Le Lycée d’excellence de Benguérir, fabrique marocaine des futurs polytechniciens

En 2020, 17 pensionnaires du Lydex, un établissement ouvert en 2015, ont intégré la grande école française – et, parmi eux, de nombreuses étudiantes et élèves issus de milieux défavorisés.
Au classement des meilleures prépas scientifiques aux grandes écoles françaises, il y a bien sûr le lycée Sainte-Geneviève à Versailles, Louis-le-Grand à Paris et puis, à la sixième place dans la filière maths-physique, le Lycée d’excellence de Benguérir (Lydex), au Maroc. Implanté au sud de la ville, à 70 km de Marrakech, l’établissement est encore peu connu du grand public. Pourtant, en 2020, pas moins de 17 élèves de ce lycée ouvert en 2015 ont intégré l’Ecole polytechnique en France.
Tous ont étudié au pied de ces collines embrasées de soleil d’où est extrait le phosphate – la principale richesse du Maroc – depuis quatre décennies. Le campus de 18 hectares du Lydex et ses bâtiments ocre flambant neufs ont été construits au cœur de la ville verte Mohammed-VI, une « cité du savoir et de l’innovation » créée en 2009 par l’Office chérifien des phosphates (OCP). Ici, les 944 élèves du lycée, tous internes, sont choyés : classes ultramodernes, salles équipées pour les travaux pratiques, terrains de sport, théâtre dédié aux modules de développement personnel, piscine semi-olympique pour s’entraîner à l’épreuve de natation de Polytechnique…
« Toutes les conditions sont réunies pour réussir », observe avec le plus grand sérieux Mohamed, un élève de terminale croisé à l’entrée d’une bibliothèque. Il a seulement 16 ans et est originaire d’un petit village des montagnes de l’Atlas. Ses frais de scolarité et ses besoins quotidiens sont, comme pour 96 % des élèves du Lydex, intégralement couverts par le lycée. « Nous n’avons pas d’excuse », tranche le jeune homme.
« Discrimination positive »
Fruit d’un partenariat public-privé et entièrement financé par la Fondation OCP, l’établissement recrute des « petits génies » venus de tout le pays, « avec une discrimination positive pour les gens démunis », précise Ahmed Benzi, le proviseur. Pour favoriser cette diversité sociale et géographique, près des deux tiers des élèves qui rejoignent les classes préparatoires aux grandes écoles (CGPE) du Lydex sont sélectionnés en dehors des canaux officiels. Après examen de leur dossier, ils passent une épreuve écrite puis un entretien. Une initiative qui détonne dans un pays marqué par de très fortes inégalités scolaires.
En 2019, un rapport publié par l’ONG Oxfam pointait le « déficit qualitatif du système éducatif » marocain et mettait en garde contre une privatisation de l’éducation dans le royaume. La durée moyenne de scolarisation y est de 4,4 ans, soit plus de trois ans de moins que la moyenne mondiale (7,7). Les résultats scolaires, qui varient considérablement en fonction du milieu social des élèves, sont particulièrement faibles dans les régions rurales, où la pauvreté et l’enclavement rendent difficile la fréquentation régulière des établissements.
Au Lydex, les filles forment les deux tiers des effectifs dans le secondaire et la moitié en classe préparatoire. SAÂD A. TAZI
Dans les régions les plus reculées, les éducateurs de Benguérir ont dû parfois user de persuasion pour convaincre les parents de leur confier leurs enfants. Quand ces derniers représentent une source de revenus, une compensation peut éventuellement être versée aux familles. Il faut aussi les rassurer sur l’avenir de leurs filles. Au Lydex, elles sont majoritaires et forment les deux tiers des effectifs dans le secondaire et la moitié en classe préparatoire (contre un tiers des effectifs dans les prépas scientifiques françaises). « C’est vrai qu’on a peur, elles n’ont jamais quitté le village. Mais quand on arrive ici, on comprend », confie Fatima-Zohra, une mère de 40 ans dont la fille passe le bac en juin. « Certaines n’avaient jamais vu une serviette hygiénique ! », raconte un membre de l’équipe pédagogique, rappelant que les problèmes liés à l’hygiène menstruelle constituent un frein à la scolarisation.
« Ascenseur social »
Parce qu’il recrute dans le Maroc dit périphérique, « le Lydex a un peu remis l’ascenseur social en marche », veut croire Mohamed Soual, chef économiste à l’OCP. Mais pour attirer ces jeunes, le groupe ne lésine pas sur les moyens. Longtemps considérée comme la « boîte noire » du pays, l’entreprise, qui soigne désormais sa communication, a consenti des investissements massifs dans la recherche, l’éducation et la formation à travers sa fondation. « On exploite une ressource qui appartient aux Marocains, nous avons une responsabilité sociétale d’aider au développement du territoire », justifie Mohamed Soual. Les professeurs, détachés du ministère de l’éducation nationale, sont triés sur le volet et reçoivent une indemnité qui leur permet de doubler leur salaire, ainsi qu’une prime d’intéressement liée aux performances des élèves.
Des collégiens sur la route à Benguérir, en avril 2017. SAÂD A. TAZI
En 2020, tous ont obtenu leur bac du premier coup, contre 63 % à l’échelle nationale, et 66 % ont également décroché une mention très bien. Un succès qui tient à « une concurrence féroce mais saine entre les élèves et une bonne initiation aux oraux », estime l’ancien élève Ayman Dmouj depuis le campus de Polytechnique, à Palaiseau. « Tous les bons élèves du Maroc se retrouvent dans le même lycée, cela crée une émulation hors du commun », témoigne Zineb Belafia, elle aussi à l’« X ». Pour le reste, l’OCP veille. Comme en 2018, quand des étudiants se sont vu refuser leur visa pour aller passer les oraux de Polytechnique en France, la plupart pour motif d’insuffisance de revenus. « Ça s’est joué à quelques jours près. Sans intervention de leur part, j’aurais raté mes oraux », se souvient Abdelhafid Souilmi, un polytechnicien né à Safi, aujourd’hui en stage dans la banque d’investissement Goldman Sachs, à Londres.
Comme lui, les anciens du Lydex sont promis à un bel avenir. Une question reste toutefois en suspens : vont-ils revenir au pays ? Alors que plus de 26 % des Marocains âgés de 15 à 24 ans sont sans emploi, avec un taux qui culmine à 42,8 % en milieu urbain, les jeunes diplômés sont parfois contraints d’accepter un poste en deçà de leur niveau d’éducation. « C’est vrai que nous avons peur de ne pas trouver les mêmes opportunités au Maroc, mais j’ai l’intention d’y revenir un jour », assure Zineb Belafia. C’est en tout cas le pari de l’OCP, qui espère aussi recruter dans cette élite ses cadres de demain.
Le 27 avril 2021
Source web Par : le monde
Les tags en relation
Les articles en relation

L’uranium des phosphates tunisien et marocain tourne au feuilleton
Qui aurait dit qu’une simple évocation d’un vieux sujet tunisien quasiment classé tourne au feuilleton international. Il s’agit de l’uranium des phosp...

Le Sud Est du Maroc, terre d’aventure pour les explorateurs miniers
Le Maroc est depuis longtemps un pays à forte vocation minière comme en témoignent les traces d’extraction sur l’ensemble du territoire national. La rég...

Comment le cabinet Diorh a sélectionné les candidats de Laâyoune pour Phosboucraâ
Dès qu’il y un nouvel investissement d’envergure dans les provinces du sud du Maroc, la propagande polisarienne, relayée par des séparatistes de l’int�...

Le taux de remplissage des barrages atteint 31,2%
Réserves : Les barrages Al Massira, Ahmed Al Hanssali et Abdelmoumen affichent un niveau toujours alarmant avec un taux de remplissage inférieur à 7%. La con...

Exclusif. Phosphates : les dessous de la guerre acharnée menée en Afrique par l’Arabie Saoudite
Le continent africain est promu à devenir le grenier du monde dans les prochaines décennies. C’est donc naturellement qu’il représente aujourd’hui un g...

Crise hydrique : Après son diagnostic alarmant, Baraka détaille son plan de riposte
La crise hydrique qui sévit au Maroc atteint des proportions inquiétantes. C’est sur ce postulat que le ministre de l’Equipement et de l’Eau, Nizar Bara...

Sécheresse: Le Maroc va utiliser les eaux non conventionnelles pour sortir de la zone de risque
Au moment où les ressources en eau potable de rarifient, l’utilisation des eaux non conventionnelles devient un enjeu capital pour assurer la sécurité des ...

Groupe OCP: un dividende record de 8,1 milliards de dirhams sera versé à l’État actionnaire
Deux faits marquants méritent d’être soulevés à la lecture des résultats 2021 du groupe OCP rendus publics ce jeudi 24 mars 2022. D’une part, le divide...

Le Maroc mise sur le partenariat stratégique sino-africain pour un développement durable et inclus
Le Royaume du Maroc réaffirme avec conviction que le partenariat stratégique entre la Chine et l'Afrique constitue un pilier fondamental pour le développ...

Focus – Quelles sont les entreprises les plus performantes du Maroc en 2019?
Le Maroc a fait de l’amélioration de son climat des affaires et de l’attraction des investissements à grande échelle un choix dans sa politique de dével...

Quatorze films en compétition au Festival international du film documentaire de Khouribga
Quatorze documentaires seront en lice à la compétition officielle de la 8ème édition du Festival international du film documentaire de Khouribga, qui se tie...

Le Maroc lance une stratégie pour moderniser le secteur minier hors phosphate
Le ministère de la Transition énergétique et du développement durable prépare une nouvelle stratégie de modernisation du secteur minier marocain, en se co...