Discours du Trône : Les préalables à une action sociale d’envergure de l’Etat marocain

L’endettement ne peut constituer une solution de long terme pour le financement des dépenses sociales. Dès lors, une gestion saine des finances publiques s’impose afin de dégager l’épargne budgétaire nécessaire pour prendre en charge les différents projets sociaux du gouvernement.
Mohamed MAHROUG
Ancien Directeur adjoint du Trésor chargé des financements extérieurs, ex-administrateur de la Banque africaine de développement.
Une fois de plus, le discours du Trône du 29 juillet 2018 a mis l’accent sur la politique sociale de l’Etat et les conditions de son efficacité. Bien que le pays ait enregistré des progrès indéniables dans bien des domaines, il a été reconnu par la plus haute autorité du Royaume que notre modèle de développement peinait à produire les effets qui en étaient attendus en termes d’une meilleure justice sociale. Le Souverain n’a pas manqué, à cet égard, de souligner les conditions nécessaires à même d’assurer une meilleure efficacité aux divers instruments mis en œuvre pour lutter contre les déséquilibres flagrants qui caractérisent encore le pays.
A notre sens, pour saisir toute la portée du discours royal et ses implications au niveau de la politique économique et financière du gouvernement, il convient de le lier aux messages phares des rapports présentés devant Sa Majesté le Roi, la veille de la Fête du Trône, par le gouverneur de la banque centrale et le président de la Cour des comptes.
La politique sociale du gouvernement, entendue au sens large du terme, nécessite, certes, l’efficacité et l’efficience des instruments de sa mise en œuvre, mais elle exige, d’abord et avant tout, la mobilisation de ressources financières publiques suffisantes qui sont, par définition, rares. L’endettement ne peut constituer une solution de long terme pour le financement des dépenses sociales. Dès lors, une gestion saine des finances publiques s’impose afin de dégager l’épargne budgétaire nécessaire pour prendre en charge les différents projets sociaux du gouvernement.
Tous les observateurs s’accordent sur le fait que l’Etat marocain a consenti au cours des 20 dernières années un effort considérable en matière d’investissement public. Cet effort a été porté par un endettement public qui n’a cessé de croître pour atteindre des niveaux préoccupants, comme le souligne le rapport de Bank Al-Maghrib. Pourtant, les effets de cet investissement public sur la croissance restent bien en deçà des attentes des populations et des pouvoirs publics. Autrement dit, nos investissements publics et la dette qui les soutient ne créent pas autant de richesses qu’on est légitimement en droit d’en attendre. Or, qui ne crée pas suffisamment de richesse ne peut redistribuer que la misère.
La première priorité du Maroc est de produire plus et mieux pour avoir de quoi réinvestir et corriger ses déséquilibres sociaux et géographiques. Une maîtrise de notre endettement, une meilleure efficience de nos investissements publics et une plus grande stimulation de nos investissements privés sont les conditions sine qua non d’une croissance forte et inclusive.
Les rapports de la Cour des comptes et de la banque centrale ont tous les deux attiré l’attention sur la problématique des déséquilibres croissants des régimes de retraite et, notamment, de la Caisse marocaine des retraites. Or, ces déséquilibres menacent sérieusement de priver, à moyen terme, des centaines de milliers de retraités de pensions bien méritées, mais également de mettre à rude épreuve les finances de l’Etat. Celui-ci devra, en effet, mettre la main à la poche pour payer ses retraités. Or, la facture sera sans commune mesure avec celle qui accapare l’attention du public actuellement et qui concerne quelques centaines de parlementaires. La réforme des retraites entamée en 2016 devra être reprise en charge par le gouvernement sans délai. Une telle réforme, à la fois profonde et structurelle, exige un courage politique à la mesure des enjeux sociaux et financiers du problème posé. Elle commande une concertation loyale entre le gouvernement et les syndicats qui mett l’intérêt du pays et des retraités au-dessus de tous les calculs partisans à court terme. Elle requiert, enfin, une communication efficace et didactique pour couper court aux surenchères démagogiques que certains n’hésitent pas à jeter en pâture à une opinion publique avide de sensations et d’émotions fortes, plutôt que d’analyses froides et objectives.
L’autre sujet lié aux finances publiques qui a été mis en exergue par les rapports des deux institutions précitées concerne la réforme de la compensation. Toutes les études réalisées sur ce thème ont largement démontré que la compensation servait, avant tout, les intérêts des catégories sociales qui n’en avaient pas vraiment besoin et qu’elle a donné lieu à des dérapages décriés par tous. En plus, le poids qu’elle exerce sur les finances publiques est trop lourd à supporter. Les institutions financières internationales ne cessent, d’ailleurs, d’appeler à la poursuite de la réforme engagée il y a quelques années. Il reste entendu qu’aucune réforme viable, à ce niveau, ne peut réussir sans tenir dûment compte des intérêts des populations les moins favorisées. Permettre à celles-ci de bénéficier pleinement de la protection de leur pouvoir d’achat est un préalable à toute réforme portant notamment sur le gaz butane. En outre, la réforme de la compensation appelle le respect des règles du jeu par toutes les composantes du marché afin que les consommateurs et l’économie, dans son ensemble, en bénéficient effectivement. Les autorités publiques et, en particulier le Conseil de la concurrence, doivent assumer leur entière responsabilité à cet égard. Cette réforme, comme celle des retraites, nécessite une dose appréciable de courage, de concertation et de communication.
En conclusion, la lecture des rapports de Bank Al-Maghrib et de la Cour des comptes suggère que la maîtrise de l’endettement public, l’amélioration de l’efficience des investissements publics et la poursuite des réformes des retraites et de la compensation sont des préalables nécessaires à la réalisation des objectifs des politiques sociales, considérée par Sa Majesté le Roi comme la priorité des priorités de Son règne. La mise en œuvre rapide des recommandations des deux rapports devrait aller de pair avec la traduction sur le terrain des instructions contenues dans le discours royal du 29 juillet 2018.
Le 15 août 2018
Source web par : Aujourd'hui le Maroc
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