Mohammed Rherras: "La formation professionnelle attirera les meilleurs élèves"
Quelques jours après la validation royale d’une feuille de route ministérielle pour développer la formation professionnelle, Médias24 s’est entretenu avec le secrétaire d’Etat chargé de la formation professionnelle. Selon Mohammed Rherras, la création des 12 cités régionales des métiers et des compétences permettra d’offrir, à terme, de vrais débouchés aux jeunes dans le secteur privé et in fine feront baisser leur taux de chômage.
Médias24 : Votre ministère lance un chantier très ambitieux avec 3,6 MMDH consacrés à la construction de 12 cités régionales des métiers. Sur quels budgets seront-ils prélevés?
Mohammed Rherras : Il faut d’abord préciser que le porteur de ce projet est l’OFPPT afin de pouvoir capitaliser sur l’importante expérience accumulée par cet organisme public qui est le 1er opérateur dans le domaine la formation professionnelle
Les 3,6 milliards seront financés par l’Etat, les régions, le fonds Hassan II pour le développement économique et social et enfin par l’OFPPT, sachant que le budget de chaque cité sera déterminé par la taille et la population de la région où elle sera implantée.
-Combien de temps a-t-il fallu pour préparer la feuille de route et par qui a-t-elle été élaborée?
-C’est l’aboutissement d’un processus qui a démarré après le discours royal du 30 juillet 2018.
Après quoi, il y a eu constitution d’une commission ministérielle composée des acteurs de la formation professionnelle dans une dizaine de secteurs formateurs (agriculture, tourisme, équipement …).
Ces départements ont travaillé sur cette plateforme depuis près d’un an et l’aboutissement a eu lieu la semaine dernière quand le ministre Amzazi l’a présentée devant Sa Majesté le Roi.
-De quelle expérience vous-êtes-vous inspirés et est-ce une première en Afrique ?
-Nous n’avons pas inventé la poudre. Il y a donc bien évidemment des benchmarks qui ont été réalisés pour trouver des expériences réussies en matière de formation professionnelle.
Nous nous sommes inspirés de l’Allemagne et de pays asiatiques comme la Corée du Sud, mais nous avons proposé un modèle propre au Maroc et qui, selon moi, n’existe pas encore sur notre continent.
-Lors de la présentation de la feuille de route, vous avez parlé de mise à jour de l’offre de formation par la restructuration et la diversification, l’aménagement et l’extension de centres et enfin de renouvellement des équipements. Qu’est-ce que cela veut dire exactement?
-En dehors des 12 cités des métiers qui vont être créées, tous les centres de formation professionnelle qui existent au Maroc devront mettre à niveau leur système de formation.
-Qui sont-ils ?
-Les instituts supérieurs technologiques (IST), les instituts de technologie appliquée (ITA) mais également l’ensemble des établissements publics de FP qui dépendent d’autres départements (Ecole hôtelière de Tanger…).
Avec cette mise à niveau, toutes les formations devront désormais répondre à des besoins réels du marché du travail.
-Ce n’était donc pas le cas auparavant ?
-Exact. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons beaucoup de chômeurs car il n’y avait pas de matching entre la demande réelle du marché et la formation.
D’un autre côté, nous n’avons pas su promouvoir l’esprit d’entrepreneuriat, sachant que l’Etat ne peut plus se contenter de former que des fonctionnaires ou des employés publics.
Le nombre net d’emplois créés chaque année ne dépasse pas 90.000 postes alors que des centaines de milliers de jeunes qui sortent de l’université, d’écoles publiques ou privées et de la formation professionnelle ne trouveront pas nécessairement d’emploi ni dans le secteur public ni dans le privé.
-C’est une alternative pour remédier au taux de chômage catastrophique des jeunes diplômés ?
-C’est vrai sachant que de nombreux employeurs ne trouvent pas de profils adaptés à leur offre.
-Dans l’hôtellerie par exemple ?
-Entre autres, mais aussi par exemple dans le secteur privé de la santé qui crée 5.000 postes par an. Ainsi, hormis les médecins, sages-femmes et infirmières, on ne forme pas dans les autres métiers du paramédical alors que la demande est très élevée.
-Justement quand seront fonctionnelles les 12 cités censées créer ces filières inexistantes ?
-La feuille de route prévoit d’ouvrir 4 cités à la rentrée 2021, 4 en septembre 2022 et enfin 4 dernières en 2023. En d’autres termes, les 12 seront opérationnelles en 2023.
-A qui sont-elles destinées, aux lycéens et étudiants en décrochage scolaire ou universitaire ?
-Je n’aime pas parler de jeunes en situation d’abandon scolaire car la formation professionnelle n’est pas le choix de l’échec mais bien au contraire doit être celui de la réussite.
La création de ces centres est censée rendre la formation professionnelle plus attractive pour les jeunes et pour leur famille. Ce seront des cités d’excellence où à l’instar des grandes écoles ou universités, les bacheliers seront en compétition pour y accéder.
Elles dispenseront également des formations de courte durée (4 mois) pour des jeunes issus du secteur informel qui désirent s’insérer dans le secteur formel.
-Concrètement, qu'offrez-vous à un plombier qui propose ses services dans la rue ?
-Pour qu’il puisse s’insérer dans le secteur formel, il doit disposer d’un minimum de savoir. Sachant qu’il a déjà les compétences techniques requises, ces cités vont lui inculquer des outils importants pour devenir un chef d’entreprise avec pignon sur rue au lieu de rester un travailleur à la tâche.
-L’orientation professionnelle des jeunes sera obligatoire ou au choix ?
-Rien ne sera imposé et tout dépendra du choix du jeune car la seule chose obligatoire est l’école. Aujourd’hui, nous sommes à la veille d’une réforme très importante qui donnera l’occasion aux jeunes de découvrir dès l’école primaire les métiers manuels.
L’orientation se fera donc à partir du primaire (6ème année) pour que l’enfant sache s’il veut faire du sport, de la mécanique ou continuer dans le système d’éducation classique.
-N’y a-t-il pas un risque de faire de la FP une sous-filière réservée aux cancres et peut-être même de mal orienter des enfants intelligents qui peuvent poursuivre des études classiques ?
-Malheureusement, dans notre culture, nous avons une perception négative de la formation professionnelle.
Il faut changer cette mentalité où les gens la perçoivent comme un dépotoir réservé aux jeunes qui ont échoué dans le système classique alors que les statistiques montrent que les jeunes qui créent des entreprises ou décrochent plus facilement des emplois sont souvent des lauréats de la FP.
-Cette image négative vient peut-être du fait que la FP destine à des métiers peu lucratifs.
-C’est faux car il y a une forte demande de professionnels dans les secteurs automobile ou aéronautique où les salaires sont importants. Idem pour le secteur de la santé où les rémunérations sont très attractives.
De plus, il y a aussi la possibilité de créer son entreprise qui n’est pas donnée aux diplômés des autres filières classiques.
-Peut-on avoir une idée des filières qui seront enseignées ? Par exemple, pour une ville de pêche comme Dakhla, quelles formations seront liées à ce type d’activité ?
-Pour répondre à votre question, il faudra attendre les résultats des études d’ingénierie de l’OFPPT
-Hormis les formations de courte-durée, combien dureront les autres et quels seront les diplômes?
-Pour les études supérieures, ce seront des cursus normaux de un ou deux ans avec un diplôme Bac+1 ou Bac+ 2 qui correspond à un BTS (Brevet de technicien spécialisé).
Avant, les études professionnelles seront sanctionnées par un baccalauréat professionnel mais au total, sachant que le cycle de FP peut commencer au collège ou au lycée, certains auront des formations spécialisées qui auront duré 7 ou 8 ans.
-Y aura-t-il des passerelles possibles pour ceux qui veulent rejoindre un diplôme universitaire ?
-C’est en effet une des nouveautés de cette réforme qui permettra de passer d’un système à l’autre. Le détenteur d’un diplôme Bac+2 professionnel qui est l’équivalent d’un DEUG pourra postuler à une licence ou à un master. Idem pour ceux qui ont un baccalauréat professionnel pour la faculté.
-Concernant la gouvernance des cités, pourquoi mettre un professionnel à leur tête ?
-Le directeur de chaque cité sera recruté après un appel à candidature comme cela se fait pour tous les établissements publics.
La nouveauté du système repose sur le fait que ce sera un professionnel en mesure de répondre aux besoins réels des entreprises de l’écosystème régional et rompre avec les pratiques du passé en particulier avec l’esprit de fonctionnariat.
-Qui seront les enseignants, d’où viendront-ils, seront-ils des fonctionnaires ?
-L’Etat continuera à fournir des professeurs pour les matières du tronc commun (communication, mathématiques, informatique, langues étrangères …) mais l’apprentissage des matières techniques se fera par des praticiens.
-Combien d’enseignants seront recrutés pour les besoins des 12 cités régionales des métiers ?
-Là-aussi, c’est le résultat des études d’ingénierie de l’OFPPT qui nous le dira. Idem pour le nombre d’élèves qui constitueront la première promotion des 12 centres de formation professionnelle
-Pour conclure, l’objectif final est donc de faire baisser le taux de chômage des jeunes ?
-Sachant que dans le monde entier, le secteur public n’est plus en mesure d’embaucher comme avant, la seule issue est la promotion de l’entrepreneuriat privé à travers des formations pointues.
C’est donc la solution idoine d’aujourd’hui et de demain pour vaincre le chômage des jeunes.
Le 9 avril 2019
Source web : medias24
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