Le défi féminin de Ouarzazate Hayat BENNANI Ouarzazate
Hayat Bennani est à Ouarzazate l'emblème de la femme engagée dans la politique. Entre 2003 et 2009, elle a été conseillère communale à la ville de Ouarzazate, en qualité de Présidente de la Commission chargée des Affaires Economiques, Sociales et Culturelles. A ce titre là, elle a participé à la journée d'hommage à la femme du Sud organisée le 16 mars 2013 par la Faculté Polydisciplinaire de Ouarzazate. Elle nous rend compte de ses impressions lors de cet événement pionnier et nous explique en quoi l'implication de la femme dans la gestion des affaires communales serait un vrai plus pour toute la collectivité.
Almaouja.com - Quel bilan posez vous sur la journée consacrée à la femme du Sud par la Faculté Polydisciplinaire de Ouarzazate ?
Hayat Bennani – Permettez moi d’exprimer à la Faculté Polydisciplinaire de Ouarzazate, en la personne de M. le Doyen et de Mme Souad Regragui, professeur universitaire, mes vifs remerciements pour la tenue de cette journée d’hommage aux femmes pionnières du territoire du Sud Est.
Cette activité s’inscrit dans le cadre de l’interaction et de l’ouverture de la Faculté sur son environnement politique, social, économique et culturel mais le plus important est qu'elle s’inscrit dans l’objectif de développer une culture de la reconnaissance. Cette reconnaissance est un levier de mobilisation puisqu’elle contribue à valoriser des personnes qui ont donné le meilleur d’elles même pour une cause donnée.
C’est la première fois qu'un tel hommage est réservé pour un nombre aussi important de femmes pionnières de notre région du Sud Est, particulièrement la femme rurale. Ces femmes honorées représentent différents domaines, la politique, l'entreprise, l’administration, la société civile, le sport, l'artisanat, la médecine, l'agriculture, la femme cuisinière, une femme malade qui a vaincu son cancer... Procéder ainsi à l'hommage de ces femmes est un geste profond de considération envers ces dames impliquées et déterminées non pas par la force brute, mais par la puissance et la beauté de leur personnalité, mais hélas, qui sont restées invisibles et méconnues. Cette journée était donc l'affirmation d'une reconnaissance, d'une considération vis à vis de l'action de ces femmes qui ont travaillé certes dans l’ombre, mais aussi dans la souffrance, dans la pauvreté et dans l'éloignement.
Almaouja.com - Quels sont selon vous les résultats concrets de cette journée d'hommage ?
HB : Le 1er résultat de cette journée est que le public était en face d'une quarantaine de femmes dont il ne connaissait pas le travail.
Le 2ème résultat et j’en suis certaine, est que ces femmes ont ressenti un vrai plaisir et une grande joie d'être ainsi reconnues. Ces femmes ont combattu, avaient des idées et de l’énergie, elles nous ont enrichi humainement, mais nous pouvons dire qu'elles ont été oubliées par la société.
Le 3ème résultat, c’est que sur le plan psychologique, ces femmes ont besoin d’être considérées avec sympathie, contentement et approbation. La reconnaissance de leur travail est donc considérée comme une récompense. Cette reconnaissance est importante aussi car elle stimulera d’autres femmes à avoir confiance en elles pour agir.
L'autre élément qui m'a touché est la polyvalence de toutes ces femmes honorées, depuis la femme politique à la femme masseuse au hammam. Nous reconnaissons là toutes les catégories de femmes restées invisibles si longtemps et qui ont pourtant beaucoup donné à la collectivité.
La participation des femmes à la politique reste en deçà de nos aspirations
Almaouja.com - Si on regarde plus globalement la place de la femme dans la région du Sud Est, quel constat peut être fait ?
HB : Il est certain que la participation de la femme marocaine dans la vie politique est un moyen pour inscrire notre pays dans la modernité et la démocratie. Cependant, l'engagement politique des femmes est complexe car il est constamment entravé par des obstacles idéologiques, politiques, culturels, économiques et sociaux. Cette situation est encore très accentuée et très pénible dans ces zones reculées, traditionnelles, conservatrices et renfermées, appelées la Maroc profond, ce qui fait que la représentativité de la femme dans la politique et dans les postes de décision était dans un passé récent, quasiment nulle dans cette région.
Le militantisme des mouvements féministes a engendré les multiples réformes engagées par S.M. le Roi Mohammed VI. La dernière de ces réformes est la nouvelle constitution de 2011.
Les dispositions de cette nouvelle constitution sont claires. L’article 6 - Titre I sur : la consolidation de l’égalité entre hommes et femmes, l’ article 19 - Titre II sur : la parité et la lutte contre toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et vise aussi la création d'une «instance pour l'égalité, la parité et la lutte contre la discrimination» et d'un «Conseil pour la famille et l'enfance», et l’article 30 - Titre II sur : l’égalité des chances entre hommes et femmes.
Mais et malgré ces avancées juridiques et cette dynamique politique, la participation des femmes à la politique reste en deçà de nos aspirations. Les lois sont très progressistes. Elles disent ce qui devrait normalement être et non ce qui existe réellement, car la réalité est toute autre. L'émancipation politique de la femme dépend donc de l'évolution des mentalités, de l'arrêt de la dominance de la culture masculine, de la réorganisation des rôles de genre, de l'égalité des sexes, des efforts de la société civile, et du renouveau de l'éducation nationale qui doit intégrer l’approche genre dans ses programmes.
Almaouja.com - Il faut reconnaître pourtant que la situation de la femme a beaucoup changé comme l'on voit désormais beaucoup de jeunes femmes étudiantes à la Faculté ?
HB : Le Maroc a connu de profondes mutations. La participation des femmes à différentes luttes politiques et sociales leur a permis d’être présentes dans différentes sphères des champs culturels, économiques et sociaux. C’est leur participation aux élites politiques, locales et nationales, et au processus de prise de décision qui demeure faible.
Almaouja.com - Comment parvenir au stade où la femme serait effectivement plus impliquée dans la vie politique locale ?
HB : Pour les élections de 2009, le gouvernement marocain s'était engagé à augmenter la représentation politique des femmes au niveau local. Dans cet objectif, il a lancé une campagne nationale d'information et de sensibilisation intitulée "Les femmes dans les communes : un moteur de la gouvernance locale"
L’ancien gouvernement avait pris deux mesures :
La 1ère : la discrimination positive avec l'institution d’un quota de 12% réservé aux femmes, en direction des partis politiques. Cette mesure a permis un progrès dans la représentativité politique locale des femmes. En effet, sur les 20.326 candidatures féminines, 3.424 femmes ont été élues conseillères aux élections communales, soit 27 fois plus de conseillères qu’en 2003 où elles occupaient seulement 127 sièges, soit 0,50% !
La 2ème : la création d’un Fonds d’appui pour la promotion de la représentativité des femmes. Ce fonds profite aux projets présentés par les partis politiques et par les associations œuvrant dans le domaine de la promotion de la représentativité féminine et de la bonne gouvernance
Ensuite, il y eu des avancées importantes sur le plan juridique, notamment au niveau de la charte communale a laquelle ont été apportées les modifications suivantes pour encourager les femmes à se présenter aux élections locales :
- Création auprès de conseil communal d’une commission consultative dénommée "commission de la parité et de l’égalité des chances" dans la loi 17-08 qui modifie et complète la charte communale.
- Prise en considération de l’approche genre dans la démarche participative de l’élaboration du plan communal de développement : article 36 de la loi 17-08.
Toutes ces mesures ont permis le renforcement de la représentativité féminine dans la politique locale. Ces avancées juridiques offrent aux femmes des opportunités pour participer à l’élaboration des politiques publiques locales. Et le citoyen s’habitue donc à voir des femmes dans l’espace politique.
Au terme du mandat précédent de 2003 à 2009, le Ministère de l’Intérieur avec la coopération du Ministère de la Famille, de l’Enfant et du Développement Social, a procédé à une évaluation du rendement et de l’impact de la participation de la femme à la chose locale et ont donc choisi mon expérience en tant qu’élue locale avec 4 autres expériences entre 127 élues locales marocaines. Ces expériences ont été choisies en raison de leur importance et de leur pertinence et du changement de vision qu’elles ont apporté à la gestion de la chose locale. Ces 5 expériences sont distribuées sur support informatique aux associations nationales pour la prospection et l’incitation d’autres femmes à se porter candidates.
Les qualités de la femme sont des atouts qui serviront toute la collectivité
Almaouja.com - Quelle serait donc la valeur ajoutée de voir une femme accéder aux responsabilités publiques locales ?
HB : Le 1er constat est que les femmes sont porteuses de changement. Comment ?
- Les femmes pensent autrement que les hommes. Elles sont ainsi capables de produire de nouveaux substituts politiques, économiques et sociaux. Cela veut dire que les femmes sont aptes à renouveler la prise de décision. C’est là l’enjeu principal puisque cela revient à ne pas reproduire les mêmes "politiques masculines".
- La présence des femmes au sein des communes veut dire selon moi : écoute, communication, conciliation, équilibre et médiation.
- La femme peut initier une construction plus équilibrée de la société, et pour cela, la décision publique au niveau local doit être équitablement répartie entre femmes et hommes.
- L’implication de la femme ressuscite en elle le côté créatif, le savoir et le savoir-faire, car elle est constamment en défi vis-à-vis d’elle même.
- L’élue locale peut produire des politiques transversales qui prennent en compte les besoins différenciés de tous les citoyens et qui garantissent l’enrichissement pour tout le monde sur le même pied d’égalité.
- La femme peut faire intégrer l’approche genre dans toutes les activités de la municipalité et principalement dans les politiques se rattachant à la vie quotidienne des citoyens et élaborer des plans d’actions pour instaurer une culture d’égalité et de parité.
En résumé, les femmes prennent plus facilement en considération les besoins de tous et surtout de tous ceux qui sont oubliés. Il est vrai encore que les femmes ne s'impliquent pas aussi facilement dans des affaires de corruption. La femme enfin est plus minutieuse, plus patiente et persévérante dans son travail. Ces qualités sont des atouts qui serviront la collectivité.
Almaouja.com - Pouvez nous expliquer comment vous aviez fait vivre ces convictions lorsque vous étiez présente au Conseil Municipal de Ouarzazate ?
HB - Mon parcours politique était sous tendue par 4 principes dont le premier aurait pu me servir de devise : "la ville au service de l’égalité et de l’équité".
En effet, l’espace local et régional sont les lieux par excellence où doivent être exercées l’égalité et l’équité. Tous les acteurs locaux (élus, autorité, services extérieurs, société civile et autres…) doivent construire cette égalité dans tous les domaines de la vie quotidienne, l’habitat, le transport, la santé, l’éducation, la vie professionnelle, les loisirs… la femme étant incontestablement plus concernée par le quotidien que l’homme.
Mon travail s'est concentré pour que l’égalité de droit devienne une égalité de fait et d’action. Je donnerai un petit exemple : quand la piscine municipale a été opérationnelle, il n'y avait que des hommes qui y accédaient ! J'ai donc pris l'initiative de consacrer deux jours de la semaine pour un accès réservé aux femmes.
Le deuxième principe est l'approche participative.
Ce principe exprime la nécessaire mise en relation entre les élus et le tissu associatif local. Nous vivons en effet dans le même territoire, et donc nous vivons les mêmes problèmes et devrions avoir les mêmes objectifs. J’ai pour ma part toujours veillé au développement et à la consolidation de cette relation durant tout le mandat, ce qui m’a valu le titre d’interlocutrice entre le Conseil Municipal et ses partenaires locaux. Cette approche participative n’était pas obligatoire dans la loi de la Charte Communale de juin 2002, et je l’ai adopté dans deux projets importants de la commune : la Planification stratégique et participative et le Forum de la ville. Cette manière de considérer l’autre, de le consulter, de penser et de travailler avec lui permet aux acteurs locaux de s’approprier tous les projets de la commune dans un esprit de convergence et de consensus. La commune se sentait à l’aise et à l’abri des conflits internes et externes.
Aujourd'hui la démocratie participative est rendue obligatoire pour tout processus de développement par la nouvelle constitution de 2011. La démocratie représentative doit absolument se réconcilier avec la démocratie participative. On dit que la politique est aveugle, ses yeux sont les agents de développement !
Le troisième principe qui a guidé mon action politique était la culture.
La promotion de la chose culturelle était et demeure mon cheval de bataille. J’étais Présidente de la Commission chargée des Affaires Economiques, Sociales et Culturelles au Conseil Municipal de Ouarzazate. A cette commission, j’ai introduit des hommes et des femmes non élus et nous avons élaboré ensemble une stratégie culturelle de haut niveau en synergie avec d’autres associations locales et nationales, étant profondément convaincue que la culture est à la fois le pilier, le droit chemin et la soupape de sécurité pour le développement.
Enfin, le dernier des principes directeurs est la communication.
Lors de toutes les occasions, j’ai présenté la Commune d’une manière positive et donné d’elle une image objective pour la réconcilier avec son entourage et ses adversaires. La Commune doit être un espace naturel de rencontre, de concertation et de transparence.
Almaouja.com - Qu'est ce qui pourrait faire accélérer la reconnaissance à Ouarzazate du rôle de la femme ?
HB : J'ai déjà fait ma part en étant la première femme élue au conseil de Ouarzazate et je ne cesse de porter témoignage de mon engagement comme je l'ai fait récemment à Tinghir et dans d’autres villes ou en Belgique aussi. Je suis fière de ce que j'ai réalisé. J’estime que j’ai relevé le défi de construire cette route pour les femmes à venir.
C'est une question qui concerne les partis politiques et toute la société civile. Il faut un leadership féminin qui permette une meilleure mobilisation des femmes. Il faudrait peut être une femme au poste de Présidente de Commune et des femmes dans les hauts postes de l'administration territoriale. La situation de la femme ne peut changer que si les mentalités changent.
Les lois, comme la nouvelle Constitution, le stipulent désormais, mais rendre ces lois effectives, là est le vrai défi.
Créé le mardi 9 avril 2013 19:30
SOURCE WEB Par la rédaction Almaouja
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