Ces lois qui ne sont jamais appliquées
A la lumière de la loi sur l’eau 10-94, le désastre écologique de l’Oued Merzeg n’aurait jamais dû exister
Dans notre édition du 16 juillet courant, nous avions évoqué le désastre écologique qui fait de la plage d’Oued Merzeg à Dar Bouazza, un emplacement impropre à la baignade. En effet, plusieurs canaux d’assainissement y déversent des eaux usées sans arrêt. Une pétition lancée par plusieurs habitants du littoral de Dar Bouazza met en cause « les usines, les projets immobiliers et les habitations qui ont fait d’un lieu, jadis un havre de paix, de nos jours, un égout à ciel ouvert ». Afin de mieux appréhender cette épouvantable situation, notamment d’un point de vue juridique, nous avons contacté Hmad Goliat, docteur en droit public et auteur de l’ouvrage «Droits des déchets».
Tout d’abord, selon notre interlocuteur, cette situation n’aurait jamais dû exister, car tout simplement «la loi sur l’eau 10-95 interdit expressément dans son article 54 : ‘’…de jeter, à l’intérieur des périmètres urbains, des centres délimités et des agglomérations rurales dotées d’un plan de développement, toute eau usée ou toute matière nuisible à la santé publique en dehors des lieux indiqués à cet effet ou dans des formes contraires à celles fixées par la présente loi et la réglementation en vigueur”.
De plus, et toujours selon les propos de Hmad Goliat, la législation sur les eaux, la loi du 1er août 1995, interdit le rejet des eaux usées ou de déchets solides dans des oueds, puits, abreuvoirs et lavoirs publics, forages, canaux ou galeries de captage des eaux (article 54). Cependant, il souligne que cette interdiction visant les déchets restera peu efficace si les normes de rejet ne sont pas respectées.
De ce fait, cette pollution existe bel et bien, et celle de « Oued Merzeg » n’est qu’un cas parmi tant d’autres. Quand bien même elle porterait atteinte au milieu naturel, ainsi qu’à la santé des habitants du voisinage, cette pollution résulte souvent d’une problématique majeure, celle de la responsabilité, en l’occurrence « l’identification de l’auteur du dommage, l’établissement du lien de causalité et enfin l’évaluation du préjudice», nous a-t-il indiqué.
Le principal obstacle lié à l’identification de l’auteur du dommage se trouve être « la multiplicité, fréquemment observée des pollueurs. L’implication de plusieurs industries polluantes fait qu’il est difficile de désigner le ou les responsables », souligne Hmad Goliat. Cependant, ce dernier indique que s’agissant de la pollution des eaux, il suffit de quelques analyses pour déterminer avec plus ou moins de précision ses différents acteurs.
Une fois identifiés, ces derniers sont assujettis au principe du pollueur-payeur, qui figure explicitement dans l’article 6 de la loi du 22 novembre 2006: « Toute personne qui détient ou produit des déchets, dans des conditions de nature à produire des effets nocifs sur le sol, polluer l’air ou les eaux, à engendrer des odeurs ou d’une façon générale ,à porter atteinte à la santé de l’homme et à l’environnement est tenue d’en assurer ou d’en faire assurer l’élimination dans les conditions propres à éviter lesdits effets, et ce conformément aux dispositions de la loi et ses textes d’application ».
Cette obligation a un but bien précis. Elle vise à « pousser les industriels producteurs de déchets à les remettre dans des circuits garantissant la protection de l’environnement et à prendre à leur charge les coûts de transport et d’élimination », argue notre interlocuteur.
Afin de faire respecter les lois, il existe une police de l’environnement. Rattachée à des commissions de contrôle des activités industrielles, elle effectue deux types de contrôle : le premier, avant l’ouverture pour avoir une autorisation, tandis que le second intervient en aval, lors du fonctionnement de l’installation industrielle.
Si une quelconque infraction est constatée par la police de l’environnement, l’article 69 précise que « l’administration peut, selon les cas, mettre en demeure par écrit les contrevenants pour se confirmer aux dispositions de la loi et ses textes d’application ». Des sanctions administrative (retrait d’autorisation, suspension de l’activité de toute décharge contrôlée ou installation de traitement) ou judiciaire (amende, emprisonnement) ou les deux à la fois sont prévues en cas de non-respect de ces dispositions.
Bilan ? Les lois existent bel et bien, les moyens de contrôle, aussi. Néanmoins, leur application fait défaut et souffre d’une certaine mansuétude. Et pour l’instant, rien ne prédit une évolution de la situation.
Le 24 Juillet 2018
Source Web : Libération
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