Enquête: Voici ce que l'on sait de l'émigration irrégulière à partir du Maroc
Médiatiquement, l’automne 2018 aura été celui de l’émigration irrégulière. On a vu des Go-Fast arriver à la nuit tombée sur des plages du Nord et inviter les Marocains à prendre gratuitement place pour un voyage (clandestin) vers l’Espagne, ne jeune Marocaine mortellement blessée suite à l’interception d’un Go-Fast par la Marine Royale, des jeunes qui se filment pendant ou après leur voyage vers les terres ibériques. Médias24 a mené l'enquête pour essayer de démêler le vrai du faux.
Que cachent ces événements arrivés en 2018 ? Que signifient-ils ? La jeunesse marocaine se rue-t-elle vers l’émigration irrégulière ? Ou au contraire s’agit-il uniquement d’une amplification sur Facebook ? les réseaux de traite d’êtres humains et de migration irrégulière sont-ils en train de coordonner ou de fusionner avec les réseaux de drogue ?
Ci-dessous, Médias24 essaie de démêler le vrai du faux.
Après des déplacements dans le Nord du Maroc, des entretiens avec plusieurs responsables sécuritaires à Tanger, Tétouan et Bab Sebta, ainsi qu’avec Khalid Zerouali, wali directeur de la Migration et de la surveillance des frontières au ministère de l’Intérieur, voici un round-up de ce que l’on sait avec certitude ainsi que les réponses à quelques-unes de ces questions.
>Les flux de migration irrégulière ont considérablement changé
“L’ossature de l’architecture des réseaux de trafic est restée intacte. Toutefois, il a été constaté le recours accru aux nouvelles technologies de l’information, à l’utilisation frauduleuse des documents de voyage (Look alike), aux gonflables de grande capacité (de 70 à 80 personnes), ainsi que les hors-bords et les go fast“ (Khalid Zerouali).
De même, les opérations d’escroquerie à la migration sont plus nombreuses, nous déclarent des sources de la DGSN rencontrées dans le Nord du Maroc.
Enfin, les usagers des filières de migration irrégulière sont en majorité subsahariens. Les Marocains semblent légèrement plus nombreux que l’année précédente. Surtout, il y a une hausse du nombre de ressortissants algériens tentant l’entrée à Sebta ou Melillia en utilisant de vrais-faux passeports marocains.
>Le phénomène “Look alike“ (apparence similaire)
A la base, un vrai passeport, dont le titulaire est domicilié dans les régions du Nord, proches de Sebta ou Melillia. Ces personnes ont le droit d’entrer dans l’une ou l’autre de ces villes sans visa.
Le précieux document de voyage est obtenu par des voies détournées. Des filières de trafic, de vol ou de vente de vrais passeports ou cartes d’identité ont été mises à jour par la police.
Ensuite, il y a deux cas de figure :
-ou bien l’auteur de cette opération se contente d’usurper l’identité du titulaire du passeport en jouant sur une ressemblance physique réelle ou supposée. Voire en se grimant comme le titulaire du passeport (cheveux, barbe, moustaches…).
-ou bien une opération de falsification est menée, en changeant la photo figurant sur le passeport.
Selon nos sources, la police marocaine refoule quotidiennement 6 à 10 ressortissants algériens à Bab Sebta et 15 à 20 à l’entrée de Melillia, pour tentative d’usurpation d’identité ou falsification de passeports.
Une organisation sévissant des deux côtés de la frontière algéro-marocaine a été récemment démantelée. 4 organisateurs ou complices ont été arrêtés au Maroc et 8 autres ont été identifiés, dont quelques-uns sont des rabatteurs en Algérie.
Cette année 2018, on a découvert également que Sebta et Melillia sont devenues des bases de départ d’émigration vers l’Europe. Ce fut le cas du groupe de 18 personnes dont faisait partie la pauvre Hayat, cette jeune Marocaine qui a été tuée accidentellement dans un tir de sommation par la Marine royale le 25 septembre 2018. Hayat se trouvait dans un go fast, parti de Sebta avant de tenter de rejoindre l’Espagne en passant par les eaux marocaines.
>Les opérations “classiques“
Les opérations classiques, il y en a toujours. Avec une recrudescence du nombre d’affaires d’escroquerie à la migration qui sont devant les tribunaux.
Toutes sortes de scénarios sont utilisées. Mais en gros, l’objectif est de faire payer des candidats à la migration, en leur faisant croire, soit qu’on va leur faire traverser la frontière, soit qu’on l’a réellement fait. Les victimes citent des ballades en barques ou canots sans vraiment quitter les eaux marocaines, de nuit, pour mettre pied à terre dans un bois au Nord du Maroc, en prétendant qu’il s’agit de l’Espagne.
Autre grand classique : les cachettes dans les moyens de transport, camions généralement mais parfois voitures de tourisme. Ces tentatives individuelles peuvent aller jusqu’à l’usage d’une chambre à air pour traverser le Détroit.
La voie maritime reste cependant la plus empruntée : les bateaux et, plus qu’avant, le recours aux gonflables à grande capacité. Le go fast reste d’un usage très limité, hormis les épisodes de septembre 2018.
>Y a-t-il hausse des opérations d’émigration illégale ?
Une réponse précise est par définition impossible car il s’agit d’opérations clandestines où les candidats à l’émigration ne sont pas uniquement des Marocains. De plus, d’un indicateur à l’autre, les chiffres sont contradictoires ou sans cohérence les uns avec les autres. La perception générale reste celle d’une recrudescence des tentatives d’émigration illégale à partir du Maroc.
Le Maroc a été également soumis en 2018 à une forte pression migratoire par le déplacement des routes méditerranéennes vers le Maroc après le relatif tarissement des voies qui passent par la Libye ou la Turquie.
Voici donc quelques éléments de réponse :
- Entre le 1er janvier et le 9 septembre 2018, 32.022 migrants irréguliers sont arrivés en Espagne par la mer, dont plus de 6.000 Marocains. Ils étaient 2.683 Marocains au 10 septembre 2017, selon des sources espagnoles. La hausse est donc de 123% ou 3.317 migrants supplémentaires. Ces chiffres proviennent des recensements réalisés par les autorités espagnoles dans les centres de rétention de ce pays, après l’interpellation des migrants entrés par la voie illégale. Les autorités espagnoles communiquent très peu leurs statistiques. Il n’y a donc aucun détail.
A fin octobre 2018, toujours selon les chiffres espagnols officiels, 10.816 jeunes Marocains étaient arrivés en Espagne d’une manière irrégulière et avaient été placés dans des centres de rétention. L’année précédente pour la même période, 5.391 cas étaient recensés. Le nombre de cas a donc doublé selon ces sources.
L’automne 2018 a été marqué par une forte recrudescence des opérations irrégulières de migration vers l’Espagne à travers le Détroit malgré le mauvais temps et presque tous les jours, la Marine royale porte assistance à des embarcations en difficulté.
-si l’on se base sur le nombre de migrants refoulés d’Espagne :
Entre le 1er janvier et le 10 octobre 2018, selon des sources officielles marocaines, 1.092 Marocains ont été refoulés par l’Espagne dont 10 mineurs et 21 femmes. La majorité sont des jeunes de 18 à 25 ans, dont 80% sont issus du milieu rural.
Les autorités marocaines estiment toutefois que seulement la moitié de ces Marocains refoulés sont des migrants irréguliers. Les autres l’ont été, selon nos sources, pour diverses affaires de justice par exemple de trafic de drogue ou même pour dépassement de la durée légale du séjour après avoir accédé au territoire espagnol par la voie normale.
-le nombre de réseaux démantelés : 45 réseaux de traite d’êtres humains ont été démantelés en 2018 par les services relevant de la DGSN, jusqu’à la mi-décembre. Dans ce cadre, 603 organisateurs de migration illégale ont été arrêtés. En 2017, 294 organisateurs avaient été arrêtés.
Si on agrège toutes les statistiques (DGSN, Gendarmerie royale et gardes-côtes), le nombre d’opérations avortées par les services de sécurité marocains jusqu’en septembre 2018, est de 54.000 tentatives, ce qui correspond à plusieurs centaines d’opérations. 1.900 embarcations ont été saisies et 74 réseaux criminels démantelés.
Chaque réseau comprend un organisateur, 2 à 3 dirigeants ainsi que des rabatteurs dans plusieurs villes.
-L’indice de migration potentielle : les Marocains un peu moins nombreux à vouloir émigrer (Gallup). Les chiffres ici concernent les années 2015-2017.
Le centre de recherche américain Gallup a publié récemment un nouveau rapport sur les intentions de migrer, intitulé: L'indice de migration potentielle (PNMI). Le score du Maroc s'est amélioré par rapport à l'indice de 2010-2012.
Le document se base sur des entretiens effectués auprès d'un demi-million d'adultes (453.122) dans 152 pays, dont le Maroc, entre 2015 et 2017.
Les personnes interviewées ont répondu aux questions suivantes:
- Dans l’idéal, si vous en aviez l’occasion, aimeriez-vous vous installer durablement dans un autre pays ou continuer de vivre ici?
- Si vous souhaitez déménager, dans quel pays souhaiteriez-vous vivre?
Au Maroc, l'indice de migration potentielle est de -19%. Le Maroc pourrait ainsi perdre 19% de sa population adulte, si toute personne souhaitant s'installer à l'étranger pouvait le faire librement. Ce chiffre, qui était de -23% entre 2010 et 2012, a connu une amélioration. L'intention des Marocains de migrer a donc diminué durant la période 2015-2017 par rapport à 2010-2012. Cet indice est plus élevé en Tunisie (-23%) et en Algérie (-25%).
La plupart de ceux qui souhaitent émigrer sont des jeunes : le Royaume pourrait perdre 29% de ses jeunes, (âgés entre 15 et 29 ans) en cas de migration libre, selon Gallup.
>Les chiffres officiels marocains : +9%.
“Si on fait une corrélation entre le nombre des personnes reconnues marocaines et éloignées d’Espagne vers le Maroc pour séjour irrégulier, une augmentation d’environ 9% a été enregistrée en 2018 par rapport à la même période de l’année précédente à la mi-octobre“, précise Khalid Zerouali, wali directeur de la Migration et de la surveillance des frontières au ministère de l’Intérieur, dans un entretien accordé à Médias24.
>Fausses images, fake news
Les images et vidéos véhiculées sur les réseaux sociaux ne sont pas toutes prises au Maroc. Certaines proviennent de Libye, de Tunisie ou d’Algérie.
Le phénomène des go fast, embarcations hyper rapides utilisées pour le trafic de drogue, a été fugace. Seuls 4 cas à notre connaissance, ont été identifiés.
>Les principaux points de départ du Maroc
A partir de Mirleft vers Las Palmas.
A partir de Mehdia, Larache, My Bousselham vers l’Espagne.
Les points de passage vers Sebta et Melillia.
>Combien coûte une traversée
Le prix payé par les candidats n’est pas un prix fixe. La moyenne, selon nos sources, est de 40.000 DH. Autrement dit, une petite opération peut rapporter de 800.000 à 1 million de DH.
Le 07 janvier 2019
Source web Par Médias 24
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