Les oubliés de Jamâa El Fna
350 artistes de rue, véritables acteurs de la place, livrés à eux-mêmes
Vulnérables en temps normal, ils le sont davantage pendant le confinement
Communes, professionnels du tourisme, bienfaiteurs… indifférents à leur sort
Ne vous y fiez pas. Ce n’est pas un homme, mais elle a dû se travestir en homme pour survivre dans un monde rude et peu avenant que celui des artistes de rue. Elle, c’est Mariam Amal, présidente de l’association des artistes de la Halqa et qui vit de et dans Jamâa El Fna depuis 42 ans. Elle a gagné le respect de ses pairs qui reconnaissent sa sagesse et son dévouement. Ce petit bout de femme, usée par des années de dur labeur, se bat comme elle peut pour une reconnaissance des artistes de la place (Ph AM)
Jamâa el Fna n’a jamais été aussi triste et silencieuse. Cette place mythique n’est plus rien sans ses artistes, qui en ont fait un véritable lieu d’attraction, de jour comme de nuit.
Ceux qui avec leurs histoires nous ont fait rire ou rêver, les musiciens qui égrènent des chansons gnawi et populaires, les acrobates agiles, les cracheurs de feu, les tatoueuses au henné, les dresseurs de singes, charmeurs de serpents, et diseuses de bonne aventure, …. Ces artistes qui ont préservé et continué à transmettre ce patrimoine, sans aucun filet social et aux dépens de leur santé.
Ce sont aussi, eux, les acteurs du tourisme qui ont contribué à la réputation de la cité ocre. Aux portes des souks, la place est une des principales attractions traditionnelles et historiques du tourisme au Maroc. Elle est animée d’une importante vie populaire du matin jusqu’à l’aube.
Plus de deux millions de visiteurs y viennent chaque année pour assister aux shows des artistes de Jamâa El Fna. Une place mythique qui figure dans toutes les brochures… N’est-ce pas grâce à ces acteurs que Jamâa El Fna a obtenu son classement à l’Unesco en tant que patrimoine immatériel? Et là encore, sans les efforts inlassables de feu Juan Goytisolo, chantre de la gloire de la Place et de ses artistes, ce classement n’aurait jamais été obtenu.
D’ailleurs à la fin de sa vie, Goytisolo, qui vivait pas très loin de la halqa, était révolté par les profiteurs et les indifférents à ce patrimoine. Quelques rares exceptions cependant, les amis de Juan Goytisolo, et à leur tête le Dr Jamal Eddine Ahmadi, qui continuent d’organiser pour les gens de la halqa une caravane médicale chaque année.
jamaa-el-fna-vide-041.jpg
La place est aujourd’hui déserte pour des raisons sanitaires, mais ses gens sont oubliés par le système (Ph. Mokhtari)
Mais ni l’Unesco, ni les touristes ne savent que ces acteurs vivent dans un dénuement total qui soulève à terme la question du devenir de ce patrimoine. Et cette crise du Covid-19 et le confinement qui a suivi dénude encore plus leur précarité.
Meriem, Abdelkader, Jilali….et les 350 autres hlayqias de Jamâa El Fna ont été priés de regagner leurs pénates, ce fameux 18 mars, Covid-19 oblige. Et depuis, personne ne s’est soucié de leur sort. Ni les communes, ni les professionnels du tourisme, ni les bienfaiteurs.
Du jour au lendemain, ils se sont retrouvés sans travail -même si ce dernier était déjà très précaire-, sans argent pour manger, oubliés du monde. Et si ce n’était la crainte d’un contrôle, ils seraient sortis faire la manche, regrette Meriem Amal, présidente de l’Association des artistes de la halqa de la place de Jamâa El-fna. Ce petit bout de femme qui se lève au nom de sa grande famille d’artistes fulmine.
«Comment expliquez vous qu’aucun responsable touristique ou communal n’ait cherché à se rapprocher de nous, à nous demander si nous avions besoin de quelque chose? Pourquoi les cafés, restaurants et hôtels qui profitent de la place n’ont jamais pensé à créer un fonds avec une participation de 1 DH pour chaque touriste qu’ils ramènent à la place. Nous ne serions alors pas dans une telle situation et nous aurions pu nous en sortir en cette période de confinement. Nous sommes bien des partenaires, non?», s’exclame Amal qui connaît la situation sociale de chaque artiste.
Jamâa El Fna, l’une des places les plus célèbres au monde, recevait chaque année plus de 2 millions de visiteurs. Les autorités concernées auraient pu, ou dû, créer un fonds pour ces artistes qui contribuent à animer cette légendaire place. Leurs histoires, leurs danses, leur folklore, leurs bonimenteries ou leurs remèdes maison… Ils sont les seuls à aborder la délicate mission de perpétuer le patrimoine immatériel, devra-t-il mourir avec eux? (Ph. maroc.com)
«Moi, je m’en sors avec de l’aide de mes voisins, mais Abdelkader le clown, les gnawis non», regrette-t-elle. Meriem travaille à Jamâa El Fna depuis l’âge de 9 ans. Elle a intégré un groupe masculin de musique qui reprend les chansons de Jil Jilala et Nass El Ghiwan. 30 ans plus tard, elle dirige le groupe. Elle s’est travestie en homme pour survivre dans ce monde très difficile des artistes de rue.
Aujourd’hui très connue de la place avec ses tenues masculines, sa dégaine, son bagout et surtout sa sagesse, elle préside l’association des artistes de la halqa de la place de Jamâa El Fna.
«Nous avons frappé à toutes les portes pour que notre profession soit soutenue et que nos artistes aient le minimum syndical, une couverture sociale, une retraite…en vain ». Quelques uns parmi les 350 artistes ont une carte de Ramed et vont bénéficier de l’aide, mais le reste, devra attendre une deuxième vague de charité.
Le 16/04/2020
Source Web Par L’économiste
Les tags en relation
Les articles en relation
#Initiatives_Covid19 La CNSS mobilise 3 nouvelles polycliniques face au coronavirus
Dans le cadre des efforts déployés au niveau national pour la lutte contre la pandémie du coronavirus (Covid-19), la Caisse nationale de sécurité sociale (...
8 nouveaux hôtels s’ajoutent à ceux dédiés à la quarantaine des voyageurs de la liste B
La liste des hôtels dédiés à la quarantaine a été mise à jour, ce jeudi 24 juin. Selon Médias 24, étant donné que les hôtels choisis à Casablanca af...
Coronavirus : les Parisiens découvrent l'odeur des champs... et ce n'est pas une bonne nouvelle
Une étude de chercheurs italiens fait polémique : elle estime que les particules fines boostent la propagation du Coronavirus dans l'air. C’est une o...
L’heure n’est plus à un timide leadership – Il est possible de relancer le tourisme en toute
Le coût lié aux restrictions sur les voyages mises en place face à la pandémie de COVID-19 est clair pour tout le monde. Entre janvier et mai, la baisse ...
Flurona : symptômes, précautions, ... ce qu'on sait sur cette double infection
Le premier cas de la Flurona, une double infection par le virus de la grippe et celui de la Covid-19, a fait son apparition en Israël. Loin d’être un phéno...
Covid-19 : plus de 3.000 chercheurs appellent à changer nos systèmes économiques
Dans une tribune publiée ce 16 mai dans 27 journaux de 23 pays, plus de 3.000 chercheuses et chercheurs des universités du monde entier lancent un appel urgen...
Covid-19. Tout sur le masque made in Morocco
Le port du masque est obligatoire depuis le 7 avril dernier pour les personnes autorisées à se déplacer en vertu d’une attestation dérogatoire de circulat...
#Maroc_etat_urgence: Le Maroc va t il le prolonger ?
Un Conseil de gouvernement se tiendra, jeudi, sous la présidence du Chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, avec à l’ordre du jour l’examen de six projets ...
Tourisme en Afrique : le spectre d’une saison sèche sans le retour massif de la diaspora
La diaspora africaine transfère en moyenne 60 milliards de dollars vers le continent. Une mamelle nourricière menacée par le covid-19. Par Sami Bouzidi, E...
L'Afrique face au défi du coronavirus
L'épidémie de coronavirus n'est plus une menace pour l'Afrique, c'est maintenant une réalité car de plus en plus de pays du continent ont co...
Coronavirus : Des médecins déposent plainte contre Édouard Philippe et Agnès Buzyn
Trois médecins représentants d’un collectif de soignants ont déposé plainte contre le Premier ministre Édouard Philippe et l’ancienne ministre de la Sa...
L’économie marocaine peut-elle résister à la tempête chinoise ?
Le COVID-19, c’est plus de 81 000 cas, 2 790 décès et 36 000 guérisons, cependant les experts sanitaires ne sont pas tous d’accord sur la rapidité avec ...


vendredi 17 avril 2020
0 
















Découvrir notre région