Décryptage : le tourisme chinois est-il une arme de distraction massive ?
La chronique de Josette Sicsic (Touriscopie)
Les difficultés que rencontre la Chine à cause de la crise du Coronavirus affectent son image, son économie et son tourisme. Mais là ne s’arrêtent pas les effets de l’épidémie sur le tourisme chinois. L’Empire du Milieu qui se sert des déplacements touristiques domestiques et internationaux à des fins politiques, se voit privé pour un temps, de l’une de ses meilleures armes pour conquérir le monde et contrôler sa population. Comment ? Pourquoi ?
Le tourisme émetteur chinois constitue une autre arme redoutable contre les pays touristiques récepteurs. A l’heure où les USA ont engagé une bataille économique, il est clair que le tourisme chinois dans le pays de Donald Trump a bien baissé - DR : DepositPhotos, ryanking999
Bien que l’on évoque surtout le tourisme international, le tourisme national chinois lui aussi se développe à grande vitesse.
Il n’est qu’à regarder les pages consacrées au tourisme du quotidien national China Daily, pour mesurer l’ampleur que prennent aujourd’hui les reportages consacrés aux richesses touristiques nationales.
Tandis qu’il construit routes, aéroports, voies ferrées, chaînes hôtelières, gîtes, résidences de vacances, le gouvernement chinois, après une révolution culturelle particulièrement éprouvante pour son patrimoine, se relève de ses ruines et reconstruit temples, monuments civils et musées qui fleurissent un peu partout à travers le pays.
Son but ? Retenir une partie de la manne touristique dans le pays.
Mais aussi et surtout : réactiver la fierté nationale de sa population en valorisant son histoire, ses paysages naturels et l’ensemble des sites nés du génie chinois.
Une stratégie ambitieuse et relativement classique qui a été éprouvée par de nombreux pays désireux de raviver le patriotisme de leur population.
Autre élément stratégique très important et très subtile : le Parti communiste chinois tire sa légitimité, entre autres, de sa capacité à agir en tant que garant de la sécurité sur le territoire national.
Par opposition, la dangerosité et la violence des sociétés des « pays démocratiques » est régulièrement pointée du doigt par les medias de Pékin.
Tandis que les mésaventures des touristes chinois, sortes d’explorateurs en terres inconnues, sont largement récupérées par les réseaux sociaux.
Dernier exemple en date : les déboires d’une famille chinoise en Suède ont défrayé la chronique. Alors que Pékin et Stockholm ont des relations déjà tendues, l’ambassade de Chine en Suède s’est saisie de ce fait divers pour réclamer des « excuses ».
La version chinoise de l’histoire a cependant été mise en doute, certains affirmant que l’affaire avait été orchestrée en réponse à une visite du Dalaï-lama dans la capitale suédoise un jour avant !
Auparavant, des vidéos prises en France et en Grande-Bretagne avaient déjà animé les réseaux sociaux chinois. Suite à un incident survenu dans un magasin Balenciaga, Pékin a obtenu des excuses sous la menace du boycott.
Le vocabulaire très nettement exagéré employé par les médias chinois et l’importance donnée à ces événements fournissent le contenu émotionnel de l’esprit victimaire et revanchard entretenu par une grande partie de la presse officielle à Pékin. Malgré l’intérêt mitigé des internautes, ces faits divers font toujours l’objet d’un traitement médiatique particulier, relayé parfois par le gouvernement lui-même.
Et il faut croire que ces affaires ont un impact car la « sécurité » est la deuxième préoccupation des touristes chinois lorsqu’ils choisissent leur destination.
Le tourisme émetteur chinois en guise de représailles
Bien évidemment, le tourisme émetteur chinois constitue une autre arme redoutable contre les pays touristiques récepteurs.
A l’heure où les USA ont engagé une bataille économique, il est clair que le tourisme chinois dans le pays de Donald Trump a baissé et bien baissé.
On note une diminution de 5 à 8% selon la saison. Pour les voisins asiatiques, c’est pire. Ainsi, pour le Vietnam, sachant que plus de la moitié de son tourisme provient de la Chine voisine (soit plus de 6 millions de personnes), mieux vaut ne pas envenimer le conflit au sujet des bases chinoises en mer de Chine.
Le Japon, dont les performances touristiques sont aussi liées à l’arrivée massive des Chinois - plus de 10 millions d’entre eux viennent désormais visiter le pays du soleil Levant - n’engage aucune polémique.
Quant à la Corée du sud dont les shopping tours à Séoul sont l’un des produits phares, elle préfère aussi ne pas envenimer ses relations avec son puissant voisin.
Que dire du Cambodge dont les investissements touristiques et les clientèles sont aussi totalement liés à la Chine ?
Alors, arme de rétorsion massive, le tourisme chinois ? Bien entendu. Et, Hong Kong qui constituait la première destination des Chinois hors du « mainland » en sait quelque chose !
« One belt, one road », des routes économiques aux apparences touristiques
Enfin, les fameuses Routes de la soie n’ont rien de fortuit.
C’est un moyen de cacher derrière une illusion touristique, le plus grand programme économique jamais lancé dans le monde.
L’intitulé était enjôleur. L'Organisation mondiale du tourisme (OMT) a même succombé à son charme en tenant sa 8e rencontre sur le sujet à Thessalonique en Grèce.
Des événements parallèles ont vu le jour, à l’image de la Conférence du tourisme des routes de la soie organisée à Dubrovnik en avril dernier.
Mais, en fait, tout cela n’a rien de vraiment touristique. Ports, ponts, chemins de fer, aéroports… Ce sont les investissements qui intéressent la Chine.
En Croatie par exemple, ils sont partout. Ils sont également de plus en plus nombreux dans les pays voisins : Serbie, Macédoine, Bosnie, Monténégro.
En Europe de l’Ouest, ce n’est guère mieux. L’Italie a adhéré à la Belt and Road Initiative, ou comme on la nomme de plus en plus souvent : (BRI). Elle a été suivie plus discrètement du Luxembourg et de la Suisse.
La Grèce a adhéré à la plateforme « 16+1 » - l’organisation associant la Chine à 16 États européens de l’Est et du Sud qui a été rebaptisée le « 17+1 ».
Avec des prêts dépassant 1 000 milliards de dollars financés par la Chine et mis en œuvre principalement par des constructeurs chinois, il est clair que des pays pauvres ou manquant de capitaux sont heureux de puiser dans un fonds apparemment illimité qui permet aussi à la Chine d’acheter la paix avec ses voisins et de leur envoyer ses touristes.
Car, même si les conditions de crédit sont défavorables, ces pays (comme le Sri Lanka, Laos, Cambodge, Népal par exemple) n’ont plus le choix !
On se demande même si Cuba ne va pas aussi en passer par les crédits chinois pour sortir de son marasme. Ce qui signerait l’arrivée massive de touristes chinois dans l’île rouge.
Développer la bonne conscience chinoise
Enfin, selon une étude de la Banque mondiale, les travaux reliés aux Routes de la soie permettraient de sortir 32 millions de personnes de la pauvreté tandis que l’augmentation du commerce, estimée à 6%, permettrait d'augmenter de 3% les recettes des pays concernés.
Cette même stratégie protectrice est déployée dans certaines régions pauvres que le gouvernement met son point d’honneur à promouvoir.
Une population sous contrôle
Mais c’est sans doute au Tibet que la stratégie chinoise est la plus affûtée. Car, via l’activité touristique que l’Etat développe et les emplois qu’il crée, il exerce un contrôle total de la population qu’il maintient sous sa domination.
De plus, n’oublions pas que d’ores et déjà, l’énorme population chinoise est surveillée en permanence par 200 millions de caméras et ne devrait pas tarder à devoir fournir un scan de reconnaissance faciale quand elle achète un smartphone, afin de pouvoir être contrôlée à plein temps et obtenir sa note sociale.
Laquelle, quand elle s’abaisse, prive le citoyen de toutes sortes de prestations et activités dont les déplacements en Chine et à l’étranger !
Le 18 Février 2020
Source web Par Tourmag
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