REPENSER LES RELATIONS AVEC LA FRANCE PAR DRISS GUERRAOUI
Le partenariat entre le Maroc et la France traverse une phase inédite.
Le Pr. Driss Guerraoui, qui enseigne à l’Université Mohammed V de Rabat, est aussi secrétaire général du Conseil économique, social et environnemental; il préside l’Association d’études et de recherches pour le développement. La présente chronique reprend des thèmes développés par l’auteur lors du séminaire de Paris fin avril, organisé par l’ambassade du Maroc dans la capitale française. Le thème général était «Prospective du partenariat Maroc-France». Rappelons que les deux pays ont essuyé une grosse année de brouille qui s’était transcrite par la suspension de la coopération judiciaire
Une nouvelle donne produit de nouvelles réalités dans les sociétés et les économies des deux pays. C’est le moment de changer visions et priorités. Quatre constats sont indispensables:
1- Le Maroc et la France ont construit un modèle exceptionnel d’amitié et de coopération forgé par l’histoire, la proximité et par une gestion intelligente, apaisée et sereine des différends. Mais elle n’arrive pas à en tirer le meilleur parti:
- soit le potentiel est insuffisamment utilisé, soit faiblement valorisé, soit pas encore exploré.
2- Les grands groupes marocains et français sont en avance d’au moins 10 ans sur les acteurs politiques; ces groupes ont réussi des alliances stratégiques, ils opèrent ensemble dans divers sphères et notamment en Afrique. Tout se passe là aussi comme s’il y a une asymétrie, voire un divorce, entre les acteurs politiques et les entreprises, ce qui retarde la réalisation de l’ambition commune du Maroc et de la France, dans le monde particulièrement en Afrique.
3- La vision géostratégique et géo-économique du partenariat est en retard par rapport à la situation radicalement nouvelle de chaque pays, de la région et du monde. Les réformes politiques, sociales et économiques audacieuses initiées bien avant le «printemps arabe», le Maroc des années 2010 s’est transformé. Il a réalisé une synthèse entre monarchie, démocratie, islam et modernité; c’est une vraie expérience.
4- Une nouvelle génération de guerres fait bouger, en accéléré, l’environnement dans lequel évoluent les relations entre le Maroc et la France. Il en découle une instabilité généralisée avec des révolutions, des révoltes et des tensions secouant la Méditerranée du Sud, le Moyen-Orient et l’Afrique au sud du sahara. Une nouvelle réalité sécuritaire émerge avec ses risques terroristes, ses guerres des valeurs qui s’apparentent à de vraies guerres de civilisations et de religions. Cet environnement a impulsé une crise des modèles de croissance en vigueur depuis 200 ans. Il fragilise les économies et déstabilise la cohésion sociale. Il surgit de nouvelles générations de pauvreté et de pauvres, de nouvelles formes de violences sociales, le développement de l’économie du crime, des activités illicites, la prolifération et la diversification du champ du secteur informel et l’aggravation des pressions migratoires.
De ces quatre constats, il découle deux enseignements majeurs: d’un côté les sociétés marocaines et françaises s’interrogent aujourd’hui sur leur avenir et de l’autre les acteurs économiques, sociaux et politiques s’interrogent sur le contenu d’un partenariat Maroc-France qui pourra correspondre à la nouvelle réalité.
Trois types de besoins s’expriment au Maroc et en France. D’abord, des deux côtés, il faut une offre nouvelle de politique et de partenariat. Ensuite, il faut aussi une connaissance partagée des mutations des sociétés. Enfin, il faut une vision géostratégique de la coopération dépassant le cadre bilatéral vers une grande zone Afrique, Monde arabe, Europe.
Pour toutes ces raisons, le partenariat doit changer de vision. Il doit repenser son approche et se fixer de nouvelles priorités.
De ce fait, une prospective semble indispensable. Pour réussir il faut prendre appui sur les intelligences et les compétences des deux pays. Il faut dresser des diagnostics partagés de la situation géostratégique de la région, puis s’adosser à une gestion concertée. Les deux pays doivent tendre vers une maîtrise des risques communs, exploiter ensemble des opportunités. Il serait souhaitable d’avoir une structure commune de veille stratégique.
Cette perspective appelle à une véritable rupture de la vision et de l’approche du partenariat entre le Maroc et la France.
Une référence
Le Maroc est devenu un réel leader régional connu et reconnu par les composantes qui comptent dans le système mondial actuel. Ce qui constitue sa référence porte sur sa stabilité, sur ses nombreux chantiers économiques structurants, ses capacités militaires conférées par une armée professionnelle. Le Royaume dispose d’une ingénierie sécuritaire, d’un système de veille en matière de renseignement, d’un système d’alerte informationnelle. Il est aussi actif au service des missions onusiennes de maintien de la paix, de l’humanitaire, et de coopération pour le développement.
15 Mai 2015
SOURCE WEB Par L’ECONOMISTE
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