Les femmes font leur chemin en entreprise
Les métamorphoses du travail. Semaine 2/3. Quand les travailleurs changent de visage. Pendant trois semaines, « La Croix » explore les évolutions en cours dans le monde du travail. Cette semaine, enquête sur les tendances qui modifient en profondeur la population active.
Aujourd’hui, la place croissante des femmes dans les postes à responsabilités. La mixité parmi les cadres dirigeants est en augmentation dans les grands groupes français. Mais les femmes sont moins bien payées et restent toujours moins nombreuses dans les petites entreprises.
Les femmes font leur chemin en entreprise
Sarah Bouillaud pour La Croix
Isabelle Rongier envoie des fusées dans l’espace. Matheuse, elle a intégré Supaero dans les années 1980. « À l’époque, il y avait seulement dix filles sur près d’une centaine d’étudiants… » Elle est ensuite devenue la première femme ayant rang de directrice au Centre national d’études spatiales (CNES), avant de rejoindre ArianeGroup où elle est vice-présidente. Elle y dirige l’inspection générale : une équipe de 200 experts qui valide tous les choix techniques. Un parcours brillant qui n’a « pas toujours été facile », concède-t-elle.
Dans ce milieu très masculin, elle a fait partie des pionnières. Depuis, les choses ont bien changé. Chez ArianeGroup, il y a désormais 20 % de femmes parmi les ingénieurs. C’est une conséquence de la réalité démographique, car il y a plus de filles diplômées que de garçons : au niveau du master, 60 % des diplômés français sont des femmes.
Susciter des candidatures de femmes
C’est aussi le fruit d’une volonté des entreprises. Tous les grands groupes français font de réels efforts depuis une dizaine d’années pour accroître la mixité au sein de leur personnel, y compris dans les fonctions dirigeantes. Ils s’efforcent de susciter des candidatures féminines, de sécuriser le retour des salariées qui reviennent de congé maternité et, à compétence égale, de privilégier une femme en cas de promotion interne. Ils encouragent la création de réseaux de femmes dans l’entreprise où l’on réfléchit à ces sujets et où s’élaborent des plans d’action. Ils organisent des formations où les managers sont sensibilisés à ces enjeux.
« Notre objectif est d’arriver à 30 % de femmes parmi les cadres et ingénieurs et nous nous en approchons : nous sommes à 27 %. Et nous avons déjà doublé ce chiffre depuis 15 ans », raconte ce DRH d’une grande entreprise technologique. Pourquoi s’être engagé dans cette voie ? « La pression extérieure ne compte pas beaucoup. En réalité, on s’est surtout rendu compte que la diversité est une bonne chose. Dans les équipes, il y a moins d’ego. Les réunions ressemblent moins à un combat de coq, dit-il. Et dans les bureaux d’études, quand arrivent des femmes, les hommes commencent à se raser davantage et à manger moins de pizzas… »
Autant de femmes que d’hommes dans les recrutements de cadres
Les entreprises y voient aussi un intérêt pour attirer les meilleurs profils, alors que la guerre des talents est réelle. La féminisation des cadres est désormais massive en France. En 2013, pour la première fois, il y a eu autant de femmes que d’hommes qui sont devenus cadres, selon une étude de l’Insee parue en 2017 (1). « Cette parité observée est une grande première dans l’histoire de l’insertion professionnelle des jeunes : jamais les jeunes femmes n’avaient atteint ces positions professionnelles dans d’aussi grandes proportions », notent les auteurs de l’enquête.
La féminisation a changé les comportements et eu des conséquences positives, y compris pour les hommes. « Les hommes voient aussi ce que cela leur apporte. Par exemple sur l’équilibre du temps de vie. En France, on a tendance à faire du présentéisme. Mais lorsqu’on met en place le télétravail ou lorsqu’on interdit les réunions après 18 heures, les hommes en bénéficient également et finissent par le reconnaître. Ils apprécient, eux aussi, de pouvoir partir du travail à une heure décente. C’est important pour ceux qui, avec l’augmentation des divorces et des gardes partagées, s’occupent seuls des enfants une semaine sur deux », note Catherine Bonneville-Morawski, directrice générale du cabinet Eragina qui conseille les entreprises sur ce sujet.
Toujours 9 % d’écart de salaire à travail égal
Cependant, ces chiffres ne disent pas tout : « Il est vrai que la proportion de femmes cadres augmente. Mais il y a toujours une moindre valorisation des diplômes pour elles : par exemple, dans la banque, on a bien 50 % de femmes chez les cadres, mais dès qu’on monte dans la hiérarchie, chez les cadres dirigeants, la proportion n’est plus que de 15 % », relève Brigitte Grésy, secrétaire générale du conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
De plus, cette féminisation ne progresse pas partout à la même vitesse. Les femmes au niveau cadre sont nombreuses dans les professions du droit, de la santé, de l’enseignement supérieur, ou dans la fonction publique. Mais elles le sont beaucoup moins dans les métiers d’ingénieurs ou les entreprises numériques. Et on est encore loin de l’égalité salariale : l’écart de rémunération est de 9 % à travail égal et de 25 % sur l’ensemble d’une carrière, selon le ministère du travail. Le gouvernement s’apprête à obliger les employeurs à réduire cette différence.
Car il y a encore du chemin à faire pour que le monde du travail s’adapte à cette évolution finalement assez récente. Loin des grands groupes, les petites entreprises ne font pas le même effort en faveur de la mixité : « Un chef d’entreprise peut rédiger une annonce de recrutement qui induise des candidatures exclusivement masculines », relève Bénédicte Le Deley, secrétaire générale de l’Association nationale des DRH. « La réussite d’un recrutement féminin passe aussi par l’intégration de la personne. S’il n’y a pas de vestiaire réservé aux femmes dans les locaux, par exemple, il est certain que la nouvelle embauchée aura du mal à se sentir attendue, poursuit-elle. C’est pourquoi il faut que les chefs d’entreprise se forment ou au moins soient attentifs à cela. »
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Le chiffre
20 % des femmes entrées sur le marché du travail en 2010 occupaient un emploi de cadre trois ans après leur insertion professionnelle, soit exactement la même proportion que chez les hommes, selon l’Insee. Il s’agit, selon l’organisme, d’une grande première.
La précédente enquête datait de 1998 et, à l’époque, la proportion était de 13 % chez les femmes et 17 % chez les hommes. À l’embauche, la parité est donc atteinte aujourd’hui. Mais ce n’est pas le cas chez les cadres dirigeants qui restent majoritairement des hommes.
Le 27 novembre 2018
Source web Par La-Croix
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