L’immense continent africain fascine les archéologues, voici pourquoi

L’archéologie préhistorique a encore de beaux jours devant elle. Un continent reste particulièrement à explorer : l’Afrique. Explications, avec Camille Bourdier, maîtresse de conférences en art préhistorique et archéologue sein du Pôle Afrique du laboratoire TRACES, à l’université de Toulouse.
Le Cradle of the Humankind (Berceau de l’humanité) en Afrique du Sud et les sites de la vallée de l’Omo en Éthiopie pour les découvertes de fossiles humains, les monts Matobo au Zimbabwe et le plateau de l’Ennedi au Tchad pour leurs peintures rupestres… Voici quelques-uns des sites préhistoriques majeurs du continent africain. L’Unesco les a d’ailleurs classés au Patrimoine mondial. Mais il y en a bien plus, confie Camille Bourdier, au sein du Pôle Afrique du laboratoire TRACES à Toulouse : « Nous connaissons environ 400 sites d’art pariétal et rupestre pour le Paléolithique en Europe [datant d’entre 38 000 et 10 000 ans environ]. Pour les populations de chasseurs-collecteurs préhistoriques [équivalent des sociétés du Paléolithique européen], des dizaines de milliers de sites sont connus à travers le continent africain ! »
Et la maîtresse de conférences en art préhistorique d’assurer : « Ceux que l’on connaît présentent un réel savoir-faire technique, une esthétique qui n’ont rien à envier à nos sites d’Europe. » Le Pôle Afrique présente d’ailleurs deux sites internet autour de l’art rupestre africain : exposition-lovo.com et matobart.huma-num.fr.
Terra incognita
Encore faudrait-il tous les connaître ! Car le continent africain reste une terre plutôt inexplorée par les archéologues, certains la qualifiant même de Terra incognita archeologicae. Il y reste de nombreuses zones d’ombre, bien plus qu’en Europe. Les raisons ? « Le continent est immense, il y a moins de moyens humains, financiers. »
Et les habitants du continent n’ont parfois pas été sensibilisés aux richesses de leur terre et de leur propre histoire, étant donné qu’on leur enseignait l’histoire… européenne. Ainsi, ils ne signalent pas toujours ces découvertes ou redécouvertes aux autorités.
Les grottes de Sterkfontain, en Afrique du Sud, ont livré de nombreux fossiles d’Australopithèques. (Photo : John Walker / fourmilab.ch / Wikimédia Commons)
Attention à ne pas exagérer, non plus. La Préhistoire africaine n’est pas une grande inconnue. Des régions restent d’ailleurs plutôt bien explorées : le Maghreb, l’Afrique de l’Ouest, l’Éthiopie, l’Afrique du sud. Avec un biais cependant. Comme l’Italie s’est focalisée sur l’Antiquité avec les Romains, délaissant d’autres périodes de son histoire, selon les régions du continent africain, on a eu tendance à se spécialiser. L’une sur l’art rupestre, l’autre sur les hominidés, etc. Ce qui laisse des champs inexplorés.
« En Afrique australe, on s’est plutôt focalisé sur la très longue durée avec premières lignées d’hominidés, jusqu’aux San, des chasseurs-collecteurs, ajoute Camille Bourdier. En revanche, les populations qui ne vivaient pas de chasse et de collecte, comme les pasteurs ou premiers agriculteurs, ont été peu ou pas étudiées, parce que l’on cherchait autre chose. »
Des zones géographiques inexplorées
Mais géographiquement, il reste des régions particulièrement méconnues. C’est le cas des secteurs désertiques, comme le Sahara, qui s’étend sur 5 000 kilomètres de l’océan Atlantique à la mer Rouge. Soit 9 millions de kilomètres carrés (pour comparaison, le continent européen en fait 10). S’il y fait si chaud et que le climat y est si aride, qu’y a-t-il à chercher puisque des hommes n’ont jamais pu y vivre ? Mais dans la longue histoire de notre humanité, le Sahara a en fait connu des périodes où il était constellé d’immenses lacs avec de la faune et de la flore de savane. Au milieu des girafes et des hippopotames, on trouvait nos ancêtres.
Problème, le Sahara vert est devenu un désert, le sable a tout recouvert et gommé les aspérités et reliefs qui sont des traces archéologiques que l’on peut repérer depuis la surface ou le ciel.
Difficile de lire le paysage archéologique dans le désert du Sahara. Pourtant, il y a de fortes chances d’y trouver des vestiges. (Photo : Wonker / FlickR / Wikimédia Commons / CC BY-SA 2.0)
Le même raisonnement s’applique aux vestiges dans la forêt équatoriale du centre de l’Afrique (3 millions de kilomètres carrés), difficiles d’accès à cause de sa densité. « Le potentiel est gigantesque, reprend Camille Bourdier. Ossements humains, paléo, poteries, équipements taillés dans la roche, mobilier métallurgique… Mais il faudrait des moyens logistiques, humains et financiers démesurés pour les explorer. Pourquoi creuser une dune du Sahara plutôt qu’une autre ? »
Comprendre l’adaptation des hommes au climat
Que nous apporterait une meilleure connaissance de la Préhistoire en Afrique ? De nombreuses clés. Rien qu’un exemple, particulièrement d’actualité. La problématique des adaptations au milieu et au changement climatique.
« Tout au long de Sapiens, soit 150 000 ans, la population a traversé des changements climatiques très importants, poursuit Camille Bourdier. Le climat était parfois beaucoup plus froid, beaucoup plus humide, beaucoup plus chaud. Il est intéressant de comprendre comment ces populations ont réagi : du point de vue de l’alimentation, des ressources utilisées, des sites importants autour de leur spiritualité… C’est une notion fondamentale notamment en Afrique, comme la problématique des contacts, les interactions entre les différentes sociétés. » Dans le domaine, la logique statistique est implacable : plus il y a de sites, plus on peut établir des hypothèses qui forment un récit, tandis qu’un site isolé ne permet pas de généraliser une pratique.
Cette méconnaissance géographique n’a pas que des inconvénients : les générations à venir d’archéologues auront un formidable terrain de jeu, si tant est que la technologie progresse, permettant d’évoluer mieux dans ces immenses zones inexplorées. Ces vingt dernières années, le LiDAR, la télédétection par laser appliquée en archéologie, a permis d’étudier et de découvrer des vestiges cachés par les arbres et les éléments sur toute la planète : cité maya, villa romaine, etc.
« Les gigantesques superficies de l’Afrique et de l’Asie et le développement des recherches archéologiques sur ces continents laissent espérer des découvertes sensationnelles dans les décennies à venir, avance même Pascal Depaepe dans Une histoire des civilisations (Inrap, éditions La Découverte). Les clés de la compréhension de l’histoire des anciennes humanités sont véritablement là-bas, plus qu’en Europe. »
Le 12 avril 2022
Source web par : ouest-france
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