la moudawana. « Le dernier paragraphe du mémorandum est justement consacré à la seule question de l’héritage. Nous appelions à l’époque à l’ouverture d’un débat entre toutes les composantes de la société dans le sens de la réparation d’une injustice entre les hommes et les femmes dans l’héritage », fait valoir Fatiha Saddass.
En 2004, une première réforme de l’héritage
L’injustice,
c’est justement tout le combat que mène la députée PPS Nouzha Skalli.
L’ancienne ministre en charge de la Famille place l’héritage dans la case
injustice. Et Dieu, dit-elle, s’est-lui-même interdit toute
injustice. Le débat doit être ouvert. Il faut réfléchir aux moyens de
réparer cette injustice et ouvrir les portes de l’Ijtihad. « D’autant que ce
n’est pas la première fois que nous allons toucher à l’héritage. En 2004, à
l’occasion de la réforme du Code de la famille, une disposition portant sur
l’égalité dans l’héritage entre petits enfants nés du fils et ceux nés de la
fille a été adoptée », rappelle Nouzha Skalli.
Au Maroc, l’histoire de l’héritage n’a jamais été figée. Tribale, cette
histoire a connu des flux et des reflux au gré des périodes. C’est l’historien
et philosophe Abed Al Jabri qui a su le rapporter en évoquant ces tribus du
Maroc où seules les femmes héritaient pour que l’héritage reste dans la tribu.
Cela n’a pas toujours été ainsi. Les femmes ont été plus tard interdites
d’héritage. Seuls ceux de sexe masculin pouvaient se faire héritiers. Un droit
coutumier dont les femmes soulalyates continuent souvent d’être
victimes, en l’absence d’une nouvelle législation relative aux terres
collectives.
Dans les rangs de la gauche marocaine, la revendication ne souffre pas la moindre ambiguïté : il y a urgence à adopter une approche égalitaire dans les droits de succession. « C’est une question d’équité. Et cela procède des mêmes principes que nous défendons pour la justice sociale. On ne peut pas défendre la justice sociale, lutter contre les inégalités et fermer les yeux devant l’injustice faite aux femmes et aux filles qui ne peuvent pas hériter de la même manière qu’un homme. Nous ne sommes pas contre la religion. Nous sommes pour l’équité », martèle Fatiha Saddass.
Succession : les clivages politiques
Le débat sera-t-il ouvert de manière sereine et dans le sens d’une injustice réparée ? La tentation d’une polémique politicienne sera-t-elle dépassée ? Les clivages politiques sont marqués. Pour les uns, il faut avoir le courage de légiférer sur la question de l’héritage. Pour les autres, on marche sur des œufs dans un pays islamique et une société conservatrice. Mardi soir, sur Al Oula, le ministre haraki du Tourisme a brandi l’étendard de l’Islam pour réagir à la recommandation du Conseil national des droits de l’Homme. « Dès qu’il s’agit d’avancer sur les droits des femmes, on s’empresse d’ériger des barrières qui s’appellent religion et conservatisme », réplique exaspérée cette défenseure des droits des femmes.
A un an des élections législatives, l’égalité est-elle vraiment un enjeu pour un gouvernement qui a fait le choix des mesures populistes forcément payantes en périodes électorales? Dans le mouvement féminin, on a peine à y croire. L’islamiste Bassima Haqqaoui, la ministre en charge des Femmes, a montré la couleur depuis le début de son mandat, coupant court à toute collaboration avec les associations féminines trop modernistes et progressistes à son goût.
Pourtant, le débat est ouvert. La question de l’égalité dans l’héritage n’est plus un sujet tabou frappé du sceau de l’illicite. «Au Maroc nous avons toujours su effectuer des transitions tranquilles et douces. La réforme de l’héritage peut en être», conclut pleine d’espérance Fatiha Saddass.
Le 23 Octobre 2015
SOURCE WEB Par Libération
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