Urgence a Tinmel: des archeologues sonnent l'alarme sur la conduite du chantier de la Mosquee
Selon differents témoignages recueillis par Médias24, les matériaux issus de l'effondrement de la mosquée ont été traités et déblayés comme de vulgaires gravats de chantier. L'évacuation de ces fragments historiques irremplaçables, en l'absence d'archéologues, a peut-être crée un gâchis irremediable. Une reaction urgentissime est requise pour tenter de sauver la situation.
Sauver est possible, mais ce sera difficile. Explication.
Sur la photo ci-dessus et sur d'autres sur cette meme page, le commun des mortels -dont l'auteur de ces lignes- ne verront que des gravats a deblayer pour reconstruire au plus vite la mosquee historique. Mais ce n'est pas l'avis d'archeologues et de specialistes du patrimoine que nous avons consultes. Ces photos ont ete prises le 9 septembre 2023, quelques heures apres le seisme devastateur d'Al Haouz. Au moins les trois-quarts de la mosquee avaient ete detruits.
Les départements de tutelle ont cru bien faire de reagir très vite, pour reconstruire le plus rapidement possible de ce monument, et d'autres encore. Des architectes ont ete appeles au chevet du monument historique dont la valeur rayonne bien au-dela des frontieres marocaines. Une association respectée, Icomos Maroc, a ete impliquee dans le chantier et a publie un premier rapport sur differents monuments plus ou moins degrades par le seisme, y compris la mosquee de Tinmel. Un premier rapport avait été également dressé par l'architecte Amin Kabbaj.
Le gouvernement a d'ailleurs mobilise 1,2 milliard de DH pour rehabiliter, restaurer, reconstruire les monuments et mosquees impactes par le seisme, dont le site de Tinmel.
Differents responsables a plusieurs echelons contactes a l'epoque par Médias24, se montraient relativement sereins concernant la reconstruction de Tinmel puisqu'ils avaient "les plans" de la mosquee dont une operation de reconstruction etait en voie d'achevement peu avant le tremblement de terre.
Mais c'etait sans compter sur une donnee importante: apres un seisme, la presence d'archeologues est indispensable pour tout ce qui concerne les bâtiments de valeur historique.
Sur les photos ci-dessous, on voit bien que de nombreux débris sont travaillés à la pelle et évacués dans des bennes, avant de faire place nette:
Lorsqu'une catastrophe touche un monument, le plus urgent n'est pas de reconstruire mais de faire appel a l'archeologie post-seismes. Contrairement a ce que l'on pourrait croire, ce n'est pas un travail lent mais qui peut etre assez rapide. Un scientifique que nous avons consulte nous a fourni des explications sur cette question, apres avoir requis l'anonymat.
"Le premier enjeu n'est pas la reconstruction mais un enjeu scientifique". De nombreux morceaux de la mosquee de Tinmel sont des archives, toute l'histoire du monument et peut-etre partiellement celle de la region, s'y trouvent. Il existe des protocoles internationaux dans ce domaine. La premiere urgence aurait été de mobiliser les archeologues selon notre source. "Les materiaux, le site, certains objets, auraient pu nous en dire plus sur ce joyau du 12e siècle, sur ce qu'a eté ce village de Tinmel aujourd'hui disparu, sur l'existence eventuelle de precedents seismes non documentes", estime notre source. La journée d'etude organisee a Rabat le 7 octobre a l'Academie du Royaume du Maroc sur l'apres-seisme, avait d'ailleurs insisté sur l'apport de l'archéologie.
Selon les photos partagees ici et differentes sources consultees, rien n'indique une implication suffisante de l'archeologie dans le processus conduit pour restituer Tinmel. Nos informations montrent plutôt l'evacuation en vrac de nombreux debris (photos). Selon une source informee, "il est probable que l'entreprise a documente les elements effondres en vue de reconstruire mais sans protocole scientifique qui, lui, releve d'un autre niveau d'expertise". Sur certaines images, on voit des ouvriers recuperer les élements encore solides mais sans respecter les protocoles scientifiques car ils ne sont pas accompagnes d'archéologues.
C'est comme une scène de crime ou lieu d'un crash aerien: chaque objet peut avoir sa valeur, mais il est imperatif de documenter l'endroit exact où il se trouvait.
Abdellah Fili: un site majeur pour tous les musulmans Abdellah Fili, docteur en histoire, est enseignant a l'universite d'El Jadida. Il est médieviste reconnu et considere comme la reference de la region du Haouz, de Tinmel a Aghmat et Taroudant.
Contacté par nos soins, il confirme les craintes générales: la présence d'archéologues était impérieuse.
Maintenant que le mal est fait, il insiste sur la necessite de garder une approche constructive: 1. Récupérer ce qui peut encore l'etre; 2. inclure dans les procedures post-catastrophes la presence des archeologues; 3. créer enfin une filière d'archéologie préventive, de sauvetage.
"Il existe un processus appelé archéologie de sauvetage, archéologie préventive, c'est-à-dire l'intervention urgente d'archéologues pour documenter ce qui s'est passé, récupérer les éléments qui doivent être récupérés, mais avec une documentation très précise du lieu. Il y a des éléments architecturaux qu'il est important de comprendre, quels sont les materiaux, quelles sont les epaisseurs, quelle est la stratigraphie; c'est-a-dire que la destruction est, malheureusement certes, la seule opportunite que nous avons de comprendre un monument impacte par une catastrophe naturelle".
"On dispose du plan du monument et donc, on peut restituer la construction. Mais on ne sait pas en détail par exemple, ne serait-ce que les techniques de construction, comment cette belle mosquée a été érigée par les Almohades du XIIe siecle. Les materiaux sont des elements extremement importants, d'abord pour comprendre l'environnement du passé".
M. Fili nous donne l'exemple de la cathedrale Notre Dame de Paris, victime d'un incendie en avril 2019. "La-bas, personne n'est intervenu a la place des archeologues. Et il etait evidemment possible de gratter tout ca et de degager les graviers, le bois, les menuiseries tombees en un temps record. Et de commencer la reconstruction des le lendemain. Et bien non. Les archeologues ont mis pratiquement un an pour récupérer les débris tombés et les documenter. Parce que c'est un batiment tres connu, mais en meme temps c'est un batiment qui gardait encore ses secrets. Notamment dans les processus de construction, dans les materiaux de construction, dans les techniques de construction. Et puis ils ont fait des recherches, c'est-a-dire que la où ils ont fait les releves, ils ont decouvert d'autres elements du passe de la cathedrale".
En fait, c'est comme ouvrir un livre. "Si vous lisez un livre, vous avez par exemple une page d'aujourd'hui, une autre de l'an passe, une troisieme du siecle precedent ... Ces pages, ce sont les bois, les ceramiques, de differentes epoques par exemple, les strates de la construction aussi".
"Quand vous étudiez cela, vous datez les couches. On les date par les poteries, par les céramiques que l'on retrouve dans les differentes couches. Parce que la poterie evolue, comme aujourd'hui. Nos assiettes ne sont pas celles de nos parents, elles ne sont pas celles de nos grands-parents, etc. Et c'est un processus de datation infaillible. De meme, le bois permet des adaptations precises, grace au processus de carbone 14".
Devant un morceau de bois trouvé dans les débris de l'effondrement, on imagine l'archéologue se demander: "S'agit-il de bois ancien ? S'agit-il de bois qui appartiennent a cette region ? S'agit-il de bois venus de tres loin, puisque c'est un chantier imperial? Tout un tas d'elements qui peuvent enrichir notre histoire et mobiliser les gens pour faire de Tinmel un site visitable, non seulement pour les touristes, mais aussi pour la population locale, pour l'histoire du Maroc. C'est un site majeur pour tous les musulmans. Nous pensions que c'est une belle mosquee ancienne, ou trois touristes vont venir. Non, on peut transformer cela en quelque chose d'absolument extraordinaire, d'une attraction touristique a la montagne, c'est magnifique. Nous n'avons nulle part ailleurs qu'a Timmel une mosquee de cette beauté, de cette qualité artistique".
"Avant de penser a reconstruire au plus vite, il fallait d'abord qu'une reflexion se fasse autour, avec des spécialistes".
-On peut récupérer au plus vite les débris et effectuer un tri par des archéologues ...
-Le problème n'est même pas de récupérer les débris. On peut récupérer des morceaux de bois, ou des morceaux de stuc, de plâtre, de belle coupole, qui sont uniques. Des témoignages uniques et sublimes du debut de l'art d'Almohade. C'est la plus ancienne des coupoles a stalactites que sont les Muqarnas. Mais une piece hors de son contexte, cela n'a aucun sens. C'est comme mettre un livre du XIIe siècle dans un coffret".
-C'est comme dans cet exemple de livre, pour situer et comprendre les fragments de phrases, il faut reconstituer ...
-Exactement. Dans le travail des artisans, cette phrase, d'ou vient-elle ? Il faut la lire par le haut ou par le bas ? Le Maroc est fier de son histoire. Il a toujours attache une enorme importance a l'archeologie, il vient d'ailleurs de decouvrir une ville ancienne au Chellah. Et la, nous faisons quelque chose comme si nous ne connaissions absolument rien a l'archeologie. Alors c'est fini. Nous avons fait exactement ce que les autorites coloniales avaient fait a Volubilis, au Chellah, dans tous les sites marocains, c'est a-dire déblayer.
"Je suis sur et certain, et encore une fois, je suis convaincu que ca n'a pas ete fait pour detruire le patrimoine national. Les responsables du chantier n'ont pas encore compris la valeur de l'archeologie preventive, la valeur de l'archeologie d'urgence. Parce que c'est la seule facon dont nous disposons pour recuperer l'histoire et reconstruire l'histoire de ces monuments".
Logique esthetique, logique economique Une autre de nos sources deplore que les ouvriers aient opere selon deux logiques pragmatiques et esthétiques :
- Une logique économique : récupérer les matériaux réutilisables.
- Une logique esthetique : conserver les elements de decor ayant encore une coherence de lisibilite.
"Or, ce travail evacue la question scientifique qui s'appuie sur des éléments souvent sans intérêt esthetique ou de reconstruction mais indispensable pour reconstituer l'histoire du site", ajoute-t-on.
"Les logiques d'effondrement et les couches d'effondrement permettent de collecter les multiples materiaux intercales mais aussi de decouvrir des élements fondamentaux. Les elements les plus importants sont des tessons de poterie, des morceaux de bois qui permettent de dater mais aussi de comprendre des enjeux plus importants". "Or, l'analyse est fortement correlee a la localisation exacte de leur decouverte. Si un morceau de bois est découvert dans une charpente datant du XIIe siècle qui s'est effondrée, il est alors possible de dater l'endroit".
Un site comme Tinmel peut devenir un cas d'ecole au Maroc, on ferait alors d'une catastrophe une opportunite pour doter la localite d'un nouveau rayonnement. Peut-être faut-il non seulement récupérer les débris et les trier, mais egalement lancer des fouilles sous la mosquée.
Il y a de nombreux exemples dans le monde ou l'archeologie post-catastrophe a permis de favoriser un développement territorial par un tourisme culturel renouvelé.
La question de l'archéologie, une des principales recommandations de la journée d'etude du 7 octobre organisee a l'Academie du Royaume Une des initiatives emblematiques est le developpement d'une approche ethnoarcheologique des territoires les plus proches de l'epicentre visant a comprendre l'installation des communautés humaines sur la longue duree et leur capacite a etablir un mode de vie adapte aux risques multiples. Cette approche ethnoarcheologique permet de lier l'ensemble des domaines de recherche dans un projet de comprehension des relations entre les communautes humaines et leur territoire par l'accumulation de savoirs et de savoirs-faires (l'art de batir, l'art de cultiver, l'art de produire). Elle permet de nourrir les dynamiques de paléo-innovation c'est-à-dire de permettre aux sociétés contemporaines de s'appuyer sur les innovations du passe a l'image des systemes parasismiques locaux liant bois, terre et pierre.
Notons que l'Academie du Royaume du Maroc propose, avec les equipes de l'Institut Royal pour la Recherche sur l'Histoire du Maroc, relevant de l'Academie du Royaume du Maroc, en accord avec celles d'archéologie médiévale (INSAP, INRAP, Université Chouaib Doukkali, Universite de Pantheon Sorbonne), déjà engagées sur le terrain, d'apporter concrète sur place de la sauvegarde de ce patmoine lterr coutien et sa contribution a la mise en œuvre et immateriel en partage.
Le 20/11/2023
Source web par : medias24
www.darinfiane.com www.cans-akkanaitsidi.net www.chez-lahcen-maroc.com
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