Découverte d’ossements humains vieux de 1 000 ans en Afrique de l’Est
Un tsunami géant aurait englouti tout un village de pêcheurs dans l’actuelle Tanzanie il y a plus de 1000 ans. Pour les chercheurs, il faut absolument évaluer les risques de tsunami dans la région.
Il y a mille ans, un village swahili en plein essor a pris ses quartiers sur les berges du fleuve Pangani, à quelques kilomètres de l’océan Indien. Les habitants y ont construit leurs maisons avec du treillis de bois enduit de terre. Les poissons sont pris au piège dans leurs filets et ils fabriquent des perles à partir des coquillages. Leurs objets en céramique sont sobres et fonctionnels.
Un beau jour, le village est frappé de plein fouet par un tsunami déclenché par un séisme à l’autre bout de l’océan Indien.
Une nouvelle étude, financée par la National Geographic Society, et publiée le 12 mai 2020 dans la revue scientifique Geology, ajoute aux archives géologiques un événement aussi rare que macabre. Les villageois n’avaient bien entendu aucune issue pour échapper à ce tsunami. Nombre d’entre eux ont péri, noyés dans leurs logements détruits. Ils ont été enterrés à même les décombres. À la connaissance des auteurs de l’étude, il n’existe, en Afrique de l’Est, aucun lieu plus ancien que cette côte tanzanienne où l'on trouve des restes humains, vestiges d’un tsunami. Le plus ancien site du monde connu se trouve en Papouasie-Nouvelle-Guinée et abrite des os vieux de 7 000 ans.
Vu d’en haut, le lieu ressemble à un ensemble modeste d’étangs de poissons vides à côté du fleuve Pangani. L’océan Indien se profile au loin.
Photographie de Davide Oppo
Ce morceau de terre en Tanzanie ajoute une dimension importante à l’étude des tsunamis dans l’océan Indien, qui s’avèrent parfois très destructeurs. Même s’ils sont relativement rares dans la région – une fois tous les 300 à 1 000 ans –, le risque est bien là et, en Afrique de l’Est, l’enjeu est de taille. Dar es Salaam, l’une des villes les plus dynamiques du monde, est le cœur économique de la Tanzanie et se situe sur la côte swahilie. Selon les prévisions de l’ONU, Dar es Salaam pourrait devenir une mégapole d’ici 2030 avec 10 millions d’habitants - et même 70 millions d'ici à la fin du siècle.
En 2004, le sort a épargné l’Afrique de l’Est lorsqu’un séisme au large de l’Indonésie a provoqué un tsunami des plus meurtriers, par lequel 227 000 personnes y ont trouvé la mort. Ce sont l’Asie du Sud et du Sud-Est qui ont essuyé les plus grandes pertes humaines et matérielles. Les vagues meurtrières se sont également frayé un chemin jusqu’en Afrique de l’Est mais ont touché le continent quand la marée était extrêmement basse, ce qui en a largement atténué l’incidence.
Il y a mille ans, c’était une autre chanson. « Peut-être que le tsunami n’était pas aussi ravageur mais les habitants vivent sur des plaines et ne se doutent pas de ce que l’avenir peut réserver. La situation est très grave », affirme Jody Bourgeois, une spécialiste en sédimentologie et en tsunamis à l’université de Washington qui a révisé l’étude avant sa publication. « Il n’y aura pas de séisme pour sonner l’alarme parce que vous êtes de l’autre côté de l’océan Indien. »
UNE ANCIENNE CATASTROPHE ÉCLATE AU GRAND JOUR
Bien que les tsunamis qui touchent l’océan Indien aient des chances d’atteindre les côtes de l’Afrique de l’Est, le risque de tsunami dans la région n’a pas fait l’objet d’une étude approfondie. La côte tanzanienne est l’un des rares endroits qui ont été secoués par des tsunamis en Afrique de l’Est au cours des dernières 12 000 années. « Ces informations devraient impérativement être communiquées aux gouvernements et aux populations », explique Vittorio Maselli, explorateur National Geographic, auteur principal de l’étude et géologue à l’université Dalhousie au Canada.
C’est au printemps 2017 que Maselli commence à s’intéresser au tsunami en question, vieux de mille ans. Il travaille alors au département de géologie de l’université de Dar es Salaam. C’est tout à fait par hasard qu’il découvre les travaux de l’archéologue Elinaza Mjema qui fait également partie du corps enseignant de l’université. Mjema explore un site à plus de 150 kilomètres, près de la ville de Pangani. Ancien village de pêcheurs swahili, la région abondait à l’époque en perles et en céramique. L’université se sert alors du terrain pour enseigner les bonnes techniques archéologiques.
Mjema y a emmené ses étudiants pour la première fois en 2010. Les puits d’essais se sont multipliés, révélant la présence d’ossements humains. « J’entendais de partout : monsieur, monsieur, un squelette », confie-t-il. « On n’en revenait pas. »
Mjema retourne sur les lieux en 2012, puis en 2016 et en 2017. Grâce aux fouilles, il réussit à déterrer des corps, dont un avec des bracelets intacts autour des chevilles. La guerre et les épidémies ne peuvent expliquer cette disparition soudaine du village. Les os ne portent ni traces de coups ni signes de maladie. Les habitants du village se seraient noyés, enterrés dans les décombres de leurs propres maisons.
Une équipe de chercheurs dont Maselli et Andrew Moore, co-auteur de l’étude et spécialiste en sédimentologie à l’Earlham College de Richmond dans l’Indiana, se sont rendus sur les lieux en 2017 pour recueillir un plus grand nombre d’échantillons de sédiments. Une véritable course contre la montre commence. L’université de Dar es Salaam a déjà commencé à creuser des trous pour mettre en place des étangs de poissons en vue d’enseigner l’aquaculture, détruisant sur son passage une partie du site archéologique. Les chercheurs ont creusé les tranchées sur le bord des étangs, prélevant des indices dans la mesure du possible. « Dans moins de trois mois, ils allaient remplir ces étangs d’eau », indique Moore. « De la géologie de récupération, de sauvetage. Voilà ce que nous avons fait en partie. »
Dans le sable qui avait enseveli le village, il y avait des restes de poissons, de rongeurs, d’oiseaux, d’amphibiens et même des coquilles de petits mollusques marins, preuve que l’eau de l’océan Indien, situé à quelques kilomètres du village, avait atteint la côte tanzanienne. Partout, des ossements humains. « C’était assez émouvant. Certes, il fallait penser à la science mais nous avions entre les mains des dépouilles humaines. Ce sont des personnes qui ont perdu la vie en ce lieu bien précis », ajoute Maselli.
La datation au carbone du charbon et des os confirme que l’inondation a eu lieu il y a mille ans environ. Les sédiments autour de l’océan Indien remontent également à cette époque, suggérant qu’un événement de la même intensité que le tsunami de 2004 avait secoué la région il y a un millénaire.
Des simulations par ordinateur ont montré que la plaque de la Sonde – la faille au large de la côte indonésienne –, secouée par un mégaséisme qui a déclenché le tsunami de 2004, aurait formé des vagues suffisamment grandes pour expliquer les sédiments retrouvés à Pangani. En forme d’entonnoir, la baie du fleuve Pangani aurait amplifié les vagues qui remontaient le fleuve, exacerbant ainsi l’ampleur des inondations.
« Pourrait-on retrouver, dans d’autres régions africaines secouées par des catastrophes, des vestiges gravés dans la roche ? », s’interroge Moore.
L’ÉVALUATION DES RISQUES, UNE MESURE INDISPENSABLE
L'équipe de recherche espère que l’étude ouvrira la voie à des travaux d’évaluation des risques de tsunami en Afrique de l’Est. Une cartographie plus détaillée du fond océanique est indispensable, dit Maselli. Tout comme les chaînes de montagne canalisent les masses d’air, la topographie du fond océanique a une incidence sur le mouvement des vagues et des courants. Les tsunamis ne proviennent pas exclusivement de séismes. Ils peuvent être également déclenchés par des glissements de terrain sous-marins.
« Les États-Unis ont tout un programme de cartographie de la plate-forme et de la pente continentales le long de la côte atlantique pour mieux comprendre les glissements de terrain », ajoute Maselli. « Nous n’avons aucune information en ce qui concerne l’Afrique de l’Est. »
Quant à l’ancienne communauté, les fouilles archéologiques menées par Mjema mettent en évidence des changements notables survenus après le tsunami. Dans les 50 à 100 ans qui ont suivi la catastrophe, les gens ont bâti des maisons sur les sédiments laissés par les inondations. Les constructions se poursuivent jusqu’à ce jour. Bien que les autorités locales aient commencé à construire en dehors des plaines, affirme Mjema, de nouveaux immeubles ont récemment été érigés sur les sédiments le long du fleuve Pangani. Ces communautés seraient-elles bien équipées pour faire face à une éventuelle catastrophe ?
« Pour mieux comprendre le présent, il faut absolument se tourner vers le passé », conclut Mjema.
Source web par : national geographic
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