Plaidoyer pour la réhabilitation des ksour de tafilalet
Plaidoyer pour la réhabilitation des Ksour du Tafilalet
Dr Mustapha TILIOUA
La région de Tafilalet reconnue par l’UNESCO comme Réserve de Biosphère en 2000 est considérée comme une des zones les plus importantes du Royaume. Elle a rayonné sur tout le pays lorsque Sijilmassa était la capitale commerciale et une étape incontournable dans les échanges commerciaux entre l’Afrique et l‘Europe. Le Ksar ou l’irhreme représente l’un des éléments architecturaux les plus remarquables des paysages de cette région. Le Ksar désigne un ensemble de maison entassée accolées les unes autres pour former un habitat compact entouré d’un mur d’enceinte et jalonné de tours de guet. Cet habitat traditionnel a été favorisée par de nombreux facteurs : physiques, historiques et socio-économiques qui ont marqué et marquent encore de nos jours le mode de vie dans cette région à la limite du désert.
Ces dernières années, des Ksour entiers ont disparu au Tafilalet et Les structures collectives locales n’ont pas été suffisamment fortes pour empêcher l’éclatement des Ksour et la disparition d’importantes superficies de terres irriguées. L’urbanisation moderne s’est faite à l’extérieur des murailles généralement le long des routes et des voies d’accès, entraînant l’abandon et la ruine de nombreux habitats traditionnels et la disparition d’un patrimoine culturel inestimable.
Contrairement à l’idée qu’on se fait de la dégradation des architectures présahariennes, la terre, matériaux périssable, n’est pas directement responsable de ce délabrement. En effet, certains habitats ont résisté pendant des siècles dans une atmosphère d’insécurité et d’instabilité politique et de rudesse du climat. Les constructions en terre ont, partout, résisté aux intempéries parce qu’elles étaient convenablement entretenues. Les terrasses étaient réparées à la suite de grandes pluies, les murs renforcés, les enduits renouvelés et les systèmes d’évacuation et de drainage des eaux usées et pluviales hors des bâtiments étaient toujours en bon état. En réalité, les Ksour, comme toutes les architectures traditionnelles en terre partout où les oasis existent dans le monde, souffrent des conséquences des modifications et des mutations profondes et brutales qu’ont subites les sociétés traditionnelles à la suite de la diffusion d’un modèle urbain occidental avec tout le système de valeurs et de pratiques sociaux, économiques et culturelles qu’il véhicule. L’architecture des Ksour est la matérialisation dans l’espace des rapports sociaux de la société traditionnelle oasienne qui les a inventés. On n’insistera pas sur les rapports étroits entre le système économique, politique et socioculturel d’un groupement humain et son architecture. La modification d’un élément de cette société entraîne forcément une modification de son utilisation de l’espace.
De ce fait, la sauvegarde du patrimoine urbain traditionnel du Tafilalet et des oasis présahariennes est une responsabilité nationale dans la mesure où ce patrimoine chargé d’histoire et de civilisation constitue une des grandes manifestations de retour et d’attachement à l’identité culturelle et une véritable source de richesse indispensablement utile pour la revitalisation et la renaissance des oasis en voie de dégradation. Par conséquent les centres urbains du Tafilalet présentent une forte dualité entre le tissu urbain traditionnel et les autres composantes urbaines plus récentes tant au plan de la morphologie qu’à celui des fonctions. Ces centres urbains connaissent une juxtaposition de deux systèmes urbains différents dont le plus récent a tendance à acquérir un poids de plus en plus menaçant pour l’ancien, d’où le phénomène de plus en plus inquiétant de marginalisation de l’habitat traditionnel.
Si l’on veut envisager l’existence du patrimoine architectural du Tafilalet, on ne peut la voir qu’à travers les changements qu’il va subir à long terme. Si une politique opérante de gestion du patrimoine et de planification urbaine n’est entreprise pour le sauvegarder, ce patrimoine est condamné à disparaître.
D’autres arguments objectifs peuvent être avancés pour plaider en faveur d’une large mobilisation pour assurer la conservation et la mise en valeur de ce patrimoine :
- La rénovation et la restructuration de l’habitat traditionnel des Ksour, permettra à moindre coût d’utiliser ou de réutiliser un stock important de logement tout en permettant de lutter efficacement contre l’abandon qui prend ampleur et oblige un nombre important des populations à l’exode vers les villes.
- La remarquable beauté de ce patrimoine et la qualité de son paysage sont des potentialités culturelles et touristiques de première importance en matière de développement économique et social.
- L’habitat des Ksour est aussi adapté aux besoins d’un nombre important de populations sur le plan économique, social et culturel ainsi que sur le plan de l’esthétique et du confort et il mérite que des efforts soient faits pour l’intégrer dans le contexte urbain moderne.
- Il est un élément de base de la culture traditionnelle vers lequel doivent se pencher tous ceux qui sont soucieux de rechercher l’authenticité culturelle du peuple marocain.
- Il constitue un patrimoine culturel, urbain et paysager exceptionnel dont la disparition constitue un appauvrissement irréversible du patrimoine culturel de toute l’humanité.
Les enjeux économiques de la mise en valeur du patrimoine ksourien sont multiples, diverses activités peuvent être générées par ce processus :
- Les travaux de conservation ou de restauration des ksour en utilisant les technologies traditionnelles et culturales devraient mobiliser en même temps que la main d’œuvre spécialisée d’entreprise de travaux publics, les artisans locaux.
- Les Ksour restaurés et réhabilités engendrent de nombreux emplois liés à leur fonctionnement et à leur entretien. Leur valorisation génère en plus des emplois dédiés à l’animation directe et indirecte des ressources patrimoniales. Par ailleurs, des mesures d’accompagnement social des projets de réhabilitation des Ksour sont nécessaires et devraient être basées sur un diagnostic participatif et consensuel et une analyse coopérative approfondie des structures et des modes de fonctionnement des agglomérations oasiennes actuelles. Les décisions qui viennent d’en haut sans consultation préalable des populations sur terrain ont à maintes reprises montré leurs limites. Quand il s’agit de l’application de ces mesures et la mise en œuvre de ces programmes, elles sont souvent accueillies avec une certaine réticence et une certaine méfiance par ces populations. Il est tout aussi important de réconcilier les intérêts de l’Etat avec ceux des individus et de la collectivité pour espérer s’assurer d’une implication effective des populations dans un programme et avoir leur participation dans la réussite de telles actions.
Le processus de réhabilitation des Ksour doit se fixer en outre comme premier objectif la lutte contre l’habitat insalubre. L’expérience a montré que l’amélioration des conditions de confort à l’intérieur des habitations des Ksour et spécialement l’amélioration des défaillances en matière d’assainissement ont favorisé le maintien des habitants dans leurs Ksour.
Enfin, tout projet de réhabilitation des Ksour ne doit pas manquer d’envisager les stratégies de « retour aux Ksour ». Il serait donc nécessaire de s’intéresser aux rapports qu’entretiennent les habitants qui ont quitté les Ksour avec leurs habitations. Dans le cadre de la convention liant Le Holding d’Aménagement Al Omrane et le Centre Tarik Ibn Zyad – Errachidia, ce dernier s’est engagé à assurer la réalisation du projet intitulé « Restauration et réhabilitation des Ksour du Tafilalet ». Le projet s’est soldé par un inventaire systématique des Ksour du Tafilalet et leur caractérisation. Le projet a permis de constituer une base de données avec des critères hiérarchisable et un Système d’information géographique conçu comme outil d’aide à toute décision de restauration et de réhabilitation des Ksour de Tafilalet.
Le travail mené actuellement par le Centre Tarik Ibn Ziyad dans le cadre de l’accompagnement des actions de réhabilitation et de restauration des Ksour de Tafilalet par le Holding d’Aménagement alOmrane a contribué à :
- reconstruire une image négativisée de l’habitat en terre, en organisant des échanges sous formes d’ateliers d’acteurs locaux dont les populations et leurs structures représentatives.
- renforcer les capacités des ksouriens à valoriser les ressources locales dont le patrimoine immatériel à travers des projets et des activités génératrices de revenues.
- valoriser les métiers féminins traditionnels (artisanat, élevage, produits de terroirs) à travers des actions de sensibilisation et de formation et de promotion.
- former et informer sur les structures associatives à travers des ateliers de montage de projets.
- requalifier les Ksouriens souvent victime d’une perte d’identité ou d’un complexe vis à vis d’une « modernité » souvent très mal vécue, en les réconciliant avec leurs atouts à travers une série de manifestations culturelles et de publications artistiques destinés au grand public sur les espaces ksouriens.
Trois orientations stratégiques ont structuré la démarche globale adoptée dans le cadre de ce partenariat Holding d’Aménagement alOmrane – Centre tarik Ibn Ziyad pour la réhabilitation des Ksour du Tafilalet :
- a. Le renforcement des capacités des acteurs locaux par leur appropriation, leur implication et responsabilisation dans toutes les phases du projet : Les acteurs locaux, particulièrement, les jeunes, les chômeurs et les femmes, devraient être encouragés à participer à la définition, au montage, à la gestion et à l’orientation du projet à travers des associations mobilisées. L’autre niveau de l’implication des populations locales est la formation des bénéficiaires et des animateurs locaux.
- b. Le développement d’une pédagogie active basée sur le principe de la formation-action : Le second plan est la sensibilisation et la formation continue des acteurs locaux pour le développement d’activités économiques génératrices de revenues adaptées aux spécificités locales et à la fragilité de l’écosystème oasiens et ses ressources. De l’identification à la mise en œuvre en passant par la conception, la fabrication, la promotion, la commercialisation et l’évaluation des produits de terroirs adaptés aux enjeux du développement local de la zone. La formation-action et la pédagogie active évitent de plaquer des réponses toutes faites sur les réalités locales et devraient permette de développer l’autonomie et l’adaptabilité des participants.
- c. Le renforcement de partenariats avec les collectivités locales et les partenaires de coopération : la réhabilitation des Ksour du Tafilalet devrait miser sur les échanges des savoirs et de savoir-faire entre les différents sites d’intervention du Holding d’Aménagement AlOmrane, ainsi que sur l’effet d’entraînement des actions engagées, notamment grâce à une mise en réseau des Ksour cibles (par le biais du mouvement associatif principalement). Plusieurs chantiers écoles et de volontariats ainsi que des manifestations socio-culturelles actuellement développés par le CTIZ dans la région pourraient servir de plates-formes d’échange d’expériences entre les populations des communes et Ksour du Tafilalet.
Enfin, nous rejoignons ici la justification politique de l’intervention dont la nécessité ne vient pas uniquement de la volonté de préservation du bâti traditionnel, mais de l’objectif de l’amélioration des conditions de vie de la population, qui exige une flexibilité des stratégies de conservation et qui sont à l’origine du terme de « réhabilitation » par différenciation de celui de « restauration ». La justification politique du processus de réhabilitation, par la résolution de nombreuses problématiques, a de nombreux points communs avec les exigences de la cohésion sociale : dans la perspective sociale de lutter contre la pauvreté et l’exclusion, d’éviter la désertification, les ghettos, la périphérisation, de même que dans les perspectives urbanistique, économique, environnementale et patrimoniale qui, par l’amélioration des conditions de vie, renforceront la cohésion sociale.
Source web par: tanmia
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