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Gouvernance 46 000 moqaddems Jadis incontournables, à quoi servent-ils aujourd’hui ?

Gouvernance   46 000 moqaddems  Jadis incontournables, à quoi servent-ils aujourd’hui ?

Leur statut juridique est ambigu, mais leurs tâches sont claires : rapporter au caïd tout ce qui se passe. Le recrutement d’un moqaddem n’obéit à aucune règle administrative, ni à aucune formation préalable. Ils sont 46 000 et sévissent aussi bien en ville qu’à la campagne. On les trouve sur tout le territoire. Ils sont sous l’autorité du caïd, le patron des arrondissements et représentant du wali ou du gouverneur au niveau local. Ils traînent la piètre réputation -qui n’est pas tout à fait usurpée- d’être l’œil et l’oreille du caïd, les bergagas (mouchards) qui rapportent tout. Ils ont aussi le triste privilège d’être vus comme de fieffés corrompus qui n’émettent leur paraphe sur un document qu’en astreignant le citoyen à donner de l’argent. Et ces documents sont nombreux ! Un certificat de résidence, d’indigence, de vie, de célibat, un passeport, une autorisation de construire… Ils ? Ce sont les moqaddems, ces auxiliaires de l’Etat au bas de l’échelle (à peine devant laârifa) de l’administration territoriale, avec un statut juridique des plus ambigus. Ils ne sont pas tout à fait fonctionnaires car ne disposant pas de numéro de SOM, et ils peuvent donc être congédiés, sans préavis, à tout moment sans indemnité de départ ou de licenciement. Leurs tâches sont innombrables et leurs horaires de travail ne sont définis par aucune loi. Saïd, nommons-le ainsi, est l’un d’eux. Rencontré quelques jours après le référendum constitutionnel, il n’a que ce mot à la bouche. Les moqaddems sont en effet la cheville ouvrière du ministère de l’intérieur lors des scrutins. A chaque vote, une tâche incongrue et fastidieuse les attend : la distribution, à domicile, des cartes électorales pour les personnes qui ne se sont pas déplacées à l’arrondissement pour les récupérer. «C’est la grande  corvée qui nous attend lors de chaque rendez-vous électoral», se plaint Saïd, 18 ans de service, et qui compte à son actif plusieurs consultations électorales. «Les caïds sont toujours sur nos talons, ils nous obligent à ratisser large, à frapper toutes les portes et à écouler toutes les cartes en notre disposition. Jusqu’à 200 cartes par jour, et le soir je me retrouve avec des dizaines de cartes de gens qui ont déménagé, ou qui sont décédés depuis les dernières élections. Nous sommes obligés de les détruire et de mentir pour éviter les foudres du caïd», ajoute ce même agent auxiliaire d’autorité. Il se rappelle du jour de son recrutement On est au début des années 90. Un bac lettres modernes en poche en 1992, à Marrakech, lui permet de faire l’hôtellerie. La crise affectant le secteur lors de la première guerre du Golfe, c’est le chômage pendant plusieurs mois. Un oncle à Casablanca lui organise un rendez-vous avec le responsable de la direction des affaires générales (DAG) de la wilaya, lequel dans un entretien lui demande son niveau de connaissance des langues. «Je parle et écris correctement l’arabe et le français, et je me débrouille en anglais», répond fièrement Saïd, croyant que les questions sur la langue ont une relation avec le travail que l’agent d’autorité va lui proposer. Il s’aperçoit quelques jours plus tard que son dossier a été transféré à la DST, pour enquête. Celle-ci est indispensable pour recruter tout agent d’autorité, et les moqaddems ne font pas exception. Ils ne doivent être affilié à aucun parti politique, aucun syndicat, aucune association. Leur seule devise est «Dieu, la patrie, le Roi», et leur dévouement doit être sans bornes C’est dans un arrondissement au quartier Aïn Chok qu’il fait ses premières armes de moqaddem. Salaire mensuel : 700 dirhams nets. «Tous les moqaddems de Casablanca, à la fin du mois, faisaient la queue devant l’annexe de la préfecture de police pour toucher leurs salaires», se rappelle encore Saïd. En espèces, ni chèque ni virement. Autant dire des travailleurs clandestins payés au noir, au service de l’Etat, dont on rechigne à reconnaître le statut de fonctionnaires. Ils n’avaient à l’époque ni assurance maladie, ni pension de retraite, ni congé payé. Le nombre de moqaddems dans un arrondissement dépend de la superficie et de la population du quartier En d’autres termes, le recrutement d’un moqaddem n’obéit à aucune règle administrative, ni à aucune formation préalable. «Ils ne passent aucun concours, ils sont recrutés sur la base d’une demande adressée au service central du ministère de l’intérieur après approbation des services locaux (caïd, préfecture, province)», selon ce caïd à Casablanca. Il existe deux catégories de moqaddems, ajoute la même source : pour ceux exerçant dans le milieu rural, la seule et unique condition qu’ils devraient remplir est de savoir lire et écrire l’arabe ; pour ceux du milieu urbain, le niveau d’études primaire ou secondaire suffit. Pour l’anecdote, Saïd raconte :«Notre caïd a reçu un jour dans ses bureaux le gardien de voitures du quartier de l’arrondissement pour le recruter comme moqaddem, or ce dernier sait à peine écrire son nom. Il a d’ailleurs décliné l’offre, arguant que le travail de moqaddem est intenable avec des horaires de travail impossibles». Symbole de la corruption, le moqaddem l’assume Travailler sans compter ses heures ? Ce n’est pas faux. Le moqaddem est au service du caïd, son supérieur direct, 24h/24, il peut être appelé à une tâche à n’importe quelle heure, de nuit comme de jour, sans aucune indemnité. Cela, pour accomplir toutes les tâches possibles et imaginables. Résumons-les : comme son nom l’indique, le moqaddem (qui signifie être devant) est le premier à devoir être au courant de tout ce qui se passe dans «son» périmètre, et le rapporter dans un bulletin quotidien à son supérieur : un décès, un suicide, un homicide, une chute, des réunions illégales, une distribution de tracts, un incendie, jusqu’à une fuite d’eau ou de gaz ou une panne d’électricité… Ce travail double d’intensité «quand il y a une visite royale dans le quartier. Une crevasse dans la chaussée ? Il faut la remplir. Un graffiti sur un mur ? Il faut l’effacer. Un panneau publicitaire planté là où il ne faut pas ? Il faut le démolir. Qu’on se débrouille, il faut le faire par nos propres moyens», s’indigne cet autre moqaddem. Ces derniers mois, un autre travail est ajouté à cette panoplie de tâches. «On nous demande d’enrôler le maximum de gens pour faire une contre-manifestation quand le mouvement du 20 Février en organise. Comme il y a des infiltrations et de la manipulation au sein de ce mouvement, cela a monté d’un cran après le référendum constitutionnel : au quartier Sbata, le dimanche suivant le vote, il fallait absolument faire venir le maximum de personnes. Il fallait compter sur soi-même, les transporter coûte que coûte. C’est un ami qui nous a prêté sa Honda pour faire plusieurs voyages», se lamente un troisième moqaddem Même au prêche du vendredi, le moqaddem doit être au premier rang pour faire un compte rendu des éventuels dérapages de l’imam. Le nombre de moqaddems dans un arrondissement ainsi que leur charge de travail dépendent de la superficie et de la population des quartiers. Les moqaddems, symbole de la corruption par excellence ? Leurs supérieurs les laissent faire, et eux ils l’assument sans état d’âme «Avec 700 DH comme salaire par mois,c’était la seule façon de gagner ma vie. Pendant six ans, je dormais la nuit dans l’arrondissement, je n’avais pas de quoi louer une maison», se justifie Saïd. Leurs émoluments ont augmenté ces dernières années, à la faveur de la dynamique que connaît le pays, mais ils ne dépassent pas, pour l’écrasante majorité, les 2 000 DH par mois. Tous ne sont pas intégrés au Budget général du Royaume mais payés sur le budget de la préfecture ou la province, et donc n’ont pas de numéro de somme, et n’ont donc pas de garantie pour obtenir un crédit bancaire, par exemple. Ils bénéficient, selon les cas, de pensions de retraite de la CMR ou du RCAR, et leur affiliation à la CNOPS est maintenant quasi-générale. On est loin de l’époque où le moqaddem touchait 700 ou 800 DH par mois, mais leur situation matérielle ne peut être qualifiée de reluisante, malgré les augmentations prévues à partir de ce mois de juillet 2011 (voir encadré ci-dessus). L’ambiguïté du statut du moqaddem n’est pas tout à fait levée pour autant, tant qu’il n’est pas encore intégré officiellement dans la fonction publique, et traité sur un pied d’égalité avec tous les autres fonctionnaires. En effet, «la réforme de l’administration territoriale, avec le nouveau statut de l’agent d’autorité adopté en 2008, reste incomplète tant que le statut des auxiliaires d’autorité n’a pas été révisé», clame ce responsable au ministère de l’intérieur. Encore faut-il que leur existence même ne soit pas remise en cause, car finalement quel rôle joue un moqaddem ? Le plus souvent, il sème la méfiance entre le citoyen et l’administration. Missions : L’œil de Moscou dans le quartier Le moqaddem est censé être au courant de ce qui se passe dans les quartiers qui entrent dans sa sphère, et le rapporter au caïd. Officiellement, le moqaddem rédige chaque jour un rapport des informations qu’il a collectées. Le caïd, le patron de l’arrondissement, les transmet à la préfecture ou province. Cette dernière rédige un rapport quotidien basé sur les informations contenues dans les comptes rendus de tous les moqaddems et sera adressé au ministère de l’intérieur, Direction des affaires générales (DAG) Les moqaddems font également des tâches de coursiers ou de vérificateurs de données sur le terrain, en rapportant des informations, qui concernent, en général, la situation politique, syndicale, associative et économique (marchés de gros, prix, etc.) au niveau de leur circonscription territoriale. Ils accompagnent les agents recenseurs du fisc qui, chaque année, pour les taxes urbaine et d’édilité, actualisent leurs fiches. Comme ils assistent dans les mosquées au prêche du vendredi, au 1er rang, pour faire un compte rendu sur le thème et signaler tout dérapage de l’imam Bonne nouvelle : leurs salaires, tout comme ceux des chioukhs et des «laârifa», connaîtront une augmentation à partir de ce mois de juillet de l’ordre de 1 500 à 2 000 DH. Questions à Ali Sedjari, Professeur universitaire : «Le moqaddem porte aujourd’hui préjudice à l’administration» Quel est le statut juridique d’un moqaddem ? Les chioukhs et les moqaddems sont une vieille institution d’avant l’époque du régime du Protectorat, qui assumaient une fonction de «représentation sociale» au bénéfice du Makhzen, mais c’est le Protectorat qui les a enrôlés dans l’administration territoriale pour mieux surveiller les gens et rapporter des informations sur les citoyens. Ce sont des gens supposés connaître leur environnement jouissant d’une sorte de notoriété symbolique ou sociale qui leur permettait d’encadrer et de disposer de l’information en temps réel afin que le pouvoir puisse agir en conséquence. C’est donc dans un esprit de commandement et dans un souci de maintien de l’ordre et de sécurité que ces auxiliaires de l’administration sont recrutés et engagés. Ils deviennent, au fil du temps, des auxiliaires incontournables dans la collecte des informations surtout à une époque où la sécurité constituait la priorité absolue de l’Etat. Leur recrutement ne se faisait sur aucune base juridique ou procédurière, mais sur la base de cooptation et des garanties que ces agents donnent pour assumer les tâches auxquelles ils seront chargés. Aucun niveau académique n’était exigé d’eux, il suffisait juste qu’ils présentent des gages de confiance et qu’ils soient de bons informateurs ayant l’œil sur tout ce qui se passe dans leur territoire Et leur statut après l’indépendance ? Ni «laârifa» ni les moqaddems ni les chioukhs n’étaient incorporés à la fonction publique, ils n’avaient pas un salaire ni un numéro de SOM, mais uniquement des indemnités par rapport à leur fonction stratégique d’information. Mais ce statut a quelque peu évolué avec le temps. Mais leur fonction n’a pas changé, ils sont toujours derrière l’information sur les citoyens… Ils ont continué en effet à être le relais entre l’administration et le citoyen, et tous les jours ils informent directement ou indirectement par le truchement d’autres relais leurs supérieurs. Mais, actuellement, ils posent un problème d’utilité et d’efficacité par rapport à un environnement qui a beaucoup évolué et à une administration qui se modernise. L’Etat est appelé à faire des choix, plus particulièrement dans ce contexte de réformes marqué par la mise en place d’une régionalisation avancée et d’une Constitution nouvelle qui exige la mise en place des fondements de bonne gouvernance territoriale. Le territoire n’est plus aujourd’hui un enjeu de commandement et de pouvoir, mais un lieu où se fabriquent et se produisent des politiques publiques qui exigent la maîtrise du savoir, de la connaissance, de l’expertise et des qualifications professionnelles reconnues pour gérer et développer le territoire. L’ère des chioukhs et des moqaddems, comme celle des adouls, est révolue parce qu’ils pérennisent l’image d’une administration néopatrimoniale anachronique et empêchent le territoire d’évoluer. L’urgence aujourd’hui est d’inverser les rôles, l’information comme la confiance doivent venir d’en haut, l’autorité et la souveraineté d’en bas. Tous ces relais traditionnels secrètent pour l’instant plus un climat de méfiance et de suspicion qu’un climat d’apaisement entre les citoyens et l’Etat. Ils véhiculent une image négative du pays et des institutions. SOURCE WEB Jaouad Mdidech. La Vie éco