Pétrole: bientôt une contre-Opep, rassemblant les pays importateurs en Europe et aux Etats-Unis?

Et si les Occidentaux instituaient, en quelque sorte, leur propre organisation des pays importateurs de pétrole? Des discussions préliminaires entre les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’Union européenne ont été lancées.
A priori, en économie, un cartel se forme à partir de l’offre et non de la demande. Pourtant, la ministre américaine des Finances, Janet Yellen, fait état de pourparlers "extrêmement actifs" visant à constituer un "cartel" de consommateurs de pétrole entre Washington et ses alliés, essentiellement occidentaux.
C’est l’un des principaux objets d’un déplacement en Europe de plusieurs responsables du Trésor américain ce mois-ci. L’intention est de pouvoir reprendre la main, un tant soit peu, sur l’évolution des cours mondiaux. Le Groupe des 7 (G7), qui se réunit en sommet en Allemagne à la fin du mois, est supposé fournir le cadre de cette entente des acquisitions pétrolières, sans que l’on sache encore quelles pourraient être, au juste, les modalités d’intervention sur le marché.
Contrats d’achats groupés
Le mois dernier, lors d’une visite aux Etats-Unis, le chef du gouvernement italien, Mario Draghi, avait déjà employé cette formulation de "cartel d’acheteurs". Dans ses déclarations, il s’agissait du pendant à une volonté de "persuader" l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) d’augmenter sa production, sans expliciter comment ce qui apparaîtrait comme une contre-Opep euro-américaine pourrait s’y prendre. Ces pourparlers, forcément, doivent déterminer la façon dont cette nouvelle instance passerait ses contrats d’achats groupés, puis en répartirait les volumes auprès de chaque Etat consommateur.
Un bureau d’analyse à New York, Sankey Research, a récemment rappelé, à toutes fins utiles, que l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a été créée, il y a bientôt 50 ans, pour la défense des intérêts pétroliers des économies industrielles avancées. Or, jamais, il n’a pu y être question de contrats collectifs, encore eût-il fallu que ses membres s’accordent déjà sur un mécanisme conjoint de recours à leurs réserves stratégiques.
L'Opip, l'organisation des pays importateurs de pétrole
Lorsque la Russie a annexé la Crimée en 2014, une proposition de regroupement de la demande a été avancée en Europe. Et l’AIE avait répliqué, à l’époque, que l’Union européenne ne devait aucunement songer à un cartel d’acheteurs, plutôt bâtir un réel marché unique européen de l’énergie et travailler à une déconnexion progressive des approvisionnements russes. Dernière préconisation restée lettre morte jusqu’à l’invasion de l’Ukraine.
De grands obstacles se présentent toujours face à cette hypothèse d’organisation des pays importateurs de pétrole, une "Opip" qui n’en aurait pas le nom. Il va d’abord se poser un dilemme politique aux Européens, car l’UE serait contrainte de placer sa sécurité énergétique par-dessus sa doctrine fondamentale de libre-concurrence, puisque s’attaquer aux cartels, de quelque nature qu’ils soient, est constitutif de la construction européenne, donc de l’identité des institutions des 27. Et comment considérer que cette sécurité énergétique européenne ne puisse alors être liée qu’à celle des pays du G7?
L’experte égyptienne Amena Bakr, basée à Dubaï pour Energy Intelligence, sourit d’une telle conception où l’Opep pourrait être poussée, par injonction, à ouvrir ses vannes en fonction des "inquiétudes de pays consommateurs", ce qui relève, a-t-elle écrit récemment sur Twitter, d’une "profonde incompréhension de la part de certains responsables occidentaux".
Puis, il existe un paramètre de base que rappelle dans un article à Foreign Policy le chercheur américain Gregory Brew, de l’université Yale: l’Opep ne disposerait que de 2 millions de barils-jour de capacités de réserve, au mieux, donc bien entendu loin de couvrir l’offre russe actuelle dont entendent se passer les Européens.
Maintenir les flux russes
D’où certainement au sein du G7, à côté de cette idée de cartel des acheteurs, une autre censée permettre au pétrole de Russie d’être à l’avenir vendu sans trop d’embarras vers la Chine et l’Inde - en clair sans leur appliquer de sanctions occidentales dites "secondaires" pour leur coopération avec Moscou.
La secrétaire Yellen vient ainsi de déclarer, devant son Parlement, vouloir que le brut russe puisse "continuer à affluer sur le marché mondial, afin de contenir les prix mondiaux et essayer d’éviter un pic qui provoquerait une récession" internationale. Mais de quelle manière piloter ces flux tout en limitant au maximum les sources possibles de recettes pour l’effort de guerre russe, ainsi que s’y emploient les puissances occidentales?
D’après le Wall Street Journal, le G7 se tournerait vers les compagnies d’assurance des cargaisons, essentiellement britanniques et ouest-européennes, afin qu’elles se contraignent à fixer un plafond de prix sur les expéditions de ce pétrole russe. Un client qui accepterait de payer davantage que la limite arrêtée tomberait sous le coup de mesures punitives euro-américaines. Hypothèse de plus qui redonne à penser, de par le monde, que le véritable cartel du G7 reste invariablement celui du pouvoir de sanctionner financièrement ses adversaires géopolitiques.
Le 10/06/2022
Source web par : bfmtv
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