Stress hydrique, la BM fortement engagée dans la région MENA et au Maroc
Parmi les problématiques à caractère environnemental autour desquelles s’active la Banque Mondiale, se trouve bien évidemment la question du stress hydrique. Question qui, rappelons-le, est également d’une actualité brûlante au Maroc, et qui n’ira qu’en s’amplifiant dans les années à venir. C’est pourquoi un rapport de la Banque Mondiale, publié en avril 2023, dont le thème est «Aspects économiques de la pénurie d’eau au Moyen-Orient et en Afrique du Nord», est particulièrement riche en enseignements, et mérite qu’on l’étudie.
Ses auteurs, Dominick de Waal, Stuti Khemani, Andrea Barone et Edoardo Borgomeo, rappellent que le problème de longue date que pose l’eau en région MENA est devenu d’autant plus urgent que les effets très divers du changement climatique se manifestent. D’ici 2030, les ressources en eau disponibles par an et par habitant dans la région tomberont sous le seuil de pénurie absolue de 500 mètres ne cubes par personne et par an. Avec une estimation de 25 milliards de mètres cubes supplémentaires par an pour satisfaire la demande d’eau en 2050, le rapport s’attache à mettre explicitement en relief les actions qui rendent difficiles pour les dirigeants la tâche de mener des politiques visant à gérer durablement des ressources en eau limitées. En ce qui concerne le Maroc spécifiquement, dans les principaux aquifères, les prélèvements sont généralement beaucoup plus importants que le potentiel renouvelable des aquifères. La surexploitation, note le rapport, entraîne une baisse spectaculaire de la nappe phréatique. De plus, l’intrusion de l’eau de mer et l’irrigation aggravent la salinisation des aquifères, avec au moins 30 % des ressources en eaux souterraines du pays dégradées en raison de la pollution et de la salinisation. Et de noter que dans certaines régions, un boom des exportations a entraîné des prélèvements d’eau souterraine à un point tel que l’intrusion saline était irréversible…
Les auteurs pointent du doigt le fait que la région MENA s’est attaquée au manque d’eau en mettant en œuvre plusieurs moyens destinés à accroître l’approvisionnement en eau (construction de barrages supplémentaires, exploitation des eaux souterraines et accroissement du dessalement) sans traiter de manière adéquate les problèmes critiques d’efficacité et de gouvernance. Cette situation n’est viable ni sur le plan financier ni sur le plan environnemental, jugent-ils. La région ne pouvant plus s’appuyer sur une stratégie d’investissement dans les infrastructures hydrauliques dans le but d’accroître l’approvisionnement destiné à l’agriculture et aux villes, sans procéder en même temps à des réformes institutionnelles systématiques afin de financer et d’entretenir ces infrastructures ainsi que de réguler la demande. Par exemple, des études de cas sur l’utilisation des eaux souterraines au Maroc décrivent comment les agriculteurs ignorent régulièrement les réglementations publiques (voir encadré).
Le rapport met aussi en évidence des réformes institutionnelles potentiellement efficaces qui permettraient de relever les défis politiques liés à la tarification de l’eau, à l’amélioration de la performance des services publics de l’eau et à l’attribution de l’eau entre les villes et l’agriculture. Ces réformes impliquent de déléguer aux services d’eau professionnels et aux organismes techniques nationaux d’une part, et aux collectivités locales d’autre part, une plus grande autonomie et des pouvoirs stratégiques plus importants pour gérer différents aspects des services d’eau et de l’attribution des ressources en eau. Tout ceci pour renforcer la légitimité de la tarification et de la réglementation de l’eau, afin que les citoyens commencent à s’approprier ces politiques, les rendant ainsi viables et durables.
Par exemple, les consultations pour ce rapport au Maroc ont inclus une discussion sur le fait que l’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE) est actuellement le bénéficiaire prioritaire des allocations d’eau en période de sécheresse. Cette priorité crée de plus en plus de tensions avec les autres utilisateurs et fait peser le risque de pénurie d’eau de manière disproportionnée sur le secteur agricole et l’environnement. Les participants ont noté que l’ONEE fournit de l’eau potable, qui est considérée comme une priorité élevée, ainsi que de l’eau pour d’autres usages domestiques (par exemple, pour les jardins ou les piscines) et les industries qui sont, en principe, une priorité moindre. Ainsi, en année sèche, l’ONEE ne devrait recevoir que l’allocation relative à l’eau potable et aux autres usages essentiels. Or, pour des raisons techniques, l’ONEE ne peut pas séparer la distribution pour les usages essentiels de celle pour les usages non essentiels. Les choix techniques qui ont conduit à l’incapacité de l’ONEE à séparer les usages essentiels et non essentiels ont pour conséquence qu’il reçoit un accès prioritaire à l’allocation d’eau et n’incitent pas l’ONEE à accroître l’efficacité ou à augmenter le financement de la fourniture d’eau non essentielle à partir d’eau non conventionnelle.
Les réformes sont susceptibles de renforcer la confiance dans les organismes publics pour fournir des services d’eau fiables, réduire les gaspillages et les fuites, et générer des revenus suffisants afin d’attirer des financements à long terme pour des infrastructures hydrauliques pérennes. La gestion de la question existentielle de l’eau dans la région MENA ne se limite pas à la volonté politique de quelques dirigeants au sommet de la hiérarchie. Il s’agit également de faire évoluer les croyances et les attentes des gens le long de la chaîne de pouvoir au sein d’une myriade d’organismes publics gérant les services d’eau et l’attribution des ressources en eau, jusqu’aux habitants des communautés rurales et urbaines, explique le rapport. Pour changer ces croyances et ces attentes, les auteurs indiquent qu’il faut les comprendre et concevoir des réformes institutionnelles en conséquence. Ainsi, les campagnes de sensibilisation, la transparence de la prise de décision et l’éducation civique deviennent une part non négligeable du programme de réformes. En s’appuyant sur des données factuelles rigoureuses, les pays peuvent adapter les réformes institutionnelles à leurs propres contextes sociopolitiques, poursuit le rapport. Ces réformes viseraient à donner au personnel des services publics de l’eau et aux responsables des administrations locales les moyens de gérer différents aspects de l’eau en renforçant la confiance des citoyens qu’ils desservent. Les réformes institutionnelles dans le secteur vital de l’eau peuvent être porteuses de transformations, non seulement en changeant la manière dont l’État élabore et applique les politiques de l’eau, mais aussi, plus généralement, en modifiant le contrat social dans la région MENA.
Le 04/08/2023
Source web par : lnt
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