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Jamaleddine Bouamrani à cœur ouvert

Jamaleddine Bouamrani à cœur ouvert

Toujours aussi percutant dans ses déclarations, alerte dans son analyse des conjonctures touristiques et professionnelles, même les plus menues qui soient, Jamaleddine Bouamrani, l’une des figures de proue du tourisme marocain, demeure néanmoins d’approche aisée, malgré la profondeur de sa vision. Humilité et grandeur du personnage qui le portent en estime, d’ailleurs, chez le collectif professionnel.

Véritable mémoire vivante du tourisme marocain, il s’avère intarissable en infos qui ne courent pas les rues, rendant la discussion avec lui un rare moment de privilège. A aucun instant, on ne sent qu’il vous mène en bateau pour « passer » un message lucratif. Nous avons pu nous en rendre compte en découvrant à travers son pressenti général sur différents axes de développement du tourisme au Maroc, ses hommes et ses femmes, en toute transparence. A bâtons rompus, il a bien voulu nous donner sa version sur ce qui marche et sur ce qui ne marche pas.

Convaincu que le tourisme peut être un acteur incontournable de développement, l’Etat l’a érigé en secteur stratégique à travers Visions 2010 et 2020. Quelle appréciation en feriez-vous, d’abord, en termes de genèse de Vision 2010 et son déroulé ?

Quoique l’on dise, Vision 2010 est, pour moi, une réussite, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, grâce à son caractère de déclencheur d’une nouvelle dynamique censée animer le paysage touristique national, doté d’une feuille de route traçant les chemins de développement en la matière. Par là, je tiens à rendre un vibrant hommage à Mohammed Benamour qui s’est entièrement dévoué pour le projet et grâce à qui beaucoup de choses ont été faites. En second lieu, l’élaboration concertée de la vision a eu le mérite de créer une symbiose entre le public et le privé, en toute transparence et responsabilité. Nous avons ainsi, avec sincérité, collaboré en collectivité pour faire aboutir le projet. Et je dois l’avouer, c’était une réussite à tous points de vue. Il est vrai que nous n’avons pu atteindre, entre temps, tous les objectifs, mais nous pouvions tout de même nous prévaloir d’avoir mis à jour une feuille de route pragmatique de développement du secteur. Cela me rappelle une anecdote qui remonte à 1973, lorsque My Ahmed Alaoui était ministre du Tourisme. Nous étions réunis au Trésor de Rabat (L’actuel Parlement) pour étudier le Plan Quinquennal, lorsque My Ahmed fit irruption dans la salle. Il voulait se renseigner sur le nombre de touristes que nous prévoyons d’atteindre dans notre programme, nous lui avions répondu un million, ce qui le mit, contre toute attente, hors de lui et de nous proposer plutôt le nombre de 25 millions au lieu d’un. Devant notre étonnement, il argumenta que rien n’empêche de le proposer et que si on arrivait à 3 millions, par exemple, c’était pas mal. Parabole : Vision 2010 a permis au Maroc de réaliser pour la première fois un nombre de touristes qu’il n’a jamais reçu. Une réussite qu’on devait, comme j’ai dit, à la symbiose entre le public et le privé.

Je conçois que ce qui a été réalisé dans ce cadre est plus important que ce qui se fait dans le secteur de la pêche hauturière qui profite plutôt à d’autres pays, alors que les réalisations du Plan Azur sont bien là sur terre marocaine. Des investissements qui font honneur au Maroc.

Mais comment expliquez-vous que l’on continue toujours à contester de part et d’autre la « réussite » de Vision 2010, comme vous dîtes, en particulier le programme du Plan Azur ?

Il faut s’en tenir à la réalité des faits. Le Plan Azur a permis l’émergence de stations balnéaires structurées qui continuent de recevoir des investissements en projets hôteliers et para-hôteliers, comme à Saidia par exemple, très appréciée d’ailleurs par les touristes tant nationaux qu’étrangers. Sa plage est unique. Mais ce qui fausse le décor d’ensemble et minimise en quelque sorte le positionnement privilégié de la station, ce sont les infrastructures d’accompagnement et l’agencement de son environnement immédiat. En effet, juste avant d’y accéder, les bicoques qui se trouvent en face faussent gravement le plaisir et la beauté du site. C’est là l’une des défaillances du schéma directeur qui devait plutôt uniformiser les alentours avec le site et ainsi le protéger. Même rengaine au niveau de Larache qui devait être confiée à des développeurs immobiliers experts et de renommée, tel le belge Thomas & Piron dont les réalisations dans le quartier « d’Anfa Club », à travers les Résidences « Louise », relèvent du chef d’œuvre. Au niveau de Taghazout, il est vrai que la station était en bute à plusieurs complications, mais aujourd’hui le regain de confiance des investisseurs fait que de nouvelles unités se construisent progressivement.

Bien entendu, une commercialisation adaptée à cette offre fait toujours défaut, accentuée par le manque de dessertes aériennes. Ajoutez à cela le peu de valorisation des sites d’implantation, comme c’est le cas pour Larache dont les monuments et la culture remontent loin dans l’histoire, mais malheureusement insuffisamment capitalisés à escient. En résumé, au Maroc c’est toujours le service après-vente qui est défaillant. Essayons de prendre l’exemple sur les Ils Canaries qui reçoivent plus de touristes que ne reçoit tout le Maroc et dont les plages s’étalent sur des kilomètres avec du sable marocain.

La seule chose sur laquelle je ne suis pas d’accord, c’est de concéder aux promoteurs des dizaines d’hectares pour la construction d’un hôtel de 100 chambres. Il s’agit de sacrifice incompris de grandes surfaces alors que les terrains ne sont pas extensibles, causant de la sorte une pénurie pour de potentiels autres investissements touristiques. Hormis la surface bâtie de l’hôtel, le reste de la surface dédiée est exploité pour la vente de villas et duplex. Pourquoi ne ferait-on pas, par exemple, comme pour le Sangho Marrakech qui, bien qu’il soit tout un club, n’occupe que 7 hectares, alors qu’à Marrakech-même on accorde facilement un terrain de 20 hectares pour des programmes similaires ou moins ?

Pouvez-vous nous évoquer des épisodes historiques dans la défense du tourisme marocain avant Vision 2010 et dans lesquels vous étiez partie prenante ?

Il faut savoir que notre militantisme dans le tourisme remonte loin dans l’histoire du Maroc moderne. Je me souviens de l’époque où Abdellatif Filali était chef de Gouvernement, quand, sur recommandations de la Banque Mondiale, celui-ci avait mis sur pied un comité consultatif chargé d’étudier, en présence d’un représentant de la dite banque, tous les dossiers des différents secteurs de l’économie nationale en vue de rédiger des rapports. Ce comité était composé d’une douzaine de membres dont la moitié est représentée par le secteur public et l’autre moitié par le privé. La partie public comportait des secteurs émergents, parmi lesquels le tourisme, l’agriculture, la banque, la pêche, etc. C’est à partir de cette réunion que nous avons décidé de créer les fameuses « grappes » économiques, dont celle du tourisme que j’avais l’honneur de représenter. Cette grappe nous impliquait des concertations en continu avec les corporations professionnelles du tourisme, dont la fédération des hôteliers et celle des agences de voyages. Je tiens ici à préciser que parmi le collectif des voyagistes, Othman Cherif Alami était le plus enthousiaste et le plus dynamique, tandis que les autres n’ont malheureusement pas marché avec nous. Cela repose la problématique des personnes et de la gouvernance sectorielle dans le tourisme, comme aujourd’hui d’ailleurs. On ne se soucie plus de l’intérêt général mais des intérêts personnels. Ce qui conduit à des guerres de leadership interminables. Muni d’une bonne volonté, il faut le reconnaître, O. C. Alami cherchait à chapeauter le grappe du tourisme pour la mener encore plus loin mais il s’est heurté à tous les problèmes et crocs-en-jambes que l’on puisse imaginer. Résultat : les grappes n’ont pas fait long feu et sont mort-nés.

Revenons, si vous le voulez bien, à la stratégie de l’Etat en matière de tourisme. Il y a vision 2010 avec son lot de réussites et d’échecs, puis vision 2020 alors que la plupart des chantiers évoqués dans la précédente n’ont pas été menés. Quelle lecture en faîtes-vous ?. Vision 2020 était-elle née pour corriger les erreurs de son aîné et ainsi réorienter la stratégie de l’Etat ?

Je pense que Vision 2020 est, elle aussi, un projet mort-né, du moment qu’elle n’a pas été élaborée en concertation avec les professionnels du privé. Certains vont même plus loin en affirmant que Vision 2020 est plutôt une question d’égo de l’ex-ministre du Tourisme Lahcen Haddad qui voulait se distinguer, semble t-il. Il a préféré travailler tout seul avec ses équipes, ce qui lui a attiré les foudres sacrés des professionnels qui ont fini par le saboter tout simplement.

Pour moi, Vision 2020 n’a jamais existé. Tout ce que l’on a fait c’est préparer du réchauffé de la vision 2010, une copie de ses bases collée sur une échelle plus importante. C’est pourquoi j’ai préféré m’en éloigner…

L’un des faits les plus remarquables est que la Haute Autorité du Tourisme tarde à être instituée, malgré qu’elle figure dans les deux visions…

Il faut revenir en arrière pour en évaluer la portée dans son contexte historique. La Haute Autorité du Tourisme était un principe admis par Abdellatif Filali lorsqu’il était Premier Ministre. L’Office du Tourisme était, lui, appelé à changer et devenir une société anonyme, avec un conseil d’administration composé par le public et le privé. Cependant, on laissait le champ libre au management de l’Office de faire cavalier seul. Le résultat, on le connaît : des débordements relevés par la commission parlementaire chargée d’enquêter sur l’ONMT. Cela aurait pu être autrement, si le privé avait un droit de regard sur les comptes auxquels il contribue d’ailleurs beaucoup.

Quelle appréciation feriez-vous de la symbiose interprofessionnelle actuelle ?

Permettez-moi de tirer la sonnette d’alarme sur les divisions qui morcellent le corps professionnel. On personnalise trop les intérêts collectifs. Il est désolant de constater qu’on a cette fâcheuse tendance de tirer à boulets rouges sur les professionnels qui donnent de leur temps pour mener à bien les missions qui leur reviennent dans le cadre de leurs associations respectives, à l’heure où on devrait les accompagner eu lieu de chercher à les détruire. Cela porte à mon souvenir l’époque où j’étais à la tête de la fédération des hôteliers lorsque certains confrères cherchaient à « réserver » notre corporation aux seuls promoteurs et en exclure les Directeurs généraux et autres. Ce que je refusais catégoriquement car j’étais contre la division. On a besoin de l’énergie de tous pour bien avancer, voyons !.

Question relax : où comptez-vous passer vos vacances ?

Pour ne rien vous cacher, je privilégie Marrakech surtout pour son climat sec. Dans le temps, je passais, chaque année, mes vacances en Espagne, au Portugal, en Asie, etc. Mais depuis 2014, je ne suis plus sorti du Maroc pour mes vacances.

Le 20 juillet 2018

Source Web : premiumtravelnews

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