Transport aérien : en l'absence du Boeing 737 MAX, l'été sera chaud
La suspension des livraisons du moyen-courrier de Boeing pourrait entraîner une pénurie d'avions cet été... et clouer au sol des passagers. Par Thierry Vigoureux
Ligne d'assemblage du Boeing 737 MAX dans l'usine de Renton, aux États-Unis. La production de ces appareils est passée de 52 à 42 avions par mois.
Cherche moyen-courrier de 150 à 200 sièges, désespérément. Cette annonce, rédigée en termes techniques sur les sites des brokers et des courtiers d'aviation, traduit le désarroi du transport aérien face à la défaillance de Boeing. Après l'accident du Boeing 737 MAX d'Ethiopian Airlines en mars, le deuxième après celui de Lion Air en octobre 2018, les appareils de cette série ont été cloués au sol. Et l'avionneur a suspendu les livraisons de ce « blockbuster » produit à Renton, près de Seattle.
Plus de 4 600 B737 MAX sont en commande. Au moment de l'arrêt des vols intervenu après trois jours de tergiversations des autorités aéronautiques américaines, 376 Boeing 737 MAX avaient été livrés aux compagnies aériennes. Les livraisons ont été suspendues. La production mensuelle prévue de 52 appareils a été ensuite réduite à 42. Ces avions flamblant neufs mais inutilisables sont stockés sur des aéroports ou d'anciennes bases militaires de l'Ouest américain disposant de vastes parkings.
Incertitudes sur la date de remise en service
À ce jour, ce sont près de 500 B737 MAX ou près de 90 000 sièges qui manquent à l'appel. Au cœur de l'été, ce sont 700 avions qui feront défaut dans le monde. Dans 30 % des cas, les avions nouveaux ont été acquis pour remplacer des appareils anciens, qui pourront être prolongés s'ils n'arrivent pas en butée de potentiel. Ce qui nécessitera une longue et coûteuse visite technique lors de laquelle l'avion est désossé à la recherche des traces d'usure, de criques et de corrosion. La majorité des avions à livrer permet de faire face à la croissance du transport aérien (+ 6,1 % en 2018) en créant de nouvelles lignes ou en musclant les fréquences des dessertes existantes.
Si tout va bien quant à la certification, la remise en vol du B737 MAX n'est pas attendue avant le mois d'août par les plus optimistes des experts aéronautiques. Les modifications techniques et logicielles à prévoir sur chaque avion ne prendraient qu'une journée, si l'ajout d'une troisième sonde d'incidence n'est pas exigé. Le défaut de celle-ci, qui serait à l'origine des crashs, déclenche, de façon incontrôlable pour les pilotes, le logiciel MCAS, défectueux. Reste aussi à prévoir la formation des pilotes à la nouvelle version de ce système de prévention des décrochages. Cela peut prendre des mois, le temps de modifier les simulateurs puis de trouver les créneaux disponibles pour entraîner les équipages aux nouvelles procédures.
« L'affrètement, c'est le fusible du marché »
Les compagnies aériennes sont habituées à gérer ce type de crise. Les batteries puis les moteurs Rolls-Royce avec des révisions exceptionnelles ont immobilisé les Boeing 787 Dreamliner. Chez Airbus, les difficultés techniques de Pratt & Whitney avaient provoqué l'an dernier un arrêt, pendant trois mois, des livraisons d'Airbus A320neo équipés de ce moteur. « L'affrètement, c'est le fusible du marché », explique Gilles Gompertz, directeur général d'Avico, le principal courtier aérien français, rompu à trouver des solutions de location d'avions pour minimiser l'impact de ces crises sur les compagnies aériennes et leurs passagers. En Europe sont surtout concernées Norwegian, Turkish Airlines, la polonaise LOT, Icelandair, l'anglaise TUI, Air Italy ainsi que Royal Air Maroc en Méditerranée. Toutes sont équipées de B737 MAX qui vont rester au sol ces mois-ci. Aucune compagnie française n'a pour l'instant commandé de B737 MAX.
Pour Gilles Gompertz, la crise actuelle va se dérouler en deux temps. « Cela devrait bien se passer avant l'été, car la saisonnalité du trafic est forte en Europe-Afrique. Jusqu'à début juillet, rien de sérieux. Après, c'est beaucoup plus compliqué, car le manque à livrer des B737 aura doublé. Au moindre aléa d'exploitation – panne technique, météo, retards cumulés –, il n'y aura plus d'avion à louer. On peut parfois remplacer un moyen-courrier par un gros porteur, sauf au mois d'août où ces appareils de forte capacité sont mobilisés par le pèlerinage du Hadj à La Mecque. » Les 2 millions de pèlerins se déplacent essentiellement dans des avions, affrétés dans le monde entier et ponctionnant les flottes disponibles.
Vers une flambée du prix des billets
Pour prévenir les incidents d'un été « chaud », Air France, très soucieuse d'améliorer ponctualité (taux de retards) et régularité (taux d'annulations), prévoit de porter de quatre à cinq les A320 moyen-courrier de réserve à Roissy-CDG et à Orly. Toutes les compagnies n'ont pas ces moyens et les passagers risquent de connaître des moments difficiles quand un avion en panne n'est remplacé que deux ou trois jours plus tard.
Les conséquences financières pour les compagnies, qui seront tôt ou tard répercutées sur le prix des billets d'avion (si Boeing n'indemnise pas), sont sévères. Cette année, dès le mois de mai, un A320 ou un B737 de moins de quinze ans se loue au tarif de super-pointe, soit 20 % plus cher. Compter 3 500 euros l'heure de vol en mode ACMI (Aircraft, Crew, Maintenance, Insurance) avec l'équipage complet, l'entretien et l'assurance. À cela, il faut ajouter le carburant (3 000 euros environ), le catering, les diverses taxes et redevances. Près de 50 000 euros pour un aller-retour Paris-Marrakech.
Le 02/05/2019
Source web Par Le Point
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