GIEC, UN MODÈLE À BOUT DE SOUFFLE ?

Le sixième rapport d’évaluation du Giec, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, vient d’être publié. Un évènement phare qui, au-delà du symbole, pose questions. Les rapports du Giec sont-ils trop larges et dépolitisés ? Si la nécessité d'un consensus scientifique est saluée, certains experts appellent à repenser les rapports du Giec avec un temps moins long et des sujets plus controversés. Et la critique émane même des rangs des auteurs du Giec.
C’est la crainte principale de tous les écologistes. Que le rapport du Giec passe à la trappe, invisibilisé par la réforme des retraites. "Le conflit sur les retraites va mettre l’éteignoir sur la sortie de la synthèse du Giec", craint le climatologue Jean Jouzel dans Libération. "Et moi qui me demandais qui allait faire disparaître le nouveau rapport du Giec de l’actualité cette fois-ci", ironise sur Twitter le rédacteur en chef du média Vert. Difficile pour ce "rapport des rapports", comme le titre les Échos, de se faire une place dans cette actualité brûlante enflammée par le 49.3. Et pourtant, le Giec a réussi un tour de force en faisant autorité en matière de climat.
Ce rapport vient ainsi clore un cycle commencé en 2015 prenant en compte les trois rapports principaux publiés sur les preuves physiques du réchauffement, sur ses impacts et enfin sur les mesures d’atténuation. Une synthèse particulièrement utile pour la prochaine COP28 sur le climat, qui sera organisée fin décembre aux Emirats arabes unis. Mais sur le fond, quoi de nouveau ? Rien, car les informations essentielles ont déjà été données.
Des rapports "contre-productifs"
Un 7ème cycle devrait être lancé et aboutir aux alentours de 2030. Mais plusieurs voix se font entendre sur la nécessité de repenser ce cadre. "Il y a un risque que ces rapports soient contre-productifs car le Giec cadre ses messages de manière très larges. On a trois messages : le changement climatique est réel, on voit les impacts se succéder et les solutions existent", explique Kary de Prick, chercheuse et autrice du livre "Giec, la voix du climat". "Ces grands messages n’aident pas nécessairement".
Les critiques viennent même des auteurs des rapports. Si le chercheur spécialisé dans la géopolitique de l'environnement et la migration climatique François Gemenne reconnaît la nécessité d'une évaluation scientifique indépendante qui établisse un consensus il ajoute : "Ceci étant dit, aujourd'hui, le long cycle d'évaluation de 8-9 ans n'est plus adapté au mode de décision politique et à l'urgence".
Un faire-valoir pour les politiques
Dans un édito publié dans le Monde en 2021, le journaliste spécialisé Stéphane Foucart va plus loin et s'interroge : "À quoi sert encore le Giec ?". Selon lui le "cycle sans fin" du travail du Giec, composé de rapports qui s’enchaînent, "produit la nécessité d’une éternelle procrastination". "C’est ce processus précis de synthèse et de transmission de la connaissance qui peut sembler, aujourd’hui, en bout de course. Non seulement parce qu’il est sans fin, mais aussi parce qu’il donne aux responsables politiques l’illusion d’agir. Nous agissons, semblent penser les décideurs, puisqu’une armée de scientifiques y travaillent perpétuellement", écrit-il.
D’autant, rappelons-le, que les membres du Giec sont des pays et non pas des personnes physiques. 195 pays sont représentés. D’où l’exercice de dépolitisation du "résumé pour les décideurs", un texte d’une dizaine de pages approuvé ligne par ligne par les délégués. "La volonté du Giec est de ne pas pointer du doigt les principaux émetteurs ou de le faire de manière très nuancée. Ce sont les États qui négocient ces nuances", précise Kary de Prick. Dans ce contexte, au-delà de l’alerte, le Giec peut-il avoir un effet mobilisateur ?
Des rapports "plus petits et flexibles"
"Ce n’est pas son rôle", tranche Franck, ancien activiste d’Extinction Rebellion. "J’ai beaucoup de mal à critiquer le Giec. Il fait son travail. C’est à la société civile de prendre le relais derrière. La question est plutôt : le mouvement climat est-il assez politisé ? Pendant longtemps la devise de l’écologie en France c’était "ni de droite ni de gauche", on voulait sortir du jeu politique traditionnel", analyse Franck. "Les rapports du Giec ont évolué. Ils ne se contentent plus d’alerter".
Et de fait, derrière les grandes lignes et les éléments de langage repris en boucle par les médias et les politiques, le Giec a en effet introduit des "petits changements de paradigme", comme le fait remarquer Kary de Prick. "Le rapport de synthèse mentionne notamment la sobriété ou encore l’équité. Mais il faudrait aller plus loin, et sortir des rapports plus spécifiques permettant de sélectionner des enjeux de mise en œuvre dont les États ont besoin plutôt que des rapports de synthèses trop généraux, trop vagues".
Depuis quelques années, des Giec régionaux se forment d’ailleurs pour mieux identifier les enjeux territoriaux. François Gemenne propose lui des rapports "plus petits, plus flexibles, sur des sujets de controverses dans les débats publics". Reste aussi à améliorer la transparence. "Je ne comprends pas pourquoi c'est aussi opaque", indique à Novethic la journaliste Audrey Garric. "Les journalistes n'ont accès qu'au rapport final. On ne sait pas qui a pesé sur quoi. Les négociations lors des COP sont plus transparentes", note-t-elle.
Le 20 Mars 2023
Source web par : novethic
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