Entretien avec Mohammed Charroud, enseignant chercheur en géologie à la Faculté
«Nous ne pouvons plus nous taire devant le pillage du patrimoine naturel et archéologique marocain»
Les faits La création du musée des sciences à Fès lève le voile sur la richesse naturelle du Maroc qui fait l’objet de toutes les convoitises et d’un pillage organisé. Détails avec l’initiateur du projet, le professeur Mohammed Charroud du département de géologie à la Faculté des sciences et techniques de Fès.
Et plus on explore, plus on découvre des galeries de mine, des pas de dinosaures, dont on en compte 400 dans une région, voire plus.
Le Matin : vous avez été à l’initiative de la création du premier musée des sciences à Fès en partenariat avec la présidence de l’Université Sidi Mohammed Ben Abdellah. Comment est venue cette idée ?
Mohammed Charroud : L’idée de création d’un musée des sciences vient du souci de la préservation du patrimoine naturel et culturel national. Je fais des recherches dans les sciences de la terre depuis 25 ans et j’ai découvert l’existence d’un patrimoine naturel au Maroc riche en biodiversité transcrite sur la surface de la Terre de plusieurs centaines de millions d’années, voire plusieurs milliards d’années. Ce patrimoine composé de fossiles des mondes marin, minéral, biologique existe un peu partout au Maroc et il est l'objet de toutes les convoitises. Il est exposé pour la vente, au Sud marocain notamment, au niveau du trajet Marrakech-Ouarzazate et Zagora ainsi que le trajet de Marrakech-Agadir, dans le Haut Atlas et l'Anti Atlas, particulièrement au niveau du trajet Meknès-Errachidia et au Tafilalet. Il y a même un pillage de cette richesse qui peut valoriser différentes régions du Maroc et assurer un revenu permanent à la population locale.
Il s’agit notamment des gisements des dinosaures, ces animaux fascinants qui existent un peu partout au Maroc, tels que le dinosaure d’Aït Ataab et de Ouaouizarte au Moyen Atlas. Il existe même les traces des plus grands carnivores de tous les temps, spinosaurus maroccanus notamment, dans le grand Atlas, à Aït Hani, à Imilchil et à Toudra. Ces régions mettent en avant le folklore, l’artisanat et se laissent voler une richesse naturelle en mesure de contribuer à leur développement. Et c’est le cas aussi des régions qui regorgent de trésors naturels tels Boulemane, Anoual, Figuig et la région de Kam-Kam au Sud, ainsi que les régions des phosphates. Et plus on explore, plus on découvre des galeries de mine, des pas de dinosaures, dont on en compte 400 dans une région, voire plus.
Pouvez-vous nous expliquer comment se fait le pillage des objets naturels ?
Il existe des objets naturels de grande valeur scientifique qui se vendent sur un marché noir à des prix élevés. Je tiens à préciser que ce n’est pas un marché anarchique. Les ventes se font de manière très organisée parce qu’il y a des objets qui pèsent lourd et qui quittent le territoire marocain, comme un os de 2 mètres carrés qui peut peser 200 à 300 kg et vendu à des prix très élevés. Le pillage se fait de plusieurs manières, notamment par des caravanes qui sillonnent le Maroc à la recherche de ces objets de valeur, des fossiles exceptionnels et des minéraux qui n’existent que chez nous. Ces gens-là nous volent nos objets et notre histoire. Et c’est difficile, voire impossible, de les récupérer.
Est-ce que la création de musées suffit pour lutter contre le pillage ?
La création des musées de
préservation du patrimoine naturel du Maroc devrait contrer l’intérêt de
beaucoup de personnes qui se sont enrichies au fil des ans de la vente
clandestine de ces objets précieux. Mais elle reste insuffisante. C’est un
système très organisé. C’est un marché qui pèse plusieurs millions de dollars
par an et il est question de grandes transactions. Pire encore, l’accès à ces
richesses est d'autant plus facile au Maroc que nos sites ne sont pas
protégés.
Lors de mes recherches à Volubilis, je rencontre souvent des caravanistes qui
s’installent à proximité du site à la recherche d’objets anciens de valeurs. Il
s’agit, entre autres, de petites têtes de colombes qui se vendent au prix fort.
Ce qui est inadmissible et nous ne pouvons plus nous taire devant le pillage
massif du patrimoine naturel et archéologique marocain et humain.
Ceci étant la création de musées est un pas en avant dans la préservation et la prise de conscience des responsables comme des populations de l’importance de protéger ce patrimoine. Le wali de Fès-Boulemane a par ailleurs proposé, lors de l’inauguration du musée, la création d’une fondation de musées à Fès pour gérer les musées de la ville et préserver le patrimoine national.
Est-ce qu’il n’y a que vos collections dans ce musée ?
J’ai mis un quart de siècles de recherches et de travaux d’explorations scientifiques dans ce musée. Et mon laboratoire est la montagne, les rivières et les bords de mer… Et c’est le résultat de projets de recherches scientifiques qui évoluent avec le développement des moyens de recherche. J’ai initié ce projet avec des collections personnelles, en partenariat avec la présidence de l’Université Sidi Mohammed Ben Abdellah, mais la voie est ouverte à des collègues, à des géologues et des archéologues pour y exposer leurs travaux de recherche et leurs collections. Je tiens à préciser que les collections qui existent aujourd’hui peuvent être multipliées facilement par mille et en un temps record avec les moyens qu’il faut pour créer un vrai musée, avec les normes scientifiques et internationales. Il est aujourd’hui urgent de mettre en place une stratégie pour préserver les musées à ciel ouvert du Maroc, permettre aux visiteurs d’admirer sur place la beauté des objets naturels, les cavernes, les grottes et l’histoire du Maroc et d'en faire des vecteurs de développement locaux.
Est-ce que vos travaux de recherches et vos collections sont subventionnés ?
En tant qu’enseignant chercheur, j’ai participé à pas mal de projets de recherches avec des moyens propres et d’autres avec l'aide d’organismes nationaux et internationaux, notamment européens. Ces subventions servaient surtout à financer les déplacements, notamment dans des contrées lointaines. Et grâce à ces missions, je connais aujourd’hui les rivières et les montagnes du Maroc beaucoup plus que les couloirs de mon université.
Le Musée des sciences de l’Université Sidi Mohammed Ben Abdellah de Fès
Le Musée des sciences de l’Université Sidi Mohammed Ben Abdellah de Fès est la représentation de 4,6 milliards d’années de l’Histoire du Maroc. Il est dédié aux sciences et aux techniques d’identification et de préservation d’objets patrimoniaux marocains exceptionnels. Il est le résultat de l’interaction entre le monde minéral et le monde biologique. Le musée présente, entre autres, l’évolution de la vie sur Terre, les causes des grandes extinctions de la vie, avec notamment l’impact de météorites sur Terre, les traces de l’ère primaire, de l’ère secondaire avec le monde marin et le monde récifal. Il consacre aussi de belles collections au Maroc à l’ère des dinosaures, aux prédateurs marins et aux couleurs et formes naturelles du minéral au Maroc.
Publié le : 6 Août 2013 –
SOURCE WEB Par Rachida Bami, LE MATIN
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