Le mystère de l’origine géographique de la peste noire résolu sept siècles plus tard ?
Une étude met (sans doute) fin à près de sept siècles de questionnements. D’après celle-ci, la pandémie de peste noire, qui décima une grande partie de la population européenne au Moyen-Age, a émergé en Asie centrale, dans l’actuel Kirghizistan. C’est grâce à de l’ADN humain ancien, extrait depuis un site funéraire du XIVe siècle dans le nord du Kirghizistan, que les chercheurs ont pu remonter à la source. Leurs découvertes, publiées mercredi dans la revue Nature, tranchent un très vieux débat d’historiens.
L’épidémie de peste noire a atteint l’Europe en 1346 par le bassin méditerranéen, via des navires transportant des marchandises depuis la Mer noire. En seulement huit ans, la « mort noire » a tué jusqu’à 60 % de la population d’Europe, du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. Et marqué le début d’une longue vague de l’épidémie, qui allait resurgir par intermittence durant 500 ans. Où est-elle née ? L’une des pistes les plus communément avancées était celle de la Chine, mais aucune preuve robuste n’a pu étayer cette théorie. « J’ai toujours été fasciné par la peste noire, et l’un de mes rêves était de résoudre le mystère de ses origines », a raconté l’historien spécialiste des catastrophes Phil Slavin, l’un des auteurs de l’étude, lors d’une conférence de presse.
« Mort de pestilence »
Ce professeur à l’Université de Stirling (Ecosse) connaissait l’existence de deux sites funéraires médiévaux près de lac d’Issyk Kul, au Kirghizistan, qui avaient été fouillés à la fin du XIXe siècle. Sur plus de 400 pierres tombales, une centaine était précisément datées : 1338-1339. Avec une épitaphe mentionnant une elliptique « mort de pestilence », en ancien syriaque. Autant d’indices d’une surmortalité anormale au sein d’une communauté, sept ou huit ans avant que la peste noire ne frappe l’Europe.
Pour trouver la cause des décès, les chercheurs ont fouillé dans l’ADN dentaire de sept squelettes. « La pulpe dentaire est une source précieuse, car c’est une zone très vascularisée qui donne une forte chance de détecter des pathogènes dans le sang », a expliqué Maria Spyrou, de l’Université de Tübingen en Allemagne, elle aussi auteure de l’étude. L’ADN a pu être séquencé – un travail délicat tant il était fragmenté – puis comparé à une base de données contenant le génome de milliers de bactéries.
Verdict : les corps avaient été infectés par la bactérie Yersinia pestis, le bacille responsable de la peste noire, transmise à l’homme par les puces des rongeurs. Cette communauté avait donc bien été victime du même fléau que celui qui a frappé l’Europe quelques années plus tard. Les analyses du génome de Yersinia pestis ont aussi révélé qu’il s’agissait d’une souche ancestrale de la bactérie. Celle qui se trouve à la base de « l’arbre génétique » de la peste. Les scientifiques associent justement l’apparition de la peste noire en Europe à un « Big Bang » génétique au cours duquel les bactéries souches se sont massivement diversifiées.
Au cœur des routes de la Soie
Les souches découvertes au Kirghizistan se trouvent pile « au nœud de cette diversification massive », survenue vers les années 1330. Confirmant que cette région du monde, le Tian Shan, a bien été le point de départ de l’expansion, selon Maria Spyrou. De plus, chez les rongeurs vivant aujourd’hui dans le Tian Shan, les chercheurs ont identifié une souche de la bactérie très proche de celle des victimes humaines de 1338-1339, « la plus proche qu’on ait trouvée dans le monde », a complété Johannes Krause, de l’Institut Max Planck, co-auteur de l’étude.
Il s’agissait de communautés chrétiennes, ethniquement diversifiées (Mongols, Ouïghours…), qui pratiquaient le commerce au long cours selon les objets funéraires retrouvés : perles du Pacifique, coraux de Méditerranée, vêtements de soies…. « Vivant au cœur des routes de la soie, ils ont dû beaucoup voyager, ce qui a joué un rôle dans l’expansion de l’épidémie via la Mer noire », avance Phil Slavin.
La peste n’a jamais été éradiquée de la surface de la Terre : chaque année, des milliers de personnes continuent d’être infectées, notamment en Asie centrale. Dans les montagnes du Tian Shan, ce sont les marmottes qui constituent le principal réservoir animal de la maladie. Une pandémie meurtrière comme celle du Moyen-Age n’est heureusement pas à craindre : non pas que la bactérie soit moins virulente, mais parce que les conditions d’hygiène et le recours aux antibiotiques n’ont rien à voir avec le passé.
Le 17 juin 2022
Source web par : 20minutes
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