Enseignement : poursuivre la mère des réformes, sans céder
Pour réformer le système d’enseignement public, mission que s’est fixée le ministre de l’Education nationale, Chakib Benmoussa, le chemin ne sera pas pavé de roses, loin s’en faut. Alors qu’un dialogue franc s’est mis en place avec les syndicats les plus représentatifs des enseignants, devant déboucher, entre autres nouveautés, sur un statut unifié du fonctionnaire de l’éducation nationale, les professeurs contractuels disent niet. A tout.
Refusant d’entrer en pourparlers avec le ministère de tutelle, ils s’enferment dans une posture jusqu’au-boutiste. Pour eux, aucune discussion n’est possible sans une intégration mécanique dans la fonction publique centrale. Tout ou rien, telle est leur approche. Déjà fonctionnaires, affiliés aux AREF, les contractuels réclament un statut fossilisé, appelé à subir une transformation fondamentale dans les mois à venir.
Refusant la négociation, leur coordination multiplie les appels à la grève et enchaîne les journées d’arrêt de travail: 48 jours à l’écriture de ces lignes. Souhaitant éviter le passage en force, le ministère use pour l’instant de diplomatie. Mais l’horloge tourne et chaque journée perdue pour l’élève, pris en otage par des intérêts qui le dépassent, sonne comme un drame supplémentaire pour une école publique ravagée par le corporatisme.
Si l’état marocain, notamment sous Hassan II, a instillé des idéologies mortifères dans les enceintes du système éducatif, taillé jadis pour fabriquer un citoyen obéissant, dénué d’esprit critique, cette époque est loin derrière nous. De l’eau a coulé sous les ponts. Il semblerait désormais qu’après avoir inscrit la refonte radicale de l’école dans le Nouveau modèle de développement et placé son architecte à la tête du ministère de tutelle, l’état entretienne des intentions réformatrices sincères.
Déjà, une première bataille a été remportée par Benmoussa. En réservant le concours d’accès à la formation d’enseignants aux moins de 30 ans, il injecte une bouffée d’oxygène par petites doses dans l’organisme éprouvé de la matrice éducative. Soulevant une bourrasque de critiques à son annonce, la décision, à présent appliquée, ne fait plus polémique. Les élèves auront désormais en face d’eux des enseignants jeunes, pleins de “niaque”, promis à des carrières conditionnées par des critères de performance récompensant les plus méritants.
Le mot “performance” n’est plus un tabou, il est en phase avec les ambitions du pays: forger un capital humain apte à porter le Maroc vers une meilleure compétitivité, à le doter de l’outil ultime : un citoyen bien formé, capable d’adaptation et fort de qualités intrinsèques lui permettant de briser l’inertie de classe. Tout, en effet, doit découler de cet impératif catégorique : former le Marocain de demain, réactiver l’ascenseur social.
Trop de temps a été perdu. De nombreuses réformes, dans le passé, se sont écrasées contre le récif des intérêts étriqués d’enseignants (pas tous, fort heureusement) soucieux d’abord d’eux-mêmes avant de penser à l’intérêt de l’enfant. L’on peut certes arguer que l’état a péché par incompétence, par une allocation imparfaite des ressources, et une priorisation bancale des chantiers, notamment ce funeste plan d’urgence ayant éclusé 43 milliards de dirhams pour si peu de résultats.
Mais lorsqu’on y pense, c’est l’enseignant, le maître, le professeur qui est au centre de tout l’édifice. Ce n’est pas commettre un blasphème que de le rendre lui aussi, et peut-être en premier lieu, responsable du naufrage. Car on ne s’engage pas dans ce métier comme on s’engage dans une sinécure, en privilégiant d’abord le confort personnel à l’édification du Marocain du futur.
Aujourd’hui, le plan du ministère, sans être parfait, propose un cap pertinent. L’ambition est certes d’exiger l’excellence de l’enseignant, tout en lui accordant une meilleure formation, de meilleures conditions de travail, une rémunération en ligne avec ses compétences et son évolution et, bien entendu, une carrière diversifiée, allant de l’expertise à la recherche. En somme, le contrat social de Marcel Mauss: don et contre-don.
Telle est la promesse et tout porte à croire que les moyens mis en œuvre pour la tenir seront au rendez-vous. Ce nouveau pacte suppose néanmoins un minimum de bonne foi de la part des principaux concernés : les enseignants. Les 5 syndicats qui parlementent avec le ministère semblent avoir pris la mesure de l’enjeu. Pas les contractuels, arc-boutés sur des revendications anachroniques et, en toute honnêteté, assez irrationnelles. Nous l’avions dit il y a quelques mois ici même, nous le répétons aujourd’hui : Chakib Benmoussa est prié de ne pas céder. L’avenir de tout un pays en dépend.
Le 21 mars 2022
Source web par : telquel
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