Maroc : que cachent exactement les
C'est l'annonce choc de la fin de semaine dernière et, comme toujours, très brutale, avec le Maroc. Sur demande du Roi, la Royal Air Maroc annonçait mettre en vente des billets défiant toute concurrence pour permettre aux Marocains résidant à l'étranger (MRE) de rentrer dans leurs familles. Outre la pagaille et la surchauffe des serveurs, que se cache-t-il derrière cette offre ? Une façon détournée pour soutenir la compagnie nationale ? Quelles sont les conséquences en France ? Nous avons interrogé quelques experts de la question.
Quand le gouvernement ou le Roi du Maroc parle, les conséquences derrière ne se prient pas pour se faire attendre.
Dimanche dernier, la Royal Air Maroc (RAM) sur demande de Son Altesse Mohammed VI, mettait en ligne un dispositif exceptionnel et historique, avec des billets à "prix très accessibles" selon le qualificatif de la compagnie. Mais les serveurs informatiques n'ont pas suivi.
En effet, quelques heures après l'annonce, le site de la compagnie nationale a été pris d'assaut.
"Nous avons enregistré pour la nuit d'hier 120 000 réservations de billets d'avion, contribuant à un démarrage tonitruant. Nous sommes très satisfaits des premiers retours," se félicitait alors Abdelhamid Addou le PDG de la Royal Air Maroc, sur l'antenne de Medi1TV.
En l'espace de seulement 24 heures, la RAM a réussi l'exploit de remplir près de 755 Boeing 737-800 utilisé pour desservir la route Paris-Casablanca.
Cet embouteillage numérique est aussi devenu une réalité dans la capitale belge.
A Bruxelles, l'agence de la compagnie a dû fermer ses portes face à la cohue. Les forces de l'ordre ont même dû intervenir pour disséminer les personnes souhaitant accéder à cette offre très avantageuse, via un guichet.
En France, les agences de voyages en ligne d'abord satisfaite du pic de fréquentation ont ensuite essuyé quelques déboires pour le moins désagréables.
Maroc : "Nous avons connu un certain chaos" selon Fabrice Dariot
"Nous avons fait un carton au niveau des ventes, sauf que le tarif était mal ouvert en GDS, donc nous nous retrouvons avec des centaines de dossiers à reprendre à la main, c'est compliqué.
En attendant, nous avons coupé la RAM, tellement c'est le bordel" s'exaspérait en début de semaine un responsable d'une agence de voyages, préférant conserver l'anonymat.
Nous parlons là d'une tambouille interne à l'industrie touristique, mais qui révèle qu'un buzz mal préparé peut avoir des conséquences bien plus néfastes que les bénéfices estimés.
Pour Fabrice Dariot, le président de Bourse des Vols, alors que la Royal Air Maroc est "l'une des rares à être plutôt amie-amie" avec les professionnels du tourisme, il y a bien eu un couac.
"Tout a commencé par une annonce royale que la RAM a essayé d'exécuter, mais nous sommes dans des métiers techniques et de technologie. La mariée a été trop belle," rapporte le responsable du site en ligne.
Ainsi, le transporteur propose depuis dimanche 13 juin 2021, plus de 3 millions de sièges, dont 600 000 en affrètement, du 15 juin au 30 septembre 2021, avec des tarifs aller/retour débutant à 97 euros, pour une famille d'au moins 4 personnes.
L'opération baptisée Marhaba (bonjour ou salut en Français) est uniquement réservée aux Marocains résidant à l'étranger (MRE). Face à une demande bien supérieure aux capacités de la compagnie nationale, les personnes à être servies étaient relativement... rares.
"Nous avons connu un certain chaos qui s'est stabilisé par la suite, avec des commandes nombreuses et opportunistes. Vu l'attractivité de l'offre, de nombreuses demandes ne pouvaient pas être honorées, puis nous n'avons pas eu de fermeture des ventes," déplore Fabrice Dariot.
La RAM ne fermant pas les ventes, les e-acheteurs ont continué à passer des commandes alors que les billets n'étaient plus disponibles à ces tarifs préférentiels.
Pour les professionnels du tourisme, les conséquences sont désagréables, car il a fallu reprotéger, quand cela était possible ou alors annuler les billets.
"Lorsque nous rappelons les clients ces derniers nous ont parfois un peu soufflés dans les bronches. Nous avons même eu des clients qui sont physiquement venus pour récupérer leurs billets.
Après ce sont des choses qui arrivent, se veut philosophe le président de Bourse des Vols.
La Royal Air Maroc bénéficie-t-elle d'une subvention déguisée ?
Et alors que les standards des agences qu'elles soient physiques ou sur internet ont été pris d'assaut, la compagnie nationale a bien conscience de ne pas avoir été totalement à la hauteur d'une diaspora qui n'a pas pu rentrer voir sa famille depuis de longs mois.
72 heures seulement après le début de la campagne marketing et promotionnelle, "les vols en provenance de la France, l’Italie, la Belgique et la Hollande sont saturés en juillet. Il existe de large disponibilité pour des arrivées aux mois d’août et de septembre," précise la RAM.
Et le transporteur de poursuivre.
"Les équipes de Royal Air Maroc sont mobilisées pour ajouter des vols additionnels sur les liaisons européennes saturées dans les prochains jours."
Un affrètement massif qui devrait être assuré en France par Avico selon nos informations.
Alors que la Royal Air Maroc surfe sur ce succès populaire, l'opération ne fait pas l'affaire de ses concurrentes pour qui le Maroc était une mine d'or en cette sortie de crise.
Rendez-vous compte qu'un aller/retour atteignait en moyenne 362 euros chez Bourse des Vols pour un départ en juin, dorénavant pour les MRE celui-ci peut descendre à 97 euros (famille de plus de 4 personnes) ou 150 euros par personnes pour un couple.
"C'est un très bon coup de com', mais c'est une offre anticoncurrentielle," peste un commandant de bord d'Air France, proche de la direction.
Cette offre royale ou déloyale, selon son pavillon, devra sans doute se conjuguer par une compensation, tant les tarifs affichés sont éloignés de la réalité du terrain.
Pour un billet à 483 euros entre Marseille et Marrakech du 17 juillet au 2 août 2021, près d'un tiers du montant est constitué des différentes taxes, soit 161 euros.
Celles-ci sont très variables, mais à 97 euros et même à 150 euros, la RAM rentra difficilement dans ses frais. Si nul ne connait le montant de l'aide d'Etat pour le versant aérien de l'opération, sur la mer, celui-ci a d'ores et déjà été chiffré.
"8 bateaux transporteront entre 20.000 et 27.000 voyageurs par semaine, selon la ministre déléguée, qui s’exprimait ce lundi 14 juin devant le Parlement. Elle a ajouté que l’opération coûtera environ 2 milliards de DH (190 millions d'euros, ndlr)," confiaient nos confrères de Medias 24.
De l'extérieur, l'opération Marhaba pourrait ressembler à quelque chose près à une subvention ou aide financière déguisée pour une compagnie lourdement touchée par la crise sanitaire.
D'après le pilote de la compagnie tricolore, les conséquences sont désastreuses, alors que Benjamin Smith espérait viser l'équilibre pour l'été 2021.
"Cela a des conséquences en cascade pour les concurrentes de la RAM, comme nous. Nous devions faire pas mal de vols et nous n'allons pas les faire."
Air France nous avait annoncé en fin de semaine dernière sa réflexion autour de l'ajout de nouvelles capacités vers le Maroc. Patatras, la Royal Air Maroc est passée par là.
Maroc : un pic des recherches pour annuler ses billets d'avion
La décision aurait entraîné des annulations massives auprès des concurrentes de la RAM, pour privilégier les tarifs de l'opération Marhaba.
"Air France est quasiment la seule compagnie à avoir la souplesse maximale permettant d'annuler tout et presque n'importe quand, les autres ne le font pas," recadre un Raphaël Torro, président de Resaneo, dubitatif sur les conséquences.
Si du côté du transporteur national français aucun commentaire ne sera fait sur ce dossier, Google Trends est plus permissif et nous dit... le contraire.
En nous rendant sur Google Trends, nous découvrons que les requêtes "annulation billet Air France" ou "annulation Air France" ont connu un important pic le 14 juin 2021, soit le lendemain de l'opération en faveur des Marocains résidant à l'étranger (MRE).
Parmi les requêtes associées (les utilisateurs ayant recherché le même terme que vous ont également effectué ces requêtes) nous trouvons en très forte augmentation : "royal air maroc annulation vol" (+ 650% en une semaine), "royal air maroc" (+ 500%), "annulation billet royal air maroc (+ 500%), "contact royal air maroc" (+ 350%) ou encore "royal air maroc contact (+ 350%).
Le constat étant similaire chez Transavia.
Des chiffres éloquents qui démontrent que les passagers ont fait le jeu des vases communicants, en déshabillant légèrement Paul pour habiller plus chaudement Jacques, mais sans savoir dans quelle proportion.
"Cela peut vite monter en termes de recettes perdues.
Nous sommes les dindons de la farce. Le gouvernement français n'a pas réagi, mais en même temps c'est très compliqué, car la promotion est très populaire," se lamente le pilote d'Air France.
De plus, la RAM risque de rester en tête des ventes pendant quelque temps, faisant oublier les alternatives aux clients.
Pour la compagnie tricolore, les ouvertures de lignes sont maintenues avec les mêmes fréquences, que nous vous avions partagées la semaine dernière.
"Cette promotion ne représente qu'une partie de l'offre de sièges disponible cet été, donc les concurrentes ne seront pas tant pénalisées," estime Raphaël Torro.
Vous l'aurez compris, l'enjeu n'est pas touristique, car l'offre tarifaire ne concerne que les Marocains résidant à l'étranger. Il est d'ordre économique.
L'opération Marhaba vise à libérer du pouvoir d'achat pour des personnes qui font tourner l'économie du pays, en dépensant de l'argent sur place.
Forte tension diplomatique entre l'Espagne et le Maroc, la France juge de paix ?
Une affirmation confirmée par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour qui les MRE sont une ressource à haut potentiel pour le développement économique du Maroc.
Ce qui place la diaspora marocaine comme la 3e plus influente dans l'économie de son pays d'origine, derrière le Salvador et les Philippines.
"Le Maroc a besoin de faire revenir les MRE, car ce sont des gens qui ramènent des devises dans le pays, après c'est l'une des destinations préférées des Français dans le tourisme.
Nous espérons une éclaircie aussi à ce niveau," poursuit le président de Resaneo.
Pour vous rendre compte de l'impact de cette population, les simples transferts de fonds 5,28 milliards d'euros en 2014, soit 7% du PIB du pays, selon le dernier rapport de l'organisation.
Ces chiffres ne prennent pas en compte, les retours estivaux dans le territoire marocain des expatriés.
"Vous comprenez qu'il y a une masse monétaire dont le Royaume ne peut pas se priver, mais il faut taper du poing sur la table" souhaite le commandant de bord.
Et alors que le Maroc s'est fortement brouillé avec l'Espagne et a suspendu le passage des voitures par le détroit de Gibraltar, l'opération Marhaba sera quasiment exclusivement par voie aérienne, si ce n'est quelques ferries depuis la France et l'Italie.
En 2019, lors de la dernière traversée autorisée, 3 242 970 passagers et 760 215 véhicules sont passés par le petit passage séparant l'Europe de l'Afrique.
Sur fond de crise diplomatique majeure entre les deux pays, mais aussi l'Europe, il est probable que le gouvernement français voit d'un mauvais œil cette aide déguisée pour la compagnie marocaine.
Cela tombe mal puisque la France doit prochainement mettre à jour sa carte des pays verts, orange et rouges... Nous l'avons oublié avec le coronavirus, mais par moment les voyageurs sont des victimes collatérales des tensions géopolitiques.
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Le 16/06/2021
Source web Par : tourmag
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