Au Maroc, « nous exportons sous forme de fruits l’eau qui nous manque »
Le pays a misé sur l’irrigation et les cultures de contre-saison. Une stratégie réussie économiquement, mais qui assoiffe un pays qui subit les sécheresses.
Un agriculteur cueille des fraises destinées à être exportées, dans un champ de la ville de Moulay-Bousselham, dans la province de Kénitra, au Maroc, le 15 mars 2014. Les producteurs de fraises locaux utilisent la méthode de plantation à plusieurs couches pour produire deux fois plus. YOUSSEF BOUDLAL / REUTE
En exportant ses tomates, ses pastèques, ses fraises ou ses oranges, le Maroc vend l’eau qui lui fait défaut. Dans un pays confronté à un grave sécheresse, ce cri d’alarme se fait de plus en plus insistant. Il provient de scientifiques, de militants écologistes et d’associations, qui mettent en garde contre les conséquences d’une agriculture gourmande en eau et tournée, pour une bonne part, vers l’export plutôt que vers l’autosuffisance.
Une décision récente du gouvernement est venue y faire écho. Signée par les ministres de l’agriculture et du budget, et publiée le 22 septembre, celle-ci met fin aux subventions pour les cultures d’agrumes, de pastèques et d’avocats, décriées pour leur rôle dans l’assèchement de certaines régions. Concrètement, il ne sera plus possible de bénéficier des aides permettant d’investir dans l’irrigation localisée : creusement de puits, pompage, équipement de goutte-à-goutte…
L’objectif : stopper l’extension des superficies irriguées de ces cultures qui ont « atteint, voire dépassé, les objectifs fixés » pour « laisser la place à d’autres cultures », souligne-t-on au ministère de l’agriculture. Celui-ci entend encourager des cultures « moins consommatrices en eau, notamment le caroubier, le cactus, l’amandier, le câprier, le figuier ».
Coupures quotidiennes
Si la mesure est saluée comme allant dans le bon sens, son impact risque toutefois de n’être que très modéré. « D’abord, parce qu’il y aura toujours des investisseurs qui auront les moyens de s’installer sans subventions. Surtout, parce que les grandes fermes qui pratiquent ces cultures intensives et irriguées existent déjà et suffisent à tout assécher », déplore Salima Belemkaddem, du mouvement Maroc Environnement 2050, qui insiste sur « l’urgence d’un changement radical de modèle agricole, vu l’étendue des dégâts ».
Dans ce pays d’Afrique du Nord soumis aux sécheresses à répétition, la situation est alarmante. Jeudi 6 octobre, le taux moyen de remplissage des barrages n’était que de 24 %. « Les agriculteurs creusent des puits de plus en plus profonds pour trouver de l’eau. Toutes les nappes d’eau souterraine sont surexploitées ; certaines sont totalement épuisées par endroits », s’inquiète Fouad Amraoui, professeur en sciences de l’eau à l’université Hassan-II de Casablanca. Le manque d’eau menace jusqu’à l’approvisionnement des villages et des villes, conduisant certaines municipalités à restreindre le débit d’eau potable ou à instaurer des coupures quotidiennes.
Le Maroc est en situation de « stress hydrique structurel », rappelait, en juillet, la Banque mondiale dans un rapport sur l’économie marocaine. Avec 600 mètres cubes d’eau par personne et par an – contre 2 600 mètres cubes en 1960 –, la demande en eau dépasse largement les ressources disponibles. « A 500 mètres cubes, on atteindra le seuil critique de pénurie. Beaucoup de régions sont déjà en deçà », prévient M. Amraoui. Dans ce contexte, le pays est confronté à un dilemme : comment concilier un modèle d’agriculture intensive qui représente 14 % du PIB et emploie 40 % de la population active, mais accapare 85 % de la consommation nationale en eau, avec l’impératif de préserver ce qui lui reste de ressources hydriques ?
Les choix du royaume chérifien en matière de politique agricole ont été gravés dans le marbre en 2008 à travers le plan Maroc vert (PMV), une stratégie sur dix ans visant à faire du secteur agricole un levier prioritaire pour le développement socioéconomique du pays. Modernisation, intensification, diversification des cultures, libéralisation du foncier en étaient les maîtres mots. En matière de richesses créées, son succès est indéniable. Le PIB agricole a connu une hausse annuelle de 5,25 % ; les exportations ont augmenté de 117 % sur la période. Près de trois cent quarante mille emplois ont été créés, d’après les chiffres officiels. En contrepartie, il a aggravé la pression sur les ressources en eau.
Petits agriculteurs « contraints de vendre »
« Le PMV a amplifié le passage d’une agriculture traditionnelle pluviale – céréales, légumineuses, élevage pastoral… – à un modèle productiviste reposant sur l’intensification de l’irrigation à des niveaux insoutenables », explique Mohamed Taher Sraïri, enseignant-chercheur à l’Institut agronomique et vétérinaire de Rabat. Selon la Banque mondiale, le Maroc a « plus que triplé » ses surfaces cultivées sous irrigation localisée, au goutte-à-goutte, depuis la fin des années 2000. Censée pourtant être économe en eau, cette technologie a pu, « contre toute attente », conduire à « augmenter plutôt qu’à diminuer la quantité totale d’eau consommée par le secteur agricole », souligne l’institution.
« On a planté des avocatiers, une culture tropicale, alors que notre climat est semi-aride ! », dénonce M. Sraïri.
De fait, de nombreux agriculteurs s’y sont convertis, encouragés par les subventions et l’ouverture aux marchés internationaux, pour rendre cultivables des terres arides et développer des productions de fruits et légumes de contre-saison destinées à l’export, certes rentables, mais très consommatrices d’eau. « On s’est mis à cultiver les agrumes dans des régions où le niveau annuel de précipitations ne dépasse pas 200 millimètres, alors que ces arbres nécessitent un minimum de 1 000 millimètres. On a fait pousser des pastèques, composées à 95 % d’eau, dans des confins désertiques. On a planté des avocatiers, une culture tropicale, alors que notre climat est semi-aride ! », dénonce M. Sraïri.
« Le développement de ces cultures s’est fait dans les mêmes logiques de mobilisation outrancière des eaux souterraines parce que la pluie ne tombe pas assez et que l’irrigation à partir des barrages est insuffisante ou inexistante, poursuit-il. Finalement, le consommateur européen peut acheter des pastèques marocaines dès la fin de mars, mais à quel coût environnemental ? » Coût social aussi, car le plan a davantage profité aux grands exploitants : « Les petits agriculteurs, qui n’ont pas les moyens de creuser, sont contraints de vendre et de partir. »
Dépendance alimentaire
A ces vulnérabilités s’ajoute un enjeu de sécurité alimentaire. En effet, « le PMV a privilégié des cultures d’exportation au détriment des cultures vivrières, celles destinées à satisfaire les besoins de la population, telles que les céréales, le sucre, les huiles de graines, comme l’explique l’économiste Najib Akesbi. Résultat, le Maroc importe 100 % de ses besoins en maïs, 98 % en huiles de graines, plus de la moitié en blé et en sucre. Il se retrouve dans une dépendance qu’il n’avait jamais connue. » Et dont il mesure aujourd’hui les conséquences avec la flambée des cours mondiaux.
En 2020, un nouveau plan, Génération Green 2020-2030, a été lancé. Dans la continuité du plan antérieur, il vise à doubler, d’ici à 2030, le PIB agricole et les exportations. Il est question aussi de « résilience » au changement climatique, d’« écoefficience », de « doublement de l’efficacité hydrique ». Ces promesses seront-elles suffisantes pour éviter au Maroc la soif ? Pour M. Akesbi, « c’est de fond en comble que la politique agricole doit être repensée. Est-on à la veille de le faire ? Malheureusement, je ne le crois pas ».
Le 10/10/2022
Source web par : le monde
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mercredi 12 octobre 2022
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