Omar Saghi - Le bikini de la paysanne
Comme chaque été, les plages marocaines se transforment en champ de bataille idéologique. Bikini ou burkini ? L’affaire n’est pas anecdotique. Le débat lui-même peut paraître vain ou instrumentalisé par les médias. Mais le fond de la question est sérieux. Il n’engage pas que des thématiques religieuses. Il est, plus fondamentalement, une affaire de démocratie. Une image vaut plus que mille mots. Sur une plage quelconque du pays, une femme en robe longue, foulard et tout l’attirail, les pieds dans l’eau. Ce qui frappe d’emblée, c’est la posture. L’hexis corporelle, comme diraient les sociologues. Accroupie, les pieds à plat sur le sol, les bras sur les genoux, comme se tient une paysanne devant ses poules.
A trop focaliser sur le maillot de bain, on oublie de noter, ou on fait comme si on ne voyait pas l’énorme massification des loisirs que connaît le Maroc depuis une dizaine d’années. Les plages, les “plages à bikini”, ont longtemps été des plages à moyenne et grande bourgeoisie. Il n’y avait pas de femmes en “burkini”, pas parce que les mœurs étaient plus libres, mais parce que l’essentiel de la population marocaine n’allait pas à la plage. Puis le changement est survenu, brusquement. Exemple parmi d’autres : un jour, les lignes de bus ont relié Rabat à Skhirat, et le monopole des possesseurs de voiture (un bien rare à l’époque) sur les plages fut brisé. Le peuple, avec ce que ce mot contient de significations variées mais convergentes, eut accès aux plages du sud de la capitale. A sa manière. Le marquage territorial suivit. Et la bourgeoisie à bikini se déplaça plus loin. Une espèce de course entre les Mercedes et les lignes de bus. Puis, vaincue par la démocratisation de la voiture particulière, elle inventa les plages d’hôtel. Désormais, le bikini a un coût chiffré. Il faut payer quelques centaines de dirhams pour avoir accès à des piscines et des plages sans foulards. Et on dira : avant c’était mieux, il n’y avait pas toute cette folie du burkini. Sauf qu’avant, la plage comme pratique sociale était une rareté réservée à une minorité. Laquelle pourrait toujours dire : avant c’était mieux, parce qu’il n’y avait que nous qui allions à la plage.
On pourra toujours invoquer tel exemple de femme qui mettait un maillot de bain et qui s’en tient aujourd’hui au burkini. Mais il ne faut pas laisser l’arbre cacher la forêt. Les quelques cas de “régression” vestimentaire ne sont rien face à la marée montante des nouvelles classes moyennes qui imposent leur propre pratique de l’espace public. En France, l’été 1936 vit une révolution : les premiers congés payés jetèrent des centaines de milliers d’ouvriers et de petits employés sur les plages, jusque-là réservées à l’aristocratie et aux notables. A quelques détails près, les réactions de ces derniers, telles que rapportées par les caricaturistes ou les journaux de l’époque, ne diffèrent pas beaucoup de la réaction des Marocains “laïcs” face à l’invasion du burkini. Loin d’être une guerre entre les conservateurs et les femmes émancipées, la lutte entre le voile et le bikini est d’abord une lutte sociale, d’autant plus féroce qu’elle ne dit pas son nom. Imaginons qu’en un instant, les burkinis et les voiles se transforment en bikinis. Eh bien, rien n’aura changé : il y aura toujours d’une part des vacancières accroupies comme des paysannes, leurs enfants qui jouent en faisant beaucoup de bruit, et les autres, qui soupirent en disant : avant c’était mieux, les plages étaient “plus classe”
Le 02 août 2017
SOURCE WEB Par Telquel
Les tags en relation
Les articles en relation
Tahar Benjelloun membre de la nouvelle Fondation de l'islam de France
C’est dans un contexte tendu et surchauffé par le débat sur le burkini que le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, tiendra une réunion lundi 29 a...
Union des Mosquées de France: renforcer la cohésion nationale pour mieux combattre les extrémisme
L’Union des Mosquées de France (UMF) a exprimé samedi sa détermination à œuvrer, en relation avec les autorités et les forces vives du pays, pour combat...
Un dimanche à la plage
Certaines osent encore braver les regards en «exhibant» leur corps en maillot, pour ne pas céder le terrain à une mentalité rétrograde qui voudrait faire ...
Témoignages. "A la plage, je n'ose plus me mettre en maillot"
Cette année encore, les plages où une femme peut se baigner en maillot de bain sont soit plus étriquées, soit moins nombreuses. L'espace public continue...
Vidéo. Révoltant: à Agadir, le pillage du sable bat son plein
Sur l'une des plus belles plages du Royaume, le pillage du sable se fait en toute impunité. Tollé général. Une vidéo diffusée sur les réseaux soci...
Burkini : Le Conseil d’État français a tranché
Alors que les arrêtés anti Burkini se sont multipliés en France, le Conseil d’État, la plus haute juridiction administrative, vient de trancher. Elle a su...
L’été a été… « chaud » ! Par Ahlam JEBBAR
L’été est souvent synonyme de trêve… Cela n’a pourtant pas été le cas cette saison estivale… Et pour cause, vague d’attentats terroristes sans pr...
Leçons et conséquences d’un été révélateur : La construction progressive des conditions de p
L’été 2016 a été marqué par trois faits de nature différente : un ignoble attentat endeuille le pays le 14 juillet, une loi détruisant le code du trava...
Une Fondation et une association cultuelle "pour bâtir l’islam de France"
Le ministre français de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, a lancé lundi des consultations avec des représentants du Conseil français du culte (CFCM), de la...
Aglou-Mirleft-Sidi Ifni : Havres de fraîcheur
Loin d’Agadir, nombreux sont les touristes qui préfèrent les plages situées entre Aglou et Sidi Ifni, que l’on peut découvrir en empruntant la nationale...