Et si la France lançait 22 nouveaux réacteurs nucléaires d’ici 2050 ?
L’association « Les Voix du nucléaire » a dévoilé un scénario de transition énergétique particulièrement original pour la France. Ses experts proposent de lancer d’importants chantiers nucléaires, renouvelables, mais aussi de stockage par STEP, qui permettraient à la France d’atteindre la neutralité carbone sans incertitudes ni dépendance aux pays voisins.
Comment la France peut-elle réussir sa transition énergétique ? Les scénarios ne manquent pas : de nombreux organismes comme RTE, l’ADEME ou encore Négawatt ont proposé leur vision du mix énergétique du futur. Des programmes extrêmement divergents, négligeant souvent le nucléaire, faisant parfois le pari de technologies très incertaines, de la sobriété ou acceptant une perte de souveraineté.
Aucun ne convenait à l’association de défense de l’atome civil « Les Voix du nucléaire », qui a donc élaboré son propre scénario baptisé « TerraWater ». L’organisation fondée en 2018 par Myrto Tripathi rassemble des experts et enthousiastes, pour la plupart ingénieurs, dont certains sont d’anciens salariés de l’industrie nucléaire.
Elle milite pour « la reconnaissance de l’énergie nucléaire comme essentielle à la transition énergétique bas-carbone » et « le rétablissement des faits » sur cette filière particulièrement malmenée ces dernières décennies. La structure est financée par les dons et adhésions, dont une part importante provient d’Orano et Framatome, deux géants du secteur qui y ont respectivement contribué à hauteur de 10 000 et 95 000 € en 2021, selon le registre de transparence de l’Union européenne. Pour autant, elle considère sa démarche comme « ni lobbyiste ni syndicale, mais plutôt citoyenne ».
Loin des débats enflammés entre opposants et partisans du nucléaire et des renouvelables, son scénario « TerraWater » propose un mix électrique innovant pour les cinq prochaines décennies. Établi sur une consommation élevée d’électricité (800 TWh en 2050 contre 468 TWh en 2021), il bannit totalement les énergies fossiles et intègre logiquement un socle important de nouveaux réacteurs nucléaires, appuyé par des moyens de production éoliens, solaires et hydrauliques ainsi que de gigantesques capacités de stockage.
Évolution du parc installé 2020 – 2070 / Voix du nucléaire.
Les grandes lignes du scénario « TerraWater »
• Abandon total des centrales à gaz en 2035.
• Atteindre 71 % d’électricité dans la consommation d’énergie en 2070 contre 24 % actuellement.
• Forte hausse de la puissance éolienne et solaire installée jusqu’en 2040, puis déclin progressif sur 30 ans pour laisser place aux réacteurs nucléaires de nouvelle génération.
• Prolongement de l’exploitation des réacteurs nucléaires actuels jusqu’à 70 ans.
• Construction de 22 nouveaux réacteurs EPR 2 entre 2026 et 2050.
• Lancement de réacteurs nucléaires SMR et de IVe génération entre 2050 et 2067.
• Construction et adaptation de 19 STEP pour 42 GW de puissance installée et 8 TWh de capacité de stockage.
• Pas d’usage significatif de l’hydrogène, des batteries et interconnexions.
• Faible influence de la sobriété énergétique.
• Biogaz et biomasse réservés à la pétrochimie « verte », aux transports lourds et à la production électrique d’ultime pointe via 20 GW de turbines à combustion (TAC) au bois.
Construire 22 nouveaux EPR avant les réacteurs de IVe génération
Dans le scénario « TerraWater », l’électricité bas-carbone est logiquement produite en grande partie par des centrales nucléaires. Pour cela, l’association compte sur la prolongation de 60 à 70 ans des réacteurs actuels, contre 40 ans prévus à l’origine. Un prolongement qu’elle juge « techniquement faisable » à condition d’anticiper les opérations de maintenance majeures.
Dans les faits, la France sera probablement contrainte de poursuivre l’exploitation de ses centrales jusqu’à 60 ans faute d’avoir suffisamment investi dans d’autres moyens de production. Pour prendre le relais des vieux réacteurs, le scénario des Voix du nucléaire prévoit de construire 22 réacteurs EPR 2 entre 2026 et 2050, incluant les 6 exemplaires déjà actés par le gouvernement.
Après avoir reconstitué son savoir-faire et ses capacités industrielles perdues sur le nucléaire civil, la France lancerait les travaux d’une paire d’EPR 2 chaque année dès 2035. Ces derniers entreraient en service au terme de 6 ans de chantier. La puissance nucléaire installée atteindrait ainsi 90 GW en 2050, contre 61,37 GW actuellement. Une modification de la loi est toutefois nécessaire pour y parvenir, car depuis 2015, elle plafonne le parc à 63,2 GW.
Les 22 EPR2 fonctionneraient en régime de « base », sans suivi de charge, qui consiste à faire varier la puissance en fonction des besoins du réseau. « La modulation de puissance, bien qu’elle soit devenue une spécialité du parc nucléaire français, n’en reste pas moins plus contraignante pour les matériels, nécessite des maintenances plus lourdes, et impose des règles de sûreté plus strictes. En outre, elle ne permet pas nécessairement d’économiser du combustible nucléaire » explique le scénario.
Après 2050, d’autres technologies de réacteurs nucléaires s’ajouteraient tels que les SMR (petits réacteurs modulaires) et les modèles de IV? génération. Peu développés de nos jours, ces réacteurs pourraient déployer plus de 40 GW de capacité à l’horizon 2070 et présenter l’avantage de fonctionner à partir de certains rebus nucléaires dont la France dispose de stocks importants.
Explosion puis déclin de l’éolien et du solaire
C’est certainement l’aspect le plus polémique du scénario. « TerraWater » prévoit une expansion rapide puis un effondrement massif des capacités de production éoliennes et solaires à long terme, qui reviendraient aux niveaux d’aujourd’hui. En 2040, la France disposerait ainsi de 35 GW d’éolien terrestre (contre 19,1 GW actuellement), 25 GW d’éolien en mer (0,48 GW actuels) et 55 GW de photovoltaïque (13,6 GW actuels).
Des capacités importantes, mais parmi les moins ambitieuses des scénarios énergétiques publiés jusque-là. Éolien et solaire déclineraient lentement dès 2050, en faisant le choix surprenant de ne pas renouveler les installations en fin de vie. À l’horizon 2070, le parc installé se retrouverait à des niveaux comparables à ceux de 2022.
Évolution de la puissance installée de l’éolien et du solaire / Voix du nucléaire.
Pour les Voix du Nucléaire, les énergies renouvelables non pilotables sont « indispensables dans le contexte de course contre-la-montre climatique », mais leur déclin à partir de 2050 serait « souhaitable au regard des ressources naturelles qu’elles consomment ». L’association, qui ne précise pas de quelles ressources il s’agit, estime que l’éolien et le solaire devraient être réservés « aux zones de la planète qui auraient encore des difficultés à sortir des énergies fossiles ».
Selon son scénario, le fléchissement des énergies renouvelables variables dès 2050 serait compensé par la mise en service de réacteurs nucléaires de IVe génération, dont le type reste à déterminer, voire à développer.
Un vaste plan pour le stockage d’électricité par STEP
Grand oublié de la transition énergétique en Europe et des différents scénarios publiés jusque-là, le stockage d’électricité serait décuplé via la construction et le réaménagement de stations de transfert d’énergie par pompage-turbinage (STEP). Les Voix du nucléaire estiment qu’opter pour ce système de stockage de grande ampleur permet de se passer d’interconnexions, mais également de batteries jugées trop chères et peu durables.
Alors que le parc français de STEP s’élève aujourd’hui à 6 unités déployant 5 GW de puissance pour 80 GWh de capacité, il passerait à 19 unités pour 42 GW et 8 000 GWh (8 TWh) de capacité dès 2040. Pour y parvenir, 6 nouvelles STEP seraient érigées et 13 sites hydroélectriques actuels nécessiteraient un réaménagement conséquent (par la création d’une retenue supplémentaire, par exemple).
Revers de la médaille, le développement des STEP nécessiterait la modification de 250 km² de territoire et l’expropriation de 12 000 personnes. Du jamais vu depuis la construction des grands barrages il y a une soixantaine d’années. Notons que le scénario « TerraWater » a été principalement rédigé par Benjamin Laredo, un étudiant ingénieur que nous avions interrogé il y a quelques années alors qu’il imaginait un gigantesque projet de STEP dans la vallée d’Abondance.
Ni sobriété, ni hydrogène, pas de batteries ni d’interconnexions
Contrairement à certains scénarios, « TerraWater » ne considère pas par la sobriété comme un pilier de la stratégie énergétique. Son adoption est jugée trop hypothétique. Les technologies nouvelles telles que les batteries stationnaires et l’hydrogène sont également peu intégrées, cantonnées à des usages très spécifiques comme l’industrie. Trop de défis techniques à relever et de pertes pour l’hydrogène et consommation importante de « métaux critiques » pour les batteries, estime l’association.
Les interconnexions électriques entre la France et l’étranger, promues par certains défenseurs de scénarios 100 % renouvelables, sont également boudées par les Voix du nucléaire. « La France doit être capable de garantir sa propre sécurité d’approvisionnement à chaque instant, y compris lors des pics de consommations, sans dépendre des interconnexions avec les pays voisins, et donc de leurs choix énergétiques » justifie l’organisme, qui précise qu’« il ne s’agit pas de remettre en question la solidarité européenne mais de la renforcer en restaurant et augmentation progressivement les marges disponibles à l’assistance des pays déficitaires ».
De la sciure de bois dans les turbines ?
Au même titre que les interconnexions, le biogaz et la biomasse sont souvent placés au centre des scénarios décarbonés ou 100 % renouvelables. Pourtant, les Voix du nucléaire considèrent qu’il faut réserver ces filières à la pétrochimie du futur, aux transports aérien et maritime ainsi qu’à la production électrique « d’ultime pointe ».
L’exploitation de la biomasse et du biogaz à très grande échelle exerce en effet une pression colossale sur les écosystèmes et ne permet pas aux végétaux de se générer suffisamment vite pour compenser les émissions de CO2 lors de leur combustion. L’utiliser pour produire de l’électricité ne présenterait pas d’intérêt, à l’exception d’une vingtaine de jours par an, pour couvrir les périodes de forte sollicitation du réseau.
Dans cette optique, le scénario « TerraWater » imagine le déploiement entre 2027 et 2034 de 20 GW de turbines à combustion (TAC) fonctionnant à la sciure de bois, une technologie connue, mais jamais commercialisée jusque-là. Le concept est simple : il s’agit d’injecter du bois sous forme de poussière ultra-fluide dans une turbine modifiée pour cet usage.
Ce système permettrait d’accumuler toute l’année du bois « fatal », issu de déchets de scieries, résidus de coupe et mobilier finement broyés, stocké en silo à proximité de la turbine. Un stock ensuite consommé en appoint, par exemple, durant l’hiver.
Le 09/06/2023
Source web par : revolution-energetique
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