Nizar Ibrahim raconte la découverte du Spinoraure marocain
EXCLUSIF. Dans une interview accordée à Médias 24, le grand paléontologue Nizar Ibrahim revient sur l'histoire de la découverte des restes du premier "Spinosaurus aegyptiacus" connu au monde, dans le sud-est du Maroc.
Nizah Ibrahim est également professeur à l’Université de Detroit aux Etats-Unis, et explorateur à National Geographic.
Médias 24: Parlez-nous un peu de vous. Comment êtes-vous arrivé à la paléontologie?
Nizah Ibrahim: Depuis mon enfance, je m’intéresse beaucoup aux animaux (leur diversité, anatomie, et évolution). J’adorais aussi lire les récits d’aventures aux quatre coins du monde – aussi bien fictifs (par exemple les Aventures de Tintin) que réels (expéditions dans l’Himalaya, etc.).
La lecture d’un livre sur les dinosaures était un moment clé. J’ai décidé à l’âge de 5 ans que j’allais devenir paléontologue. J’avais aussi la grande chance d’être né à Berlin, en Allemagne. Dans cette ville, j’ai pu explorer plein de musées, entre autres le Musée d’histoire naturelle de Berlin, qui abrite le plus grand squelette de dinosaure au monde.
Je suis à présent professeur (Tenure-track Assistant Professor in Biology) à l’Université de Detroit aux États Unis ou j’enseigne surtout l’anatomie (entre autres, aussi l’anatomie humaine à base de dissections de cadavres) et l’évolution des animaux vertébrés.
Tout a commencé lors d’une visite à Erfoud en 2008, lorsqu’un homme qui vendait des fossiles dans la rue me montra une boîte
– Quelle est l’histoire du Spinosaurus aegyptiacus découvert au Maroc?
-C’est une histoire assez incroyable. Tout a commencé lors d’une visite à Erfoud en 2008, lorsqu’un homme qui vendait des fossiles dans la rue me montra une boîte avec des blocs distincts de pierres pourpre striées de sédiments jaune. De la roche se distinguait ce qui ressemblait à un os de main de dinosaure et une lame plate osseuse avec une section inhabituellement blanche. La valeur scientifique de ces os était douteuse, puisque les fossiles ont été arrachés de manière insouciante. Je les ai achetés en pensant qu’ils pourraient être d’une certaine utilité pour la constitution de la collection paléontologique naissante de l’Université Hassan II de Casablanca.
Lors d’une visite du Musée d’histoire naturelle de Milan, que j’ai effectuée l’année après, j’ai réalisé l’importance de ces pièces. Les chercheurs Cristiano Dal Sasso Simone et Maganuco m’avaient montré un squelette partiel d’un grand dinosaure qu’ils avaient récemment reçu d’un marchand de fossiles.
Le spécimen avait été posé sur les tables dans le sous-sol. Il s’agissait d’os de la jambe, des côtes, de nombreuses vertèbres, et d’épines dorsales. C’était clairement un Spinosaure, beaucoup plus complet que les fossiles découverts par Ernst Stromer von Reichenbach en Egypte, il y a plus d’un siècle. Ces derniers étaient conservés dans un musée à Munich, avant d’être détruits lors d’un bombardement pendant la Seconde Guerre mondiale.
Dal Sasso et Maganuco m’ont confié que ces pièces avaient été retrouvées par leur vendeur sur un site appelé Aferdou N’Chaft, près d’El Begaa. Les os étaient encore incrustés de la roche d’où ils avaient été déterrés. Dès qu’une partie de la colonne vertébrale fut levée, j’ai vu une section blanche en croix assez familière. J’ai réalisé que les os que j’avais achetés à Erfoud devaient être ceux d’un Spinosaure.
J’ai ensuite pensé que les fossiles fragmentaires d’Erfoud ainsi que le spécimen à Milan pourraient appartenir à la même personne. Si j’arrivais à localiser l’endroit où les fossiles avaient été déterrés, je pourrais comprendre le Spinosaure. Seulement, pour trouver l’endroit, il fallait retrouver l’homme qui m’avait vendu ces pièces. Je ne connaissais pas son nom, et tout ce dont je me souvenais, c’est qu’il avait une moustache blanche.
En 2013, je suis revenu dans un café à Erfoud, accompagné de Samir Zouhri, de l’Université Hassan II de Casablanca, et David Martill de l’Université de Portsmouth au Royaume-Uni. Nous avons cherché l’homme en question pendant des jours sans succès. Un jour, nous l’avons retrouvé par hasard. Il a confirmé qu’il avait ébréché les ossements d’un rocher. Et a reconnu ceux qu’il m’avait vendu et confirmé avoir vendu d’autres pièces retrouvées plus loin à un marchand de fossiles en Italie.
Au début, il a refusé de nous emmener à l’endroit en question. Lorsque je lui ai expliqué l’importance de cette découverte et qu’elle pourrait permettre de rendre le dinosaure au Maroc, l’homme à la moustache blanche a accepté. Il nous a conduits à une colline qui était autrefois une rivière.
L’écosystème de Kem Kem est un endroit vraiment mystérieux, écologiquement parlant.
– Pouvez-vous nous décrire la vie animale à l’époque du Spinosaurus, à l’endroit où ses restes ont été découverts?
-Il y avait une grande diversité animale, qui vivait en grande partie dans et en bordure d’un grand système fluviatile. De grandes rivières et deltas se trouvaient dans la région gigantesque que l’on appelle maintenant le Sahara – du Maroc jusqu’en Egypte.
Il y a environ 97 millions d’années, des poissons (certains de la taille d’une voiture !), des reptiles volants (ptérosaures), des tortues, des anciens crocodiles, des serpents, des amphibiens, et évidemment des dinosaures, vivaient dans cette région. Ce monde était très dangereux.
L’écosystème de Kem Kem est un endroit vraiment mystérieux, écologiquement parlant. Les fossiles de prédateurs sont plus nombreux que ceux des dinosaures mangeurs de plantes, et plusieurs des prédateurs qui vivaient ensemble dans la région étaient aussi gros qu’un Tyrannosaurus rex.
– Pourquoi y a-t-il autant de fossiles au Maroc?
-C’est une série d’événements géologiques qui a fait du Maroc un endroit superbe pour les fossiles. Des couches géologiques représentant la grande majorité des grandes époques de la vie sont accessibles à la surface terrestre.
Le fait que le Maroc soit en grande partie aride, et que de grandes régions ne soient pas couvertes de plantes, aide les paléontologues à trouver les sites riches en fossiles.
– Quelles étaient vos émotions pendant et après la découverte?
-Le moment de la découverte des ossements de la queue de ce dinosaure était un moment de joie, de grande émotion. C’est le genre de découverte que tout chercheur espère faire un jour: une découverte qui change nos connaissances d’une façon fondamentale.
Mon équipe a travaillé dure pendant des années pour arriver à publier un article sur cette découverte, qui a d’ailleurs aussi fait la couverture du journal Nature, le journal scientifique le plus prestigieux au monde.
– Quelles sont les prochaines directions de vos recherches?
-On va développer un modèle très détaillé de notre Spinosaurus pour reconstituer le mode de locomotion aquatique de cet animal en détail. On a aussi fait d’autres grandes découvertes ces dernières années, donc on ne risque pas de s’ennuyer.
Le 7 mai 2020
Source web Par : Médias 24
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