Entretien. « Transport maritime : la flambée va coûter 15 milliards de DH au Maroc »

La hausse effrénée et inédite du prix de location des conteneurs pourrait se traduire par une forte augmentation du fret maritime dans son ensemble. Pour le Maroc, « le déficit de la balance des paiements, à ce titre, passerait du simple au double cette année : 30 milliards de DH contre 15 milliards en 2019 », prévoit Najib Cherfaoui, expert dans le domaine maritime. Ce dernier analyse également cette situation à travers le jeu des grands conglomérats qui en tirent profit. Entretien.
Médias24 : Comment expliquer l’envolée à la fois inédite et explosive des prix de location du conteneur ?
Najib Cherfaoui : Tout a commencé avec la pandémie en janvier 2020, période au cours de laquelle les usines furent nombreuses à fermer ou à ralentir en Asie et partout ailleurs. Vers le début de l’automne 2020, au moment de la relance économique, la Chine décide de rapatrier en urgence ses conteneurs vides de partout dans le monde. Mais les conteneurs ne se trouvent pas dans les endroits où les envois de marchandises sont en train de reprendre. Les boîtes sont dispersées un peu partout dans le monde, dans des parkings où ils assurent la fonction stockage. Ce n’est donc pas un manque de conteneurs existants, c’est plutôt leur localisation au mauvais endroit. L’effet ventouse devient très fort, la demande chinoise est largement supérieure aux conteneurs libres ou disponibles ; dès lors, les prix de location flambent.
-Quel impact sur le coût du transport maritime ?
-L’impact direct est l’actuelle flambée du fret par conteneurs. En fait, la raison profonde se situe ailleurs, à un autre niveau. Pour comprendre de quoi il s’agit, il faut savoir que le shipping conteneurisé est dominé par trois conglomérats planétaires : 2M Alliance, Ocean Alliance et The Alliance, qui contrôlent 70% du trafic conteneurisé mondial. Le point le plus important réside dans la valeur de la flotte exploitée par ces trois alliances, qui culmine à 70 milliards de dollars.
Najib Cherfaoui
L’actuelle pandémie leur a donné l’occasion d’amortir de manière très accélérée ce lourd investissement. D’abord, la pénurie des conteneurs vides devient prétexte à augmenter de manière arbitraire les tarifs. Ensuite, dans le sillage de ce forcing tarifaire, ils testent les seuils psychologiques acceptables par les chargeurs (import/export). Ils poussent jusqu’à des niveaux extrêmes, de l’ordre de 500%. Ainsi en ont décidé les trois alliances sous couvert de la loi de l’offre et de la demande.
-A combien est estimé le surcoût pour la balance des paiements marocaine ?
-Le déficit au niveau de la balance des paiements concerne la rubrique relative au transport maritime. Avant la pandémie (2019), la situation annuelle était de 15 milliards de DH en devises. Je prévois pour 2021 un déficit de l’ordre de 30 milliards de DH, toutes marchandises confondues.
-La tendance sera-t-elle durable avec la crise sanitaire? Ou bien il y a d’autres objectifs ciblés par les alliances en présence ?
-Après avoir exploré les limites psychologiques acceptables par les chargeurs, les trois alliances sont en train de caler les tarifs à des niveaux planchers au moyen d’une grille de surtaxes. Ensuite, ils vont laisser les prix, redescendre à un niveau égal ou le double de ce qui était pratiqué en 2019.
-Pour le Maroc, le phénomène pénaliserait davantage les biens d’équipement. Quels sont les indicateurs des prix relevés à ce niveau ?
-Actuellement (1er septembre 2021), sur la place de Casablanca, le prix du transport trajet simple d’un seul conteneur de 40 pieds en provenance de Chine se négocie à 200.000 DH, contre 60.000 DH en 2019. Les achats des biens d’équipement étant les plus exposés à cette envolée.
-Faut-il s’attendre également à des répercussions négatives sur l’activité de Tanger-Med, port spécialisé dans le transbordement ?
-Pour Tanger Med, seuls Maersk et CMA-CGM décident pour tout ce qui est conteneurs. Ils font de bonnes affaires donc pas de soucis.
La genèse des conglomérats
La genèse des alliances maritimes remonte à la seconde moitié du XXème siècle, durant laquelle deux évènements majeurs allaient bouleverser le paysage maritime et portuaire de la planète.
Le premier est attaché, à partir des années 60, à la lente apparition du conteneur et à la solidarité modale qu’il entraîne. Le second, moins connu, véritable moteur, provient des États?Unis, où l’interdiction de détenir des firmes opérant sur plus de deux segments de transport est levée : c’est le Shiping Act de 1984. En 1993, le traité sur l’Union européenne confirme cette logique : il n’interdit pas la position dominante, mais condamne ses abus.
Pour le transport par conteneurs, l’effet ventouse est immédiat, en ce sens que les changements s’opèrent selon deux axes. D’abord, les armateurs se regroupent horizontalement, puis prolongent verticalement leur métier en intégrant la manutention et l’acheminement terrestre. L’offre fractionnée de transport s’efface dorénavant devant la notion d’offre globale.
L’intégration horizontale se décline sous plusieurs formes : conférences, cartels, rachats et fusions. Elle bouleverse la hiérarchie des armements. Des noms mythiques disparaissent (Sealand) et les premiers du classement se trouvent relégués au dernier rang (l’Anglais OCL). Tout le monde connaît aujourd’hui les péripéties des coalitions qui ont conduit à l’émergence du trio : 2M Alliance, Ocean Alliance et THE Alliance.
Le 02 septembre 2021
Source web Par : medias24
Les tags en relation
Les articles en relation

La relocalisation industrielle, l’autre danger qui guette le Maroc
Face à la crise sanitaire mondiale, la France envisage la relocalisation de ses industries. Ce qui pourrait avoir des répercussions sur le Maroc. La Caisse...

Le FMI table sur une croissance de 6,3% pour le Maroc en 2021
Le produit intérieur brut (PIB) du Maroc devrait afficher une croissance de 6,3% en 2021, l'un des taux les plus élevés dans la région Moyen-Orient et A...

Taxe carbone : L’UE sauve les ports espagnols menacés par Tanger-Med
Après des mois de pressions espagnoles, l’Union européenne accorde une exception à l'application du règlement de la réduction de 50% des émissions d...

Tourisme: Un nouveau vent pour la croisière
Avec le nouvel élan que prend le tourisme national, un vent d’optimisme souffle sur le secteur de la croisière qui, après au moins deux années de chaos, e...

Deux ans de fermeture des frontières, Sebta et Melilla à l'agonie
Les villes de Sebta et Melilla commémorent avec tristesse les deux ans de fermeture des frontières avec le Maroc depuis la crise du covid-19. En raison de cet...

#MAROC_TOURISME_TEST_VACCINATION_REPRISE: Les différents scénarios de sortie de crise (expert)
Après l’arrivée de plusieurs groupes de touristes étrangers, qui laissait présager un vrai début de reprise, l’aggravation de la situation sanitaire da...

Tourisme: Entêtement coupable
Le gouvernement marocain est très généreux…avec l’argent du contribuable. Une fois de plus, il vient de racler les tiroirs pour faire un joli chèque de ...

Opération Marhaba: « Le Maroc a porté un coup à 1,15 milliard d’euros à l’Espagne » (médi
La Razon évalue le manque à gagner global de la suppression de l'étape espagnole de l'opération Marhaba, à 1,15 milliard d'euros dont 500 milli...

Tourisme: Le secteur à son plus bas en 2021
Face à la crise sanitaire mondiale causée par la pandémie de la covid-19, le secteur du tourisme est l’un des secteurs qui été le plus durement touché. ...

#MAROC_EEP_URGENCE_REFORME Etablissements et entreprises publics : l’urgence d’une réforme stra
La question de la réforme de la gouvernance de l’Etat et de son mode d’intervention directe et indirecte, à travers notamment les établissements et entre...

Relance économique : la TPME en quête d’un nouveau souffle
Nous nous sentons délaissés. Le gouvernement parle depuis quelques semaines maintenant de renforcer la préférence nationale pour permettre aux entreprises m...

Le patronat mobilisé et engagé pour contribuer à la gestion de la crise
Saluant le projet royal de fabrication et de mise en seringue au Maroc du vaccin anti-Covid-19 La Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) ...