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Le monde de demain, entre risques et promesses

Le monde de demain, entre risques et promesses

[#REAix2018] Avec un Donald Trump qui fait exploser en vol le G7, boude l’OMC, multiplie les mesures protectionnistes, les relations économiques internationales commencent à agiter des marchés financiers fébriles. Dans un monde en pleine mutation, où tout bouge en même temps, la multiplication des conflits, commerciaux et diplomatiques suscite beaucoup d’incertitudes pour les entreprises, déjà bousculées par les disruptions technologiques. Pour autant, si toutes ces transformations soulèvent des peurs, elles ne sont pas forcément le signe d’un arrêt brutal de la mondialisation. Ces métamorphoses appellent surtout une organisation planétaire plus équilibrée et plus juste.

Dix ans après le début de la crise financière, l'économie mondiale commence à retrouver quelques couleurs. Selon les dernières estimations de l'OCDE, le produit intérieur brut (PIB) de la planète devrait croître de 3,8% en 2018 et 3,9% en 2019 après 3,7% en 2017. La reprise a été généralisée, portée par des embellies dans les pays en développement, émergents et développés. Le chômage mondial devrait légèrement diminuer à 5,5% en 2018 après 5,6% en 2017, après trois années de hausse, d'après l'OIT.

Et pourtant... Malgré ces bonnes nouvelles, les signes de ruptures se multiplient dans un climat de critiques de plus en plus violentes contre la mondialisation dans sa forme actuelle. Selon un récent sondage Opinion Way, 60% des Français ont une mauvaise opinion de la mondialisation. Pour les deux tiers des personnes interrogées, elle a des conséquences néfastes sur l'emploi et les salaires. Le sentiment d'une montée inexorable des inégalités économiques et sociales alimente cette critique. Pas étonnant alors que cela se traduise politiquement par des changements majeurs en Europe et aux États-Unis, avec la montée du nationalisme, du populisme et des régionalismes. Le succès des politiques de repli sur soi ne fait que refléter les craintes de ceux que l'on appelle les « perdants de la mondialisation », de plus en plus nombreux. Par ailleurs, la crise de la fin des années 2000 a marqué une véritable rupture dans les échanges économiques et financiers à l'échelle de la planète.

Toutes ces métamorphoses annoncent l'achèvement d'un cycle, peut-être la fin du monde tel que nous l'avons connu, caractérisé par une approche multilatérale de résolution des conflits politiques ou commerciaux.

Depuis la crise financière, le taux d'ouverture du commerce a décliné pour atteindre 27%

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la libéralisation du commerce international s'est considérablement accentuée. La mise en œuvre des accords de Bretton Woods, signés en 1944, la baisse importante des coûts de transport et la multiplication des accords de libre-échange ont contribué à cet essor. Le taux d'ouverture du commerce mondial est passé de 11% dans les années soixante à 30% en 2008, selon de récents chiffres du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii). Depuis la crise financière, le taux d'ouverture a décliné pour atteindre 27%, mais, pour Sébastien Jean, directeur du centre de recherches, « cela ne signifie pas forcément que l'ouverture commerciale ait vocation à baisser substantiellement dans les années à venir. Jusqu'ici en tout cas, il est plus juste de parler d'un plateau que d'un reflux. »

L'entrée en vigueur des taxes américaines sur l'acier et l'aluminium le 1er juin dernier a été le symbole de la montée du protectionnisme et de la remise en cause du multilatéralisme. Si les États-Unis n'ont pas attendu l'élection de Donald Trump pour mettre en place des mesures protectionnistes, l'élection à l'automne 2016 du magnat américain de l'immobilier marque bien un tournant dans les relations commerciales internationales. Le milliardaire, ancien présentateur de téléréalité, a clairement l'intention d'appliquer le programme sur lequel il a été élu, une stratégie économique fondée sur le nationalisme et le mercantilisme au détriment d'échanges plus équilibrés. Cette politique commerciale du rapport de force soulève de nombreuses inquiétudes chez les Européens qui ont décidé de déposer un recours auprès de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Pas vraiment de quoi faire reculer Trump, dont on dit qu'il pourrait annoncer le retrait des États-Unis de l'organisation multilatérale.

Dans ce contexte, la mondialisation des échanges telle que nous l'avons connue pourrait changer de visage. Les flux d'investissements directs étrangers (IDE) ont reculé de 23% en 2017 selon le dernier rapport de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (Cnuced). Les IDE, qui concernent aussi bien les implantations de filiales à l'étranger que des prises de participations dans des entreprises, ont connu un essoufflement en raison notamment d'une baisse de rendement de ce type d'investissement. Par ailleurs, la réforme Trump de l'imposition des entreprises aux États-Unis, calibrée pour les inciter à y rapatrier leurs profits, et une compétition fiscale de plus en plus intense ont globalement affecté ces flux, expliquent les économistes. L'OMC prévoit ainsi un essoufflement du rythme des échanges au cours du second semestre de cette année.

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La propagation des populismes

Depuis plusieurs années, la montée des populismes et du régionalisme marquent également une rupture dans le paysage politique et économique mondial. Le modèle de démocratie libérale occidentale tend à perdre du terrain sur les deux rives de l'Atlantique. En Europe, l'arrivée au pouvoir de La Ligue du Nord et du Mouvement 5 étoiles traduisent une poussée de l'euroscepticisme chez les Italiens alors que ce pays est un des six membres fondateurs de l'Union européenne et que ses habitants ont longtemps été parmi les plus europhiles. Ces résultats illustrent également une déception à l'égard des différentes forces politiques au pouvoir.

Pour Marc Lazar, directeur du centre d'histoire de Sciences Po et spécialiste de la vie politique italienne, « les populismes prospèrent sur la profonde crise de défiance envers la politique, l'euroscepticisme croissant et la situation sociale, un chômage élevé, des inégalités de toute nature qui se creusent, la pauvreté qui s'étend et l'immense inquiétude des Italiens, leurs peurs, leurs angoisses face à l'immigration et les arrivées de flux de migrants. »

Si les risques sur la dette italienne sont relativement limités, le poids économique de l'Italie dans la zone euro alimente les craintes d'une explosion de l'union monétaire, fragilisée par la crise grecque et plusieurs années de crise et de récession.

Plus à l'est, les forces conservatrices ont le vent en poupe. Le groupe de Visegrad, formé de la Hongrie, la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie, constitue l'avant-garde de ce mouvement. Le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, a été réélu triomphalement en avril dernier, pour un troisième mandat consécutif. Au début du mois de juin, le dirigeant a annoncé une réforme institutionnelle importante. Le Fidesz, le parti du chef de l'État, dispose de 133 sièges sur les 199 que compte l'Assemblée nationale de Hongrie. Ce qui signifie qu'il a la majorité des deux tiers, nécessaire pour modifier la loi fondamentale. Et ce projet controversé n'est que le dernier d'une longue série entamée depuis son arrivée au pouvoir en 2010. Défenseur autoproclamé d'une économie « illibérale », Viktor Orban s'est assuré de fait le contrôle de la banque centrale, suscitant de vives critiques du Fonds monétaire international (FMI). Mais, avec une croissance de 4% en 2017 et un chômage au plus bas (3,8%), la Hongrie affiche de bonnes performances économiques, grâce notamment aux fonds européens.

Les flux migratoires au centre des tensions

La montée des populismes en Europe de l'Est a longtemps été attribuée aux héritages du passé communiste de ces ex-satellites de l'URSS. Désormais, la multiplication des victoires populistes dans les démocraties occidentales (Royaume-Uni, États-Unis, Italie) marque une véritable rupture politique avec l'idée, en vigueur depuis la chute du mur de Berlin, que les démocraties avaient remporté la victoire pour l'éternité.

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Pour parvenir au pouvoir, les forces nationalistes et populistes ont su instrumentaliser la crise des migrants qui s'est accélérée depuis les « révolutions arabes » et la guerre en Syrie. Le chef de la Ligue et actuel ministre de l'Intérieur italien, Matteo Salvini, veut que l'Europe durcisse sa politique migratoire, tandis que Donald Trump a promis un mur entre le Mexique et les États-Unis pour empêcher l'immigration illégale.

Pourtant, le poids des migrants dans la population mondiale a peu évolué depuis le début des années 1990. Il est passé de 2,9% à 3,3%, selon de récents chiffres de la Banque mondiale. « Cette relative stabilité doit cependant être nuancée », explique à La Tribune Jean-Christophe Dumont, chef de la division des migrations internationales à l'OCDE. « Entre 2000 et 2017, la population des migrants est passée de 179 millions à 258 millions. En parallèle, la population mondiale a continué à croître tandis que dans les pays de l'OCDE, la population a décliné. »

La faible progression du "stock" de migrants au niveau mondial ne doit pas masquer de fortes disparités régionales.

Les mouvements de flux sont de fait bien plus marqués dans les pays développés à hauts revenus, « où la part des migrants est passée de 5% en 1975 à 12% en 2015 (+ 7 points de pourcentage) », selon des chiffres du Cepii, alors que cette part a progressé de seulement 0,5 point dans le reste du monde.

Sur la question des réfugiés, le spécialiste de l'OCDE indique que « entre le début des années 1990 et jusque dans le milieu des années 2000, les flux de réfugiés et de migrants s'élevaient entre 400.000 et 500.000 par an dans les pays développés notamment au moment du conflit dans l'ex-Yougoslavie. En 2015, il y a eu une véritable rupture avec 1,6 million de demandes, c'est un phénomène exceptionnel. » Mais actuellement, on est redescendu à 1,2 million.

Concernant les perspectives sur les migrations internationales, le spécialiste de l'institution internationale explique que, compte tenu de la situation actuelle, « le rythme des flux migratoires devrait rester au même niveau ».

Mais plusieurs facteurs pourraient venir modifier ces flux. En Afrique, la part des jeunes dans la population devrait s'accroître considérablement d'ici 2050. « Dans de nombreux pays émergents, les classes moyennes ont pris de l'importance. Ce phénomène a permis de favoriser les voyages et les échanges, d'envoyer les enfants à l'étranger. Une classe moyenne s'internationalise », ajoute l'expert de l'OCDE. Enfin, le réchauffement climatique devrait accroître la pression migratoire et favoriser les mouvements de population entre les différentes régions du monde.

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Vers un nouvel ordre économique mondial

Au cours de la dernière décennie, le monde a donc subi d'importantes mutations, tant sur le plan géopolitique que sur les plans économique ou démographique. Ces métamorphoses, qui se cristallisent toutes au même moment, en 2018, annoncent sans aucun doute la fin d'un monde.

Pour les entreprises, c'est la certitude d'une amplification des incertitudes, à l'image de la décision unilatérale de Trump de sortir de l'accord de Paris sur le climat ou de faire voler en éclat l'accord passé par Obama sur l'Iran. Sans parler de ses tweets imprévisibles, comme celui, bombardé depuis son avion Air Force One, qui a fait échouer l'accord conclu au forceps lors du dernier sommet du G7 au Canada. Comment programmer des investissements dans un monde aussi incertain et volatil ?

Pour autant, la fin de la mondialisation n'est pas forcément le seul horizon. C'est plutôt à sa métamorphose que l'on assiste, sur fond de transformations géopolitiques profondes. Pour le chercheur en relations internationales Philippe Moreau-Defarges, auteur de "La Tentation du repli. Mondialisation, démondialisation (XVe -XXIe siècles)" aux éditions Odile Jacob :

« Il y a eu une montée en puissance de la mondialisation entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et la fin du XXe siècle, et nous sommes entrés dans une période de reflux. »

Interrogé par La Tribune, le chercheur considère que « 2001 représente une première rupture, avec l'essor de la violence ». La seconde étape importante se situe en 2007 « au moment de la crise financière, qui représente une rupture entre les élites et les populations ».

Au niveau géopolitique, « l'ordre mondial est bouleversé par la fin de la "pax americana". Le rôle des États-Unis comme gendarme du monde, c'est fini. La Chine veut désormais prendre cette place. Ce changement réveille les appétits de puissance. J'envisage un affrontement planétaire entre la Chine et les États-Unis », observe l'universitaire, qui se dit « inquiet pour la suite. »

Dans ce contexte, Donald Trump apparaît comme « le plus grand démondialisateur, par sa volonté d'augmenter la fiscalité sur les importations. » À l'opposé, la place de la Chine dans la mondialisation tend à s'accroître. « Les entreprises chinoises ont besoin d'importer des matières premières et d'exporter des produits transformés. » D'ailleurs, lors du forum économique mondial organisé à Davos début 2017, le président chinois Xi Jinping « s'est présenté comme le premier défenseur de la mondialisation ». Au final, « nous entrons clairement dans un moment de démondialisation qui passe par un repli des États sur eux-mêmes et des sociétés sur elles-mêmes. »

De son côté, Sébastien Jean, directeur du Cepii, estime que « la démondialisation n'aura pas lieu. Il y a une vraie transformation de la mondialisation depuis la crise financière de 2008-2009, parce que le commerce a ralenti, les interactions financières ont freiné. Mais ce n'est pas un retour en arrière, c'est la fin d'une phase. Cette phase a été le développement des chaînes de valeur mondiales avec une forte intensification des relations commerciales et financières. » Mais pour l'économiste, ce changement « fort et soudain a été stoppé [...]. La vision de l'économie politique a beaucoup changé. Le regard sur la mondialisation a également changé avec plus de scepticisme, de défiance et même de méfiance. La mondialisation n'est plus vue seulement comme une source de croissance potentielle mais aussi comme une source de tensions. »

Finalement, il pense qu'il ne faut pas parler de « démondialisation mais plutôt de changements de régime [...]. De toute façon, le coût d'une démondialisation serait immense pour énormément d'acteurs », se rassure-t-il.

À la fin des années 1980, le monde était dominé sur le plan économique par un nombre limité de pays industriels, souvent membres de l'OCDE. Beaucoup d'États ont établi des alliances avec les États-Unis avant la chute du mur de Berlin. Au moment de la fin de la guerre froide, cette domination s'est encore renforcée avec la chute de l'URSS. L'économiste américain Francis Fukuyama avait annoncé à grands fracas "La Fin de l'Histoire".

Mais, plus de deux décennies après cette annonce, les grands équilibres économiques mondiaux ont été bouleversés. La Chine est devenue la première puissance économique mondiale en parité de pouvoir d'achat. De nombreux pays émergents ont également joué un rôle accru dans l'économie mondiale.

Pour Sébastien Jean, « ces changements pourraient aboutir à une forme de mondialisation plus régionalisée. » Ces métamorphoses annoncent « l'entrée dans une nouvelle ère de relations internationales plus tendues, d'un monde multipolaire. La domination des États-Unis est clairement contestée. » De son côté, Philippe Moreau Defarges voit plusieurs raisons d'espérer. « Nous sommes dans un monde riche qui est quand même en meilleur état qu'au milieu du XXe siècle. La deuxième raison est que nous sommes dans un monde organisé. Dès qu'il y a une catastrophe, la mobilisation internationale s'active. »

Les Gafam, des outils de "soft power"

Dans les relations internationales en pleine recomposition, les géants du numérique jouent un rôle prépondérant face aux États. Le poids des Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) pose la question de leur concentration et de leur régulation dans un monde où ces firmes exercent une influence accrue. Facebook revendique par exemple plus de deux milliards d'utilisateurs mais cette position dominante suscite des débats à plusieurs niveaux. Sur le plan fiscal, ces entreprises bénéficient d'un régime souvent favorable, notamment en Europe, où l'Irlande reste un pays très attractif pour ces firmes. Ce qui suscite souvent d'âpres controverses au sein des pays de l'Union européenne. Outre les questions fiscales, les firmes américaines veulent étendre leur domination en permettant la libre circulation internationale des données à l'échelle de la planète. Si l'Union européenne a régulièrement défendu ce principe, elle n'hésite pas à mettre en place des garde-fous à l'image, dernièrement, du Règlement général sur la protection des données (RGPD).  Enfin, les tensions liées aux soupçons d'ingérence russe rappellent que ces entreprises peuvent véritablement avoir une influence sur le processus électoral des démocraties occidentales, même à leur insu, comme l'a montré le scandale Cambridge Analytica.

Publier le 06 Juillet 2018                   

Source web par : la tribune

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