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[+212] Un aller simple hors du Maroc

[+212] Un aller simple hors du Maroc

"Un matin, tout bascule. Et je réalise que je ne suis pas taillée pour être ici."

La rubrique +212 est un espace de dialogue et d’échange, une fabrique d’idées. Elle rassemble un faisceau de regards sur le Maroc, formulés de l’extérieur vers l’intérieur par des plumes expatriées, exilées, émigrées, nomades, membres de la diaspora marocaine à l’étranger.

HONG KONG - Quand on m’a demandé de contribuer à +212 j’ai réfléchi à l’histoire de mon rapport à la terre-mère, quasi-sainte pour certains. Il m’a semblé naturel de raconter pourquoi je l’ai quittée, et d’expliquer la raison d’un retour peu probable: la difficulté - ou dans mon cas l’incapacité - d’y vivre, en tant que femme libre, et émancipée. Que de mots-clés dans l’ère du temps me direz-vous. Soit. Ceux qui me connaissent savent que je vis au gré de mes choix, et mal les contraintes d’une société rongée d’un mal qui peut peut-être sembler invisible ou peu conscientisé.

Sur la terrasse de l’espace de coworking où j’ai élu domicile à Hong Kong, j’ai trouvé mon inspiration pour ce texte. Au départ, je ne savais pas si écrire mon histoire serait réellement utile. J’ai plutôt eu un rapport assez réservé, voire pudique vis-à-vis de la presse, mais mon exposition aux médias en dehors de nos frontières m’a aidée à dépasser cette méfiance presque “culturelle”. Les idées ont commencé a envahir mon esprit: une fontaine d’angles et d’anecdotes, de souvenirs d’enfance, d’adolescence, et ceux de mon retour au Maroc ont très vite pris le dessus. Je raconte ici l’histoire d’un parcours multi destinations, me menant encore et toujours, vers un aller-simple.

En aout 2007, à l’âge de 19 ans, j’entame des études d’hôtellerie à Marbella, à tout juste 5 heures de voiture de la capitale. J’avais les idées plutôt claires, et ma démarche était pragmatique plus que passionnée ou altruiste: rentrer au Maroc avec mon diplôme en poche pour participer au développement du tourisme, au vu des gros projets en cours à l’époque. Pendant les quatre ans qui s’en suivent, je n’ai pas connu l’hiver. Des Seychelles à l’Indonésie, en passant par la Floride et Singapour, je venais d’être piquée par la mouche du “Wanderlust”, et embarquée dans quatre des plus belles années de ma vie - qui me changeront, graduellement, et à jamais. Le voyage avait toujours été une passion, avec une grande différence entre expériences de vacances, et expatriation. Hors des sentiers battus. Les miennes, je les ai vécues en dehors des destinations “classiques” de la diaspora marocaine et dans un melting-pot qui m’a forcée à faire tomber les codes, les masques et à me rapprocher de gens différents, à dépasser les limites de mon propre conditionnement culturel. Ces changements d’environnements, radicaux et réguliers, m’ont fait un peu passer de l’autre côté du spectre et m’ont appris que j’étais désormais capable de me distancer de ma culture, de l’aborder différemment. Grâce à mes vies a durée déterminée dans des pays improbables, l’adulte que je suis devenue ne savait plus trop si elle était capable de retourner chez elle. J’étais devenue SDF, dans le plus beau sens du terme.

Sans surprise, je deviens passionnée de communication, et me retrouve à accepter mon premier emploi de chargée de marketing et communication, en Egypte, où je suis témoin de l’élection du président Al-Sissi. Je n’y ferai pas long feu, lassée de la misogynie ancrée dans les esprits, et presque réconfortée de la “chance” que nous avions au Maroc en comparaison. Un bref passage par Dubaï me désoriente. Comme étourdie par un mélange de cultures arabes que je ne comprenais pas, j’ai le sentiment que la majorité est vide, et la norme bien creuse. J’avais, jusque-là, vécu si pleinement, que je n’étais plus faite pour me contenter d’un semblant de joie, de liberté. Sur les conseils d’un collègue américain, je m’essaye au nomadisme digital. Je m’installe à Bali où très vite, je me retrouve à accompagner de jeunes entreprises dans leurs démarches de branding et marketing. Avec cette nouvelle vie surgit un besoin fort de reconnecter avec mon pays. C’est en 2016 que me vient l’idée de créer une agence centrée sur les startups pour les accompagner stratégiquement au niveau de leur image de marque et communication. Je voulais créer cette agence au Maroc et reprendre ma vie de nomade digitale. C’est à ce moment que je réalise que mon père, avec lequel j’ai une relation on ne peut plus importante, me cachait une opération imminente. Cette prise de conscience se transforma vite en peur, et me voici qui régresse vers l’enfance. Inquiète à l’idée de le perdre je prends la décision de rentrer au Maroc savourer chaque instant qu’il me restait avec lui.

J’ai donc essayé.

Depuis mon départ en 2007, mes visites au Maroc se résumaient a quelques semaines par an. Je réalise rapidement que l’éducation privilégiée que j’ai reçue ne m’a pas du tout préparée à affronter la violence de ma propre société, qu’elle m’a peut-être mieux préparée au monde qu’au retour au bercail. Ce décalage rend mon séjour difficile à décrire, presque surréaliste. Je me suis retrouvée dans un tourbillon de non-sens. Je me rappelle que ma prise de conscience a été alimentée par les divers débats du moment, dans des groupes d’amis plus ou moins proches: du scandale “Much Loved” à la première inculpation de notre Saad Lamjarred national et j’en passe. Je regardais autour de moi, choquée des points de vue et de la politique de l’autruche qui régissaient les esprits. Et puis toutes ces remarques, sur comment une “femme” devrait se comporter. Je me voyais dépossédée de toutes les choses qui faisaient de moi qui j’étais: silencieuse? Je n’ai jamais su l’être. Grande gueule? Absolument.

Dans ma quête d’extériorisation, je me demande pourquoi je suis aussi sensible à la condition des femmes, à ma condition de femme au Maroc/ Je me retrouve donc à ouvrir une boîte de Pandore dans laquelle j’avais soigneusement rangé des souvenirs pénibles, qui resurgissent.

Je réalise que je n’ai pas vraiment eu le choix. Je ne pouvais qu’être consciente, puisque très jeune je me suis retrouvée exposée à une procédure de divorce qui n’était que peu amiable. Ces séances devant un juge méprisant laissaient cette femme peinée, et sans d’autre choix que celui de se tourner vers tous les acteurs sociaux possibles pour se faire entendre. Puis son engagement auprès d’associations pour accompagner des victimes de violence, et du système, dans leurs procédures. Ma mère n’a eu de cesse de nous répéter qu’il n’y avait rien qu’un homme pouvait faire, qu’une femme ne pouvait pas. Aujourd’hui l’eau a coulé sous les ponts, mais il n’en est pas moins que je l’ai connue, cette pseudo justice familiale et je ne la souhaite à personne.

C’est ainsi que je me retrouve confrontée a ces démons que j’avais, depuis 10 ans, presque oubliés, prenant conscience du mal qui rongeait les esprits, même les plus “ouverts” et “éduqués”. La violence de la rue, quand je m’aventurais à pied, ne serait-ce qu’à l’épicerie du coin. La violence des propos de représentants des institutions de notre pays, ces hommes et femmes que les citoyens lambda prennent trop souvent comme exemple. Le pouvoir que certains s’accordaient, sur les corps et décisions des femmes. Et l’interdiction, presque divine, de pouvoir s’exprimer à ce propos, infligée par la majorité des mâles qui m’entouraient - puisque “le Maroc, c’est le plus beau pays du monde, et il n’y a rien à en redire”.

Un matin, tout bascule. Je réalise que je ne suis pas taillée pour être ici - avec le cœur serré, je m’approche de mon père et lui annonce: “Papa, il est temps pour moi de prendre un aller simple”. S’en suit un silence - le genre de silence qui ne vient que d’un mi-sage, mi-fou, qui connait très bien sa progéniture et qui, lui, savait depuis le départ que je ne ferai pas long feu. Et je me suis souvenue. Je me suis souvenue de ces quelques personnes que j’avais rencontrées durant mes séjours au Maroc et lors de ma tentative de retour, et qui, comme moi, se sentaient comme des Zèbres au royaume des Lions. Je me suis souvenue de l’apaisement qui survient naturellement quand on se sent moins seule.

Aujourd’hui à Hong Kong, c’est depuis ses hauteurs que je vis l’exil que je me suis moi-même infligée. Dans une ville où je me sens épanouie et libre. Une ville qui se veut une des plus sécurisées du monde, où je n’ai plus à regarder derrière moi quand je marche, de jour ou de nuit. Mais avec cet apaisement, vient le revers de la médaille: cette culpabilité, presque inexplicable, celle d’avoir choisi mon bonheur plutôt qu’une vie avec mes proches, ce sentiment d’avoir quelque part abandonné ma famille. Et puis je regarde, presque admirative, celles et ceux qui ont le courage d’aller à l’encontre des flux, en leur souhaitant tout le bonheur que je n’ai pas pu avoir, en terre mère, avec l’espoir qu’un jour, moi aussi, je me trouverai la force de rentrer.

Le 02 janvier 2019

Source web Par huffpostmaghreb

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