Plan Azur : retour sur un naufrage
Quand une élite, bien intentionnée, on n’en doute point, pense qu’elle maîtrise le sésame magique du développement économique, elle commet en fait deux erreurs conceptuelles majeures.
La première est de croire que l’Etat, qui n’est soumis à aucune contrainte de rentabilité et de risque, est le mieux placé pour indiquer à ceux qui mettent leur argent en jeu comment le gérer. La seconde est de penser qu’un Etat qui ne fait pas correctement ce pourquoi il est payé peut montrer au secteur privé comment générer de la croissance et créer des emplois. Le drame de notre politique économique tient à ce double biais, et la fortune du plan Azur en fournit l’illustration la plus éclatante.
Nul ne doute que les intentions qui ont animé les visions Azur 2010 et, plus tard, Azur 2020 étaient bonnes et visaient à doter le Maroc d’un secteur touristique fort et créateur d’emplois et de richesses. Mais à l’instar de la majorité des plans sectoriels, on a péché par excès d’ambition et manque de rigueur. Après la présentation de ces plans devant le Souverain, leurs promoteurs profitaient de cette validation royale pour annoncer des objectifs en déphasage avec les réalités de notre économie et ses capacités de production. Des capacités que n’importe quel étudiant en macroéconomie avancée pourrait calculer avec précision, compte tenu de notre dotation limitée en facteurs production (Nature, Capital et Travail). Quand on prévoit l’aménagement de 6 stations balnéaires en 8 ans (entre 2002 et 2010), alors qu’on n’a sécurisé le financement d’aucune, au moment de la présentation de ces plans, ce n’est plus de l’ambition, c’est carrément de l’illusion. Toute remise en cause de leurs objectifs, de leurs leviers d’actions ou du timing de leur mise en œuvre était taxée de volonté de sabotage. Le premier indice de l’échec ou du succès de tout projet, quelle qu’en soit l’envergure, est la pertinence de sa vision et son adéquation avec l’environnement du pays et ses atouts. Le deuxième est la mobilisation efficace des moyens de production, tant humains (en qualité et quantité suffisantes) que capitalistiques (savoir au moins combien cela va coûter et comment le financer). Le troisième indice est le planning d’exécution, et surtout de coordination, entre les différents intervenants avec une affectation claire des responsabilités et des mécanismes transparents d’arbitrages en cas de blocage dans l’un des maillons d’exécution. Le quatrième indice, et certainement le plus important, tient au choix du leader, en termes de connaissances techniques, de compétences managériales et de légitimité dans le monde des affaires et de l’administration. Sur 4 indices d’évaluation de projets, on a failli lamentablement sur 4, ce qui a conduit au naufrage actuel, somme toute prévisible. Les réalisations chiffrées du plan de développement touristique se passent, dès lors, de tout commentaire. Sur 944 projets touristiques devant être réalisés avec un budget de plus de 151 milliards de DH, seulement 37 projets ont vu le jour à fin 2015, pour un montant de près de 1,4 milliard de DH, soit un taux de réalisation de moins de 1%. Une seule station balnéaire sur 6 a été pleinement réalisée. Les investissements à mauvais escient du secteur privé ont été estimés à 20 milliards de DH et sur les 15 millions de touristes étrangers qu’on visait pour 2020, on est à 5,86 millions à fin 2017. Dans une entreprise, ces résultats seraient un motif de licenciement des dirigeants pour réalisations médiocres. Mais à l’échelle de l’Etat, personne n’est là pour rendre compte. Et c’est la principale explication de l’échec de ce plan et des réalisations modestes des autres. L’Etat est un mauvais acteur économique pour trois raisons fondamentales. D’abord, il n’est pas soumis à la concurrence, sachant que celle-ci stimule tous les talents des acteurs et les pousse à déployer des trésors de créativité. Ensuite, l’Etat n’est pas attiré par le gain et ne redoute pas le risque (les deux ingrédients magiques de la réussite dans les affaires). Enfin, il agit par contrainte là où l’économie est un échange de volontés entre acteurs libres. Cela ne veut pas dire que l’Etat est toujours et partout un mauvais gestionnaire, mais sa réussite dans les affaires est souvent une exception. Son domaine d’excellence est le service public et non les activités lucratives. Celles-ci ont leurs Hommes et nécessitent des qualités que l’autorité publique n’est pas censée avoir.
Dans le cas des visions touristiques, nous avons un exemple parlant de ce paradoxe qui résume à lui seul toutes les contradictions de notre politique économique. Alors que l’Etat n’assure pas la propreté des villes et leur signalisation, le confort des touristes (contre les harceleurs et les mendiants), la disponibilité des transports en commun, l’entretien des sites touristiques et l’aménagement des territoires, il s’est érigé en donneur de leçons sur le développement du secteur. Au lieu de faire des plans dont les résultats sont souvent loin des attentes, l’Etat pourrait aider concrètement le secteur en se limitant à ses prérogatives de régulateur et de percepteur et laisser le secteur privé travailler sans l’infantiliser. Comble de l’ironie, la ville phare du tourisme national qu’est Marrakech ne figurait même pas dans les deux versions du plan Azur. De quelle preuve supplémentaire avons-nous besoin qu’en économie, le marché l’emporte systématiquement sur la loi ?
Le 26 septembre 2018
Source web par: la vie éco
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