Libye: interdite sous Kadhafi, la langue amazighe se libère
Bannie par le pouvoir de Kadhafi durant quatre décennies, la langue amazighe retrouve aujourd’hui droit de cité en Libye, sur le banc des écoles ou les ondes des stations de radio. Pour la communauté amazighe, qui représente près de 10% de la population, il s’agit simplement d’un «droit naturel».
L’élève hésite puis, encouragé par l’institutrice, approche le feutre du tableau et griffonne quelques caractères en tamazight. La scène paraît plutôt banale mais, douze ans plus tôt, dans la Libye de Kadhafi, elle était impensable. Cet enfant apprend la langue d’une communauté jadis opprimée, dans une salle de classe de Zouara, ville du nord-ouest libyen, près de la frontière avec la Tunisie.
«Les enfants aiment cette matière, car ils y retrouvent leur identité et leur culture»
— Assirem Chouachi, enseignante de tamazight
Et les autres élèves de CM2 se succèdent au tableau, sous le regard exigeant mais bienveillant de la jeune enseignante, en robe noire et voile gris. «Les enfants aiment cette matière car ils y retrouvent leur identité et leur culture», se réjouit Assirem Chouachi, la professeure de tamazight. «Il ne s’agit pas seulement d’alphabet et de vocabulaire mais c’est un ensemble culturel qu’on leur transmet», dit-elle pendant que les enfants partent en récréation.
Condamnés à une oralité clandestine
A 120 kilomètres de la capitale Tripoli, le drapeau, le symbole et l’alphabet des Amazighs s’érigent fièrement à Zouara, comme ailleurs en Libye, depuis la mort, en pleine révolution de 2011, de Mouammar Kadhafi. Durant les quatre décennies de sa dictature, les Amazighs étaient condamnés à une oralité clandestine, ne pouvant parler leur langue qu’à la maison ou dans la rue, mais toujours loin des oreilles de la police, de l’administration ou des médias.
Pour Kadhafi, la Libye était exclusivement arabe. Les quelque 10% de Libyens amazighs font pourtant partie de l’importante population autochtone de toute l’Afrique du Nord, présente bien avant les conquêtes grecques, romaines puis arabes au VIIe siècle.
Des début difficiles
Dans un pays divisé en camps rivaux se disputant le pouvoir, le gouvernement reconnu par l’ONU tient à ménager la communauté amazighe et fournit désormais les manuels de tamazight, sans toutefois rendre la langue officielle.
Pour les plus jeunes élèves, qui n’ont pas connu la vie sous Kadhafi, «c’est simplement un droit naturel d’apprendre leur langue maternelle et ils n’imaginent pas que quiconque puisse le leur interdire», observe Assirem Chouachi, elle-même issue de la première promotion libyenne de licence de tamazight, délivrée l’année dernière par l’université de Zouara.
«Après la révolution, l’enseignante s’est immédiatement procuré des manuels de tamazight édités au Maroc.»
Si elle espère encore davantage de reconnaissance, l’institutrice se réjouit des «avancées énormes déjà réalisées en seulement dix ans». «On est nous-mêmes surpris», jubile l’enseignante qui, après la révolution, s’est immédiatement procuré des manuels de tamazight édités au Maroc.
À Zouara, les premiers cours ont été dispensés dès 2012, avec des «débuts difficiles» en raison d’un manque d’enseignants formés et d’incertitudes autour du programme à suivre, se souvient la directrice Sondoss Saki, après s’être assurée de l’ordre dans la cour de récréation.
Il a même fallu convaincre les parents d’élèves qui craignaient la surcharge linguistique, jugeant l’arabe et l’anglais prioritaires pour les études. «Mais les enfants viennent pour apprendre et leur esprit est grand ouvert à la connaissance», souligne avec assurance la directrice, les drapeaux libyen et amazigh trônant côte à côte sur son bureau.
«Respecter sa langue et son identité»
Ses classes terminées, Assirem Chaouachi file vers le petit studio de Kasas FM, la première radio locale en langue tamazight. Si une station nationale berbérophone a récemment été lancée depuis la capitale Tripoli, Kasas FM émet depuis 2012.
Egalement présentatrice radio, Assirem Chaouachi discute avec Ismaïl Aboudib, le directeur des programmes, des prochains épisodes de son émission consacrée à la littérature amazighe. En chemise blanche et blazer gris, le jeune homme de 28 ans, par ailleurs architecte, s’est lui aussi fait le «devoir» de défendre les «droits» de sa communauté.
Et Kasas FM est l’une des manières de «répondre aux attentes» des habitants de Zouara, assure-t-il, après avoir opéré quelques réglages sur la petite table de mixage. Société, culture, religion, divertissement, sport: la radio aborde «tous les sujets qui intéressent les auditeurs dans la langue qu’ils connaissent le mieux», se félicite-t-il, derrière ses larges lunettes aux bordures transparentes.
Pour lui, «respecter sa langue et être fier de son identité» n’empêchent pas de «vivre avec les autres communautés». Au contraire, ces nouveaux droits permettent «d’aller de l’avant ensemble sans rester hantés par l’époque de la persécution». «Le monde entier est fait de diversité», constate-t-il. «Et c’est aussi le droit de tous les Libyens de vivre dans cette harmonie».
Le 29 Mars 2023
Source web par : le360
Les tags en relation
Les articles en relation
Réchauffement climatique : les décès annuels liés à la chaleur risquent d'être multipliés par
Plus d'une centaine de scientifiques ont participé à une étude publiée mercredi dans la revue "The Lancet". Mortalité, sécurité alimentaire, transmis...
Oueds, nappes phréatiques, barrages… à sec, le Maroc a soif
S’il est un fait bien ancré dans l’esprit des Marocains, c’est que le Royaume est frappé de plein fouet par sa pire sécheresse depuis près de quatre d...
Sahara : l'émissaire de l'ONU entame à Alger sa tournée dans la région
L'émissaire de l'ONU pour le Sahara, Horst Koehler, a été reçu samedi à Alger par le ministre algérien des Affaires étrangères Abdelkader Messah...
COP25 : l’engagement fort du Maroc en faveur de l’action pour le climat hautement salué
L’engagement fort du Maroc en faveur de l’action pour le climat a été hautement salué lors de la 25è Conférence des parties de la Convention-Cadre des ...
Robots : les emplois qualifiés menacés dans les pays développés
Dans son dernier rapport, la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (CNUCED) plaide en faveur de l'usage de robots collaboratif...
Une "miss Amazighe", pourquoi faire?
La défense de la culture et de l’identité amazigh ont-elles besoin de l’élection d’une “miss“? C’est en tous les cas ce qui a été fait à Agadi...
Langue amazighe : la loi organique arrive enfin
Le projet de loi sera programmé pour amendement et vote en commission incessamment. Le texte est depuis bientôt deux ans devant le Parlement alors qu’il dev...
Enseignement de l’amazigh : La généralisation globale d’ici 2030
Un objectif intermédiaire d’un taux de couverture de 50% des établissements scolaires, offrant un enseignement en amazigh au cours de la rentrée scolaire 2...
Giec : le dernier rapport estime l'impact d’un réchauffement de 1,5 °C
Lundi 8 octobre, les délégués des États de l'ONU, réunis en Corée du Sud depuis une semaine, rendront public le dernier rapport du Giec. Ce document d...
Sahara marocain. Déclaration finale de la conférence ministérielle africaine de Marrakech
Les pays africains ayant pris part, lundi à Marrakech, à la conférence ministérielle sur l'appui de l'Union Africaine (UA) au processus politique de...
Afrique : Les réélections de Muhammadu Buhari et Macky Sall, une aubaine pour le Maroc
Cette semaine, le Maroc a vu deux de ses alliés africains rempilés pour des seconds mandats à la tête de leurs pays respectifs. Les élections, dès le prem...
Sahara marocain: Trump hausse le ton
L’administration Trump n’est pas satisfaite du travail de la Minurso. Selon Al Massae, un haut responsable américain a accusé la mission en présence de m...