ENTREPRENDRE EN MILIEU RURAL UN GRAND GISEMENT DE PME POUR L’AVENIR PAR DRISS GUERRAOUI
Driss Guerraoui est professeur à l’Université Mohammed V Agdal Rabat
LES recoupements effectués à partir des sources disponibles fournis par le Haut Commissariat au Plan révèlent qu’il arrive chaque année sur le marché national du travail environ 650.000 nouveaux demandeurs d’emploi (voir notre ouvrage en arabe, Ichkaliat Attachril, moukarabat oua taouajouhat, Publications de l’AERED, 2014). De l’autre côté, le système productif national, toutes branches confondues, dénote que le volume moyen de création annuelle nette d’emplois pour la période 2000-2013 s’élève à 138.000 nouveaux emplois créés.
Par conséquent, il y a aujourd’hui si non une impossibilité, du moins des difficultés croissantes à réaliser conjointement et la croissance et le plein emploi de l’ensemble de la population active à la recherche d’emploi, qui arrive chaque année sur le marché national du travail.Ceci s’explique par l’existence d’une dynamique qui fait que, malgré l’entrée du Maroc dans une phase avancée de transition démographique, le taux d’augmentation de la population active en milieu urbain reste sans commune mesure avec les capacités limitées de création d’activités économiques nouvelles.Le premier enseignement de ce constat est qu’il y a aujourd’hui une impossibilité objective à ce que le milieu urbain puisse absorber le surplus de main-d’œuvre que dégage annuellement le monde rural.Le deuxième constat a trait à l’évolution des rapports homme-terre dans l’agriculture. Cette évolution révèle un nouvel équilibre entre la population urbaine et la population rurale et entre la ville et la campagne dans la population totale du Maroc (voir encadré).Le troisième constat concerne enfin le rythme de développement des activités non agricoles en milieu rural et de la PME rurale. A ce niveau, les données disponibles montrent que la part de l’emploi non agricole dans l’emploi total en milieu rural évolue à un rythme très lent, puisque cette part est passée de 15% en 1960 à 18% en 1971, à 20% en 1987. Elle serait aux environs de 25,8% en 2012.
Il se dégage de tous ces constats les faits suivants:
- L’incapacité des villes à offrir des opportunités réelles, décentes, suffisantes et durables de création d’emplois et de revenus stables en quantité et en qualité en conformité avec le degré de pression exercée sur le marché national du travail.
- La saturation objective des activités agricoles proprement dite, particulièrement dans l’agriculture familiale et communautaire qui représente 80% de la population et ce malgré la dynamique relative, somme toute à ses débuts, introduite par le plan Maroc Vert.
- Et enfin l’existence de potentialités importantes en matière de création d’activités économiques nouvelles et de PME rurales, soit insuffisamment exploitées, soit tout simplement non encore explorées.
Ce qui place la promotion de la PME rurale au rang de
composante indispensable de toute stratégie future de croissance, créatrice de
richesses, et d’opportunités d’emplois.
Les domaines où la PME
rurale peut concrètement connaître un véritable développement sont très divers
et très différenciés selon les spécificités des terroirs où elle s’implante.
Ils concernent l’artisanat, le tourisme, les industries de transformations des
produits agricoles et alimentaires, la pêche, les services aux ménages ruraux
et aux exploitations agricoles, les énergies renouvelables, les activités liées
à la valorisation du patrimoine culturel et les nouvelles technologies de
l’information et de la communication.Dans ce cadre, il est d’un grand intérêt de
capitaliser sur les expériences réussies par notre pays dans ce domaine.
I- La nécessaire capitalisation des expériences réussies en matière d’entrepreneuriat rural
Le Maroc connaît des expériences originales initiées par le Groupe OCP, le Crédit Agricole du Maroc, la Fondation de la Jeune Entreprise, la Fondation M’jid, les Agence du Sud, du Nord et de l’Oriental, l’Agence de Développement social et d’autres institutions publiques et associations issues de la société civile. Ces expériences montrent la richesse de cette voie et éclaire sur l’importance réelle de ce potentiel, qui demeure le domaine par excellence de l’économie sociale et solidaire et de l’investissement productif en milieu rural..En effet, l’expérience initiée en 2011 par le Groupe OCP, baptisée OCP Skills, concerne l’amélioration de l’employabilité de 15.000 jeunes âgés de 18 à 30 ans. Elle prend appui sur trois piliers: la formation qualifiante, l’accompagnement pré et post-création et le soutien aux jeunes entrepreneurs des zones phosphatières d’implantation du Groupe. Le tout en partenariat entre le groupe, les entreprises, les structures de formations, le Crédit Agricole du Maroc et la Fondation de la Jeune Entreprise. Dans ce cadre, 300 projets ont été accompagnés ayant débouché sur la création de 76 entreprises ayant généré 249 emplois.
Les domaines où la PME rurale peut concrètement connaître un véritable développement sont très divers selon les spécificités des terroirs où elle s’implante. Ils concernent notamment l’artisanat, le tourisme, les industries de transformations des produits agricoles et alimentaires, la pêche, les services aux ménages ruraux et aux exploitations agricole
II / De son côté, le Crédit Agricole du Maroc a initié en 2010 par le truchement de Tamwil Al Fallah un financement dédié à la PME rurale et agricole évoluant dans les zones fragiles. Il s’adresse, en effet aux 50% des exploitations agricoles qui ne peuvent bénéficier ni des crédits bancaires connus du circuit moderne structuré, ni des activités des organismes classiques de la micro-finance.
Il existe d’autres expériences comme celle portée par Maghreb Start-up Initiative, celle porté par la Fondation M’jid et/ou celle que tente de promouvoir l’Agence du Sud dans le cadre de sa stratégie de développement de l’économie sociale et solidaire et les produits du terroir dans les provinces du sud du Royaume.Mais l’expérience sur laquelle le Maroc peut fonder un véritable espoir dans l’avenir en matière de promotion de la TPE rurale et qui pourra à son tour représenter une réelle perspective, si elle arrive à être inscrite comme pilier nouveau et essentiel de sa stratégie globale, c’est celle de l’Initiative nationale de développement humain. Le séminaire organisé à Casablanca le 18 mai 2013 à l’occasion du 8e anniversaire de l’INDH sur le thème de «l’intégration économique» autorise à penser que l’on s’acheminera vers cette direction.Cependant, si on veut que l’impact de ce pilier ne reste pas limité en termes de développement d’activités non agricoles en milieu rural, il est de la plus grande importance à ce que ce nouveau pilier ne s’inscrive pas uniquement dans le cadre d’un traitement social de la pauvreté rurale, mais aussi et surtout d’un traitement économique productif des problèmes des zones de montagnes et des régions fragiles, enclavées et marginalisées du monde rural et les zones périurbaines défavorisées. Car c’est dans ces zones et régions où les besoins d’insertion socioprofessionnelle et d’auto-emploi en faveur des jeunes sont importants.Cette perspective est d’autant plus prometteuse que l’investissement dans les activités non agricoles en milieu rural offre d’énormes avantages. En effet, ces activités constituent de véritables opportunités pour des investissements productifs en milieu rural et corrélativement de promotion de l’emploi, notamment des jeunes ruraux. Elles contribuent, également à l’élargissement du marché intérieur tant pour les produits industriels et agricoles que pour les services s’adressant aussi bien aux ménages ruraux qu’aux exploitations agricoles. Enfin, elles génèrent une amélioration du niveau de vie des populations rurales, nécessaire à une régulation positive de leur comportement démographique et des mouvements de main-d’œuvre entre la ville et la compagne.
III
Les conditions de réussite d’une stratégie nationale de promotion de la PME rurale
Toutes les expériences de par le monde montrent que pour réussir une
meilleure diffusion des activités économiques en milieu rural et une
promotion de la PME
rurale, il convient de disposer d’une vision pertinente appropriée dans
ce domaine.Cette vision doit partir d’un certain
nombre de principes directeurs et de préalables. En effet, il faut disposer
d’abord d’une politique nationale dédiée spécifiquement à la promotion de la PME rurale. Cette politique
doit, cependant, être guidée plus par l’objectif stratégique de modernisation
généralisée du monde rural que par la levée des contraintes liées à la
régulation des mouvements de main-d’œuvre en milieu rural. De même, le
développement de la PME
rurale ne doit pas être limité aux seuls villages ruraux, mais doit s’étendre
aux petites et moyennes communes périurbaines. Elle doit aussi être
insérée dans les programmes de développement comme des activités
complémentaires et indépendantes travaillant pour le même marché.Par ailleurs, la promotion de la PME rurale dépend de la
capacité des collectivités territoriales du milieu rural à essaimer
auprès de leurs populations et surtout auprès des jeunes ruraux les
motivations entrepreneuriales et ce par la sensibilisation, la formation et la
préparation d’environnement économique et social favorable à l’entrepreneuriat
et à la vie en milieu rural.
Enfin, il convient d’agir en cette matière de telle sorte que la promotion de la PME rurale ne soit pas uniquement une réponse d’appoint aux problèmes du chômage, des migrations et de la pauvreté rurale, mais qu’elle constitue un facteur actif dans la croissance économique et le développement humain durable du Maroc.
Réalité démographique
LES données actuellement disponibles montrent que la population rurale est passée de 8.240.000 en 1960 à 9.960.000 en 1971, à 11.668.000 en 1982, à 13.435.000 en 2014, passant ainsi de 70,8% de la population totale du Maroc en 1960 à 40,3% en 2014. Il se dégage de ces chiffres que malgré l’urbanisation rapide du Maroc, la population rurale reste numériquement et en valeur absolue très importante. Aussi sur la même surface agricole utile vit une population plus élevée que par le passé. La conséquence de cette réalité démographique est une tendance à l’aggravation de la pression des hommes sur les terres cultivables et de parcours, avec comme corollaire la saturation objective des activités agricoles proprement dites.
23 Mai 2014_SOURCE WEB Par Driss Guerraoui L’Economiste
Tags : le Haut Commissariat au Plan (HCP)- il arrive chaque année sur le marché national du travail environ 650.000 nouveaux demandeurs d’emploi-e volume moyen de création annuelle nette d’emplois pour la période 2000-2013 s’élève à 138.000 nouveaux emplois créés- le taux d’augmentation de la population active en milieu urbain reste sans commune mesure avec les capacités limitées de création d’activités économiques nouvelles- impossibilité objective à ce que le milieu urbain puisse absorber le surplus de main-d’œuvre que dégage annuellement le monde rural- L’incapacité des villes à offrir des opportunités réelles, décentes, suffisantes et durables de création d’emplois et de revenus stables- saturation objective des activités agricoles proprement dite, particulièrement dans l’agriculture familiale et communautaire qui représente 80% de la population - la population rurale est passée de 8.240.000 en 1960 à 9.960.000 en 1971, à 11.668.000 en 1982, à 13.435.000 en 2014, passant ainsi de 70,8% de la population totale du Maroc en 1960 à 40,3% en 2014 - La conséquence de cette réalité démographique est une tendance à l’aggravation de la pression des hommes sur les terres cultivables et de parcours, avec comme corollaire la saturation objective des activités agricoles proprement dites-