Le retour de l’autoritarisme en Espagne

L’État espagnol n’est pas dans le peloton de tête des démocraties. Quarante ans de dictature franquiste ont marqué les esprits et imposé une culture politique autoritaire. Certes, il y a eu une transition démocratique après la mort de Franco, mais, comme le mot le dit, celle-ci s’est faite sans éliminer l’ancienne classe dirigeante. Si on a réformé les institutions, on n’a pas transformé les esprits.
L’État espagnol est unitaire ; la nation espagnole se définit comme une et indivisible. Les dirigeants espagnols de gauche comme de droite partagent cette vision centralisatrice et refusent de reconnaître l’existence d’autres nations sur le territoire espagnol.
Stratégie de confrontation
L’État espagnol a utilisé les tribunaux pour enrayer la montée de l’indépendantisme catalan. La Cour constitutionnelle espagnole a refusé de reconnaître la nation catalane et a invalidé les chapitres du statut d’autonomie qui renforçaient l’usage du catalan. Le gouvernement espagnol refuse de reconnaître aussi le droit à l’autodétermination des Catalans et a intenté des procès et condamné les dirigeants indépendantistes qui ont organisé le référendum de 2014. L’État espagnol a peur du peuple et ne veut pas qu’il se prononce sur son statut politique.
Le 12 septembre, le tribunal constitutionnel a suspendu la loi catalane sur le référendum et le gouvernement Rajoy a annoncé des mesures répressives pour empêcher la tenue du référendum le 1er octobre. Il a donné l’ordre aux forces policières de prendre « les mesures nécessaires pour saisir les moyens ou instruments destinés à préparer ou organiser le référendum illégal ». Saisie des urnes et du matériel électoral ; menace d’emprisonnement des maires qui participeraient à l’organisation du référendum ; poursuites contre M. Puigdemont et chaque membre de son gouvernement, les accusant de désobéissance, ce délit pouvant entraîner des peines allant jusqu’à huit ans de prison ; fermeture du site Internet faisant la promotion du référendum et interdiction aux médias de diffuser de publicité institutionnelle liée au référendum, telles sont les mesures répressives annoncées par Madrid. On ne se prive pas aussi dans la capitale madrilène d’évoquer une possible intervention de l’armée. Ce faisant, Madrid nie la légitimité des institutions démocratiques catalanes et impose un état de siège latent.
La répression est une arme à deux tranchants : elle peut inspirer la peur et paralyser l’action ou encore elle peut susciter l’indignation et accroître la détermination et la combativité. Les Catalans choisiront-ils de reculer ou accepteront-ils l’affrontement avec l’État espagnol ? La théorie des jeux nous indique que lorsque deux acteurs en sont à faire un choix stratégique dans une situation de conflit, celui qui choisit de reculer perdra alors que celui qui est constant dans l’affrontement fera des gains. Jusqu’à présent, la stratégie de confrontation adoptée par les dirigeants catalans a eu des effets positifs sur la mobilisation des citoyens, l’intransigeance de Madrid favorisant la montée de l’indépendantisme.
Conséquences lourdes
Les coûts de la répression pour Madrid risquent d’être beaucoup plus lourds que pour la Catalogne, car le jusqu’au-boutisme madrilène impliquerait la suspension des institutions démocratiques et des libertés civiles. L’Espagne ne peut pas se payer le luxe d’une période d’instabilité politique. Ses finances sont exsangues et un ralentissement de l’activité économique serait catastrophique pour sa dette déjà hyperchargée.
De plus, l’image d’une armée qui empêche par la force des armes des civils de voter rappellera les jours sombres de la dictature franquiste et sera très néfaste à l’étranger. Le dérapage autoritaire suscitera la réprobation des mouvements qui croient à la démocratie. L’emprisonnement des chefs indépendantistes démocratiquement élus enverra un message disant que la voie électorale est fermée pour opérer un changement politique. Madrid joue avec le feu en déconsidérant le processus démocratique. Le pouvoir espagnol dit aux citoyens qu’ils ne peuvent pas choisir leur statut politique, qu’ils sont asservis à la raison d’État, qu’ils ne peuvent exercer leur libre arbitre et décider par eux-mêmes de ce qui est bon pour eux. C’est une remise en question des acquis de la culture démocratique et un retour au Moyen Âge.
La répression est la suite logique de l’intransigeance manifestée par le pouvoir espagnol à l’égard des revendications nationalitaires. Cette rigidité espagnole a jusqu’à présent stimulé la détermination et la combativité des Catalans. Si, dans le passé, la sanglante répression fasciste n’a pas vaincu la résistance des Catalans, on peut supposer que celle qui s’annonce renforcera aussi la résilience de la nation catalane. L’État espagnol ne peut que sortir perdant de ce bras de fer.
Le 02 Octobre 2017
Source web par 2012un-nouveau-paradigme
Les tags en relation
Les articles en relation

Le Portugal et l'Espagne cartonnent cet été
Qu'il s'agisse du Portugal ou de l'Espagne, la péninsule Ibérique achève une saison estivale historique avec des pics de fréquentation jamais at...

Fermeture surprise des frontières Maroc : quelles conséquences pour le tourisme ?
L'annonce a fait l'effet d'une bombe et aurait pu rendre inapte n'importe quel serveur peu robuste d'OVH. Lundi dernier, le Maroc a décidé...

Et si le Maroc adhérait à l’Union européenne ?
Dans une analyse publiée ce mardi 30 juillet 2019 dans le quotidien espagnol El Mundo, Ahmed Charaï relance le débat sur l’adhésion du Maroc à l’Union ...

Une aide espagnole de 26 millions d’euros octroyée au Maroc pour contrôler l’immigration irré
L'UE approuve de nouveaux programmes relatifs à la migration en Afrique du Nord pour un montant de 61,5 millions d'euros L’Espagne allouerait une ...

Les Marocains pourront se rendre en Espagne dès le 1er juillet
Le déconfinement se poursuit en Europe avec l’ouverture des frontières prévue le 21 juin prochain par l’Espagne. Grâce à cette décision, les Marocains...

Le Maroc ne reconnaît plus les frontières de Sebta et Melilla
La Direction générale de la sûreté nationale (DGSN) a pris mardi un arrêté pour remplacer le mot « frontière » par celui de « bab » (porte en arabe) ...

Le Brexit fait le bonheur des entreprises espagnoles installées au Maroc
Le Maroc, «marché émergent alternatif», est une aubaine pour les entreprises espagnoles y ayant élu domicile. C’est le quotidien socialiste Libératio...

#MAROC_ESPAGNE_CEUTA_MELILIA:
Dans des propos tenus samedi à la chaîne saoudienne al-Sharq, le chef du gouvernement, M. El Otmani, a proposé d’ouvrir la question de la souveraineté sur...

Visite de Sanchez au Maroc: renforcement du partenariat maroco-espagnol
La visite au Maroc, en ce début de semaine, du président du gouvernement espagnol, s’est conclue sur une entente entre les deux pays pour le renforcement de...

Maroc-Espagne-Sénégal : Un partenariat triangulaire dévoilé
Une nouvelle initiative consacre le Maroc comme tête de pont privilégiée vers l’Afrique pour les entreprises étrangères. En effet, un axe Espagne-Maro...

Pourquoi l'Algérie et l'Espagne redoutent l'acquisition de sous-marins par le Maroc
L’Algérie a peur que l’acquisition d’un sous-marin russe soit le début d’une coopération approfondie entre Rabat et Moscou au détriment d’Alger. P...

Maroc-Espagne : vers un accord historique sur la délimitation des frontières maritimes et l'exploi
Plus de deux ans après la normalisation des relations entre le Maroc et l’Espagne, les deux pays sont sur le point de conclure un accord stratégique sur la ...