Reportage : Ce qui devait arriver arriva
Migrants et riverains livrent leurs versions respectives à Libé
Seule l’intervention rapide des forces de l’ordre a fait éviter le pire à Casablanca
Vendredi en début de soirée, des affrontements ont éclaté entre des jeunes Marocains du quartier populaire de Derb El Kébir de Casablanca et des migrants subsahariens installés à deux pas de la gare routière d'Ouled Ziane. A l’origine de l’incident, le harcèlement d’une Marocaine en compagnie de son mari. La goutte qui a fait déborder le vase et ouvert la boite de Pandore. Ces événements ont été, en effet, prévisibles puisque rien ne va plus entre les migrants subsahariens et les riverains de ladite gare routière. Ils ne se supportent plus. Le squat des trottoirs et des environs de celle-ci par ces migrants a trop duré et engendre de nombreux problèmes. Cette situation dure depuis plus de 15 mois. Faute de structures d’accueil et de moyens pour loger les candidats à l’immigration, ces derniers ont occupé un bout de jardin mitoyen. Et ils ne sont pas les seuls, d’autres Marocains trouvent abri dans ces lieux, en majorité, des marginaux (prostituées, enfants des rues, SDF). Retour sur une soirée agitée où le pire a été évité de justesse.
L'emballement médiatique
Vendredi soir. Il est 21h00 lorsque les premières images et vidéos ont commencé à être diffusées sur les réseaux sociaux. Elles mettent en scène un gigantesque feu, des pompiers qui tentent de l’éteindre, des policiers qui dispersent les curieux et les badauds, des Subsahariens en train de courir ou de hurler à tue-tête et des Marocains en colère. Quelques minutes plus tard, une série d’articles ont été publiés sur la Toile faisant état d’un affrontement entre des jeunes habitants du quartier de Derb El Kébir et des migrants subsahariens installés sur un petit jardin non loin de la gare routière d’Ouled Ziane. Si certains médias ont parlé de violents affrontements ou d’affrontements brefs, d’autres ont évoqué des échauffourées voire de violentes bagarres.
Quant aux origines de l’incident, les versions sont nombreuses et divergent. Pour certains sites et d’après des témoins qu’ils ont contactés et qu’ils ont traduit les propos avec un nombre incalculable de fautes, « un groupe de migrants aurait harcelé une jeune femme résidant à Derb El Kébir. Cette dernière les aurait insultés avant qu’ils ne tentent de la suivre. La jeune femme aurait par la suite ameuté les jeunes de son quartier à sa rescousse ». D’autres estiment qu’« une rixe est à l’origine des affrontements, mais c’était le genre d’échauffourées qui surviennent aussi entre jeunes Marocains ». Une version proche de celle donnée par l’AFP qui a cité le témoignage du patron d'un café voisin affirmant que « tout a commencé dans un jardin public, avec une dispute entre des jeunes du quartier et quelques jeunes migrants ».
Sur les réseaux sociaux ou dans les quartiers mitoyens de la gare d’Ouled Ziane, les Casablancais ont laissé libre cours à leur imagination allant jusqu’à développer des thèses les plus farfelues. Pour certains, c’est le viol d’une jeune Marocaine par des migrants qui a généré cette violence. Pour d’autres, il s’agit bel et bien d’une affaire de passage à tabac d’un enfant marocain. Certaines prétendant être des témoins oculaires des évènements de vendredi nous ont affirmé que c’est l’agression d’un Marocain par des migrants qui a été à l’origine de cet incident.
La peur au ventre
Mais que s’est-il vraiment passé cette soirée du vendredi 24 novembre ? « L’incident a éclaté vers 20h00 avec l’arrivée massive de plusieurs jeunes et enfants marocains qui ont commencé à nous jeter des pierres et des bouteilles vides tout en nous insultant et en nous menaçant de mort », nous a déclaré un migrant sous le sceau de l’anonymat. Et de poursuivre : « Un grand nombre d’entre nous a paniqué et ne savait pas quoi faire face à des jeunes en colère et qui étaient prêts à tous. Nous avons eu le sentiment d’être assiégés de partout et c’est pourquoi nous sommes allés sur le boulevard et avons bloqué la circulation. D’autant que le bout de jardin où nous étions installés avait pris feu. Les jeunes ont mis le feu aux sacs poubelles qui jonchaient la voie publique et aux bacs à ordures. Heureusement qu’il y a eu intervention rapide des forces de l’ordre sinon il y aurait eu pire. Ces dernières ont l’idée de nous déplacer vers le terrain de foot d’à-côté et même là-bas, on n’a pas échappé aux attaques de jeunes en colère». Pas le temps de dire plus, un autre migrant a pris le relai pour nous expliquer ce qui s’était passé. «Lors du déclenchement des affrontements, je n’étais pas présent sur place. Je suis arrivé au dernier moment mais ce que j’ai vu et vécu est horrible. Des centaines de jeunes armés de bâtons et de couteux ou portant des bonbonnes de gaz nous ont encerclés. Ils brandissaient leurs armes et menaçaient de nous tuer. Nous avons tous craint pour notre vie et nous avons imaginé le pire. On a cru qu’on allait subir le même sort que certains migrants subsahariens en Lybie qui ont été lynchés et tabassés à mort par les foules après la chute du régime de Kadhafi », nous a-t-il précisé. Et d’ajouter : « Des sentiments de colère et de peur nous ont envahis tout au long du déroulement des évènements. Les caméras et les flashes des journalistes nous ont également perturbés et exacerbé notre colère. Ces derniers nous tous traités comme si nous étions les seuls responsables alors que beaucoup de migrants n’étaient pas sur place ou s’y trouvaient par hasard le soir de l’incident. Une grande partie d’entre eux s’est trouvée engagée dans un conflit dont ils ignoraient la cause».
Expédition punitive
Pourtant, la version la plus probable et qui a été confirmée par plusieurs migrants interviewés sur place laisse penser que les échauffourées de vendredi avaient été causées par le harcèlement par un jeune migrant d’une Marocaine accompagnée de son mari. « Les évènements de la soirée du vendredi ne sont que la deuxième phase des altercations qui ont eu lieu jeudi après qu’un mineur non accompagné originaire de Guinée Conakry a proféré des mots déplacés à l’endroit d’une femme marocaine et de son mari. Un comportement qui a suscité la colère de ce dernier qui est allé appeler à la rescousse les membres de sa famille et les gens de son quartier. L’arrivée en masse de ces personnes a provoqué l’ire des migrants et engendré la première altercation entre les deux parties et une deuxième au cours de la même journée. La suite vous la connaissez», nous a précisé un migrant. Cette même source nous a affirmé que ce n’est pas la première fois que ce genre de comportement irrespectueux de la part des mineurs non accompagnés a été constaté. « Comme dans toutes les communautés humaines, il y a de bons et de mauvaises personnes et notre communauté ne déroge pas à cette règle. Beaucoup de mineurs notamment de Guinée Conakry appelés communément les « bambino » portent préjudice à notre image et l’altèrent auprès de l’opinion publique marocaine qui, malheureusement, ne fait pas de différence entre les rumeurs et la réalité », nous a-t-elle confié. Et de préciser : « Les migrants installés ici aux abords de la gare routière ne sont pas un tout homogène. Chacun vient d’un horizon différent avec sa propre éducation, sa culture et sa vision du monde. Le camp compte des Camerounais, des Ivoiriens, des Guinéens, des Maliens, des Sénégalais et autres. Et chacune de ces nationalités tente de vivre loin des autres. Même nous, on a fait, à plusieurs reprises, l’objet d’attaques, d’agression ou d’insultes de la part de ces mineurs qui ne respectent personne et font fi des valeurs et principes. Ce sont des enfants sans foi ni loi qui ne croient en rien. Leur objectif est de passer de l’autre côté des barrières de Mellilia et Sebta coûte que coûte. Et c’est pourquoi on a décidé d’organiser une réunion entre nous pour nous débarrasser des éléments qui nous font du tort ».
Quelle alternative ?
Du côté des Marocains, un seul mot d’ordre est sur toutes les lèvres : « Quelle solution les autorités casablancaises proposent-elles pour résoudre le problème de l’installation des migrants en plein cœur de la ville ? ». En effet, la métropole est devenue, depuis quelque temps, le terminus forcé des migrants subsahariens irréguliers. Des centaines d’entre eux ont été déportés vers cette ville malgré eux suite à des opérations de contrôle d’identité ou de ratissage. Le flot continu d’autocars qui les transportent se poursuit depuis des mois. Leur nombre reste difficile à évaluer et ils sont venus, la plupart du temps, de Tanger et de Nador. Ils sont de nationalités malienne, ghanéenne, nigérienne et camerounaise. Les opérations de ratissage et de contrôle sont devenues monnaie courante ces derniers mois et les personnes arrêtées sont souvent refoulées vers Fès, Meknès, Rabat, Casablanca ou vers le Sud. Faute de structures d’accueil, ces migrants vivent dans des conditions de vulnérabilité extrême malgré la solidarité de la population. Ils vivent dans le dénuement le plus total. Ils dorment à même le sol, leurs vêtements sont sales et ont rarement l’occasion de prendre une douche. Une grande majorité d’entre eux fait la manche aux carrefours, aux sorties des mosquées ou survit grâce à de l’argent envoyé par leurs familles.
Ces derniers temps, rien ne va plus entre ces migrants subsahariens et les riverains de la gare routière Ouled Ziane. Ils ne se supportent plus. L’installation provisoire de ces migrants a trop duré et engendre de nombreux problèmes. Cette situation perdure depuis plus de 15 mois. Faute de structures d’accueil et de moyens pour loger les candidats à l’immigration, ces derniers ont occupé les abords de la gare routière Ouled Ziane.
« Ils sont sales et négligents. Ils jettent les restes de nourriture et les ordures partout et s’intéressent moins à la propriété des lieux. Sans parler des mauvaises odeurs persistantes, vu que ces personnes font leurs besoins en plein air et au vu et au su de tout le monde », nous avait déclaré Said, un jeune du quartier lors du reportage que nous avions publié dans notre édition du 23 septembre 2017 sous le titre : « Expulsés de Nador et largués près de la gare routière de Casablanca : En l'absence de structures d’accueil, des centaines de migrants irréguliers vivent dans des conditions inhumaines au grand dam de riverains dépités ». «Ces migrants occupent les entrées de nos immeubles et même les halls dans certains cas. Ils sont une centaine de personnes à occuper ces lieux la nuit, en s’entassant les uns sur les autres. Ils se couchent dans des lits de fortune, allongés partout et ne cessent de s’engueuler ou de parler à haute voix jusqu’à l’aube», nous a raconté un autre habitant. Mohamed, père de famille, semble lui aussi en colère. «Comment pourrions-nous nous réjouir de cette triste situation, alors que nous devons assister à des scènes de désolation chaque jour?, s’indigne-t-il. Nos enfants n’osent plus sortir jouer dans le quartier». Rachid, 22 ans, ne voit également pas d’un bon œil la présence de ces migrants dans le quartier et s’attend à un affrontement entre ces derniers et les jeunes du quartier. «Les accrochages sont de plus en plus fréquents, parfois pour des raisons futiles. Et souvent le pire est évité de justesse », nous a-t-il affirmé.
Des inquiétudes que partage un grand nombre des migrants interviewés. Pour eux, les Marocains ont le droit de se mettre en colère. « Personne ne peut tolérer ou accepter qu’il soit harcelé dans son propre pays. Mais on ne peut pas mettre l’ensemble des migrants sur un pied d’égalité. Celui qui a provoqué le harcèlement qui a été à l’origine des graves affrontements de la gare routière d’Ouled Ziane doit être sanctionné mais on ne doit pas punir l’ensemble des migrants. Nous ne sommes que de passage chez vous et nous espérons ne pas être un fardeau pour vous.
Car notre objectif est de construire notre vie ailleurs qu’ici. Notre but n’est autre que de nous rendre en Europe par tous les moyens possibles», nous a confié un jeune migrant. Et de conclure : « Ce qui s’est passé vendredi dernier n’augure rien de bon pour nous. C’est plutôt un nouveau fardeau que nous devons supporter alors qu’on a déjà assez de problèmes ».
Le 27 Novembre 2017
Source Web : Libération
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