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Entretien avec Brahim Akhiate «L’amazigh, c’est “la boîte noire” des Marocains sans laquelle on serait devant la perte des repères»

Entretien avec Brahim Akhiate  «L’amazigh, c’est “la boîte noire” des Marocains sans laquelle on serait devant la perte des repères»

L’opinion: En procédant à une vision d’ensemble de la lutte pour la reconnaissance de la langue et culture amazighes, que pouvez-vous dire aujourd’hui ?

Brahim Akhiate: A propos de l’amazighité et du combat dont elle a fait l’objet, je considère, quant à moi, que cela a été la question du siècle, pour ce qui concerne les Amazighs du moins. Je dis ça sans exagération aucune de ma part, parce qu’à aucune époque de notre histoire, cette question n’avait été soulevée comme elle le fut au XXème siècle. Dans l’histoire du Maroc, il y a eu des Etats qui se considéraient comme amazighs mais jamais cette question n’a été prise en compte comme aujourd’hui.

L’Opinion : Quels étaient les premiers objectifs fixés à la fondation de l’AMREC ?

Brahim Akhiate: Il faut toujours se souvenir des célèbres propos du grand écrivain malien Ahmadou Ampaté Bâ qui disait: «En Afrique chaque fois qu’un vieillard meurt c’est une bibliothèque qui brûle». Je crois que c’est exactement dans cet esprit que nous avions commencé, après la création de l’AMREC en 1967, à nous empresser de recueillir des œuvres de la culture orale. C’était pratiquement notre premier et principal objectif. Ainsi, chaque fois que nous entendons parler d’une personne qui mémorise des proverbes, contes, poésies, nous faisions le déplacement jusqu’au douar où elle se trouve. Nous mettions par écrit ce qui est recueilli, ensuite nous imprimons en stencil pour le rendre disponible auprès d’un certain nombre de lecteurs, c’était la brochure que nous appelions «Arraten» ce qui veut dire document manuscrit.

Notre travail a fini par montrer l’importance de la sensibilisation sur l’identité, les racines à travers la collecte du patrimoine oral. Ce travail permettait d’avoir quelque chose de concret à montrer et c’est du coup plus efficace pour convaincre sur la pertinence de notre démarche.
L’Opinion: Quels souvenirs vous restent de ces premiers travaux de collecte de la culture orale ?

Brahim Akhiate: L’une des aventures les plus représentatives des travaux d’enregistrement du patrimoine s’est passée au début des années 1970. Je la mentionne dans mon autobiographie. C’était l’été et j’étais au bled. Nous discutions de la bataille d’Ait Baha et voilà que j’apprends qu’un poète qui avait vécu les péripéties de cette bataille était encore vivant et qu’il l’avait décrite dans ses poèmes. J’ai dit à mon père qu’il fallait absolument que je voie ce poète. C’était comme un oncle maternel puisqu’il vivait dans le douar dont ma mère était issue. J’ai dit à mon père que je devais absolument partir dans ce douar. Mon père m’a donné sa mule pour monture et je devais aller dans ce douar situé à proximité d’une oasis, Tarougane Touchka avec une belle palmeraie. Mon père m’a affirmé que dès que je serais près de l’oasis, la mule me mènera jusqu’au douar car elle connaissait le chemin. C’était pas une partie de plaisir surtout qu’il faisait très chaud. Finalement, quand je suis arrivé chez mes oncles, ils m’ont emmené vers la maison du poète. C’était un homme vieux, chenu, environ plus de soixante-dix ans mais dont la mémoire était intacte. J’avais mon magnétophone préparé pour enregistrer. J’ai demandé au poète de me réciter sa qaçida sur la bataille d’Ait Baha. Il s’est exécuté. C’était une évocation imagée, une description précise de la bataille avec les noms de personnes, de tribus. Après les vacances, je suis retourné à Rabat. Au douar de mes oncles, des gens sont venus retrouver le poète pour lui dire qu’il n’aurait pas dû se faire enregistrer en lui assurant que je travaillais à la radio et que j’allais tout déballer. Il y avait en effet dans la qaçida des noms de personnes qui avaient collaboré avec le colonialisme et les gens les haïssaient et la crainte c’est que cela puisse être exploité politiquement. Quelqu’un du douar est venu me rejoindre à Rabat pour me demander instamment de ne pas diffuser la qaçida à la radio. J’ai répondu que je n’avais rien à voir avec la radio. Par la suite j’ai mis par écrit ce poème historique et je l’ai donné à Afa Omar qui l’a publié dans l’Encyclopédie du Maroc.

L’Opinion: Quel est le secret de la fondation de l’AMREC et surtout sa pérennité ?

Brahim Akhiate: Comme on sait, quand Dieu veut une chose, Il ordonne qu’elle soit et elle est. Nous n’avions absolument aucune idée d’une telle association et il était hors de question d’imaginer un pareil parcours. C’était venu par étapes progressives par la grâce de Dieu.
Le secret de notre réussite en tant qu’association et la pérennisation de ses activités c’est je crois le fait qu’à chaque fois que nous organisions des événements culturels, nous essayons d’inviter tous les courants politiques sans exception. C’est notre façon de dire que l’amazighité c’est pour tous les Marocains sans exception, notre culture à tous, nos racines. C’était le cas de l’Université d’été. Nous invitions même ceux qui étaient franchement contre nous. Nous ne craignions pas la contradiction. Quiconque a quelque chose à dire nous nous empressons de lui donner la parole. C’est que nous avons une foi profonde dans la cause que nous défendons qui est celle de tous les Marocains sans exception. Parce que l’amazigh c’est «la boîte noire» des Marocains sans laquelle on serait devant la perte des repères, car c’est elle qui explique tout, c’est elle le soubassement, la base de ce que nous sommes.

Mais le travail de sensibilisation sur l’importance de la prise en charge de la langue et la culture amazighe n’était pas de tout repos puisqu’il aura visé aussi bien les Marocains arabophones que les amazighophones. Car contre toute attente, même les amazighophones n’étaient pas convaincus de notre projet. Il y en avait qui répétaient tout le temps: «Nous parlons l’amazigh, il fait partie de notre vie quotidienne, personne ne nous empêche de le pratiquer alors où est le problème ?». Il fallait expliquer que la langue doit faire partie du domaine éducatif et donc être enseignée, refléter notre vie et exprimer nos émotions, transmettre le savoir, qu’elle doit circuler dans les livres, le cinéma, le théâtre etc.

L’Opinion: Quel est selon vous le plus important aujourd’hui en dehors de la nécessité de l’engagement des institutions de l’Etat pour l’amazigh en tant que langue officielle ?

Brahim Akhiate: Le plus important me semble-t-il c’est la prise de conscience du rôle de l’écriture dans l’enracinement de l’identité. Il ne faut pas oublier que la meilleur forteresse pour protéger notre langue et la développer, c’est d’écrire et de créer par cette langue parce qu’il n’y a pas d’avenir sans création. Ecrire, traduire dans cette langue tout un immense chantier pour les jeunes générations.

5/4/2014_SOURCE WEB Par Saïd AFOULOUS L’Opinion

Tags : fondation de l’AMREC- se souvenir des célèbres propos du grand écrivain malien Ahmadou Ampaté Bâ qui disait: «En Afrique chaque fois qu’un vieillard meurt c’est une bibliothèque qui brûle- création de l’AMREC en 1967- c’était la brochure que nous appelions «Arraten» ce qui veut dire document manuscrit- montrer l’importance de la sensibilisation sur l’identité, les racines à travers la collecte du patrimoine oral- L’une des aventures les plus représentatives des travaux d’enregistrement du patrimoine s’est passée au début des années 1970- J’ai demandé au poète de me réciter sa qaçida sur la bataille d’Ait Baha. Il s’est exécuté- j’ai mis par écrit ce poème historique et je l’ai donné à Afa Omar qui l’a publié dans l’Encyclopédie du Maroc-C’est notre façon de dire que l’amazighité c’est pour tous les Marocains sans exception, notre culture à tous, nos racines. C’était le cas de l’Université d’été. Nous invitions même ceux qui étaient franchement contre nous. Nous ne craignions pas la contradiction-C’est que nous avons une foi profonde dans la cause que nous défendons qui est celle de tous les Marocains sans exception. Parce que l’amazigh c’est «la boîte noire» des Marocains sans laquelle on serait devant la perte des repères, car c’est elle qui explique tout, c’est elle le soubassement, la base de ce que nous sommes- Le plus important me semble-t-il c’est la prise de conscience du rôle de l’écriture dans l’enracinement de l’identité-